Le modèle agricole actuel est à bout de souffle, Des revenus très inégaux, des agriculteurs souvent isolés, des consommateurs inquiets. Tout doit être fait pour revaloriser le métier de paysan et promouvoir une agriculture soutenable, riche en emplois de qualité.
Une crise agricole avérée
Les polémiques récurrentes portant sur les revenus des agriculteurs ne sauraient cacher la réalité : la moitié d’entre-eux gagne moins de 350€/mois, les inégalités dans le monde agricole sont particulièrement marquées, en fonction des filières et de la taille des exploitations.
Dans le même temps, les agriculteurs se retrouvent parfois isolés, et peinent à trouver leur place face à des consommateurs inquiets pour leur santé et des citoyens sensibles à la préservation de l’environnement. Autant de symptômes de l’impasse d’un modèle agricole manifestement à bout de souffle, engendré par une Politique Agricole Commune historiquement productiviste, marquée par une dérive néolibérale et, la rupture du contrat social entre le monde agricole et le reste de la société. Dans ce contexte, le Sgen-CFDT estime que l’enseignement agricole doit prendre toute sa place dans la réhabilitation du métier de paysan, un artisan du monde rural, dont le rôle sociétal est essentiel.
Tout doit être fait pour promouvoir une agriculture soutenable, riche en emplois de qualité et capable de répondre aux attentes nouvelles de la société.
Un modèle productiviste dans l’impasse
La hausse des rendements à tout prix
La « crise agricole » est celle d’un modèle qui donne la priorité absolue à la hausse des rendements et des quantités produites, fût-ce au détriment de la qualité des produits agricoles et de la consommation croissante d’intrants qui impactent l’environnement y compris le climat. L’envolée de la production qui en résulte, entraîne mécaniquement la baisse structurelle des prix agricoles, accentuée par l’évolution des rapports de force au sein de la filière agroalimentaire. L’agriculture ne produit plus que des matières premières à bas prix dont bénéficient les secteurs de la transformation, de la distribution… ainsi que les consommateurs qui consacrent une part décroissante de leur budget pour se nourrir.
Une substitution permanente du travail par le capital
La « crise agricole » est celle d’un modèle caractérisé par une accumulation intense du capital. Cette dernière a entraîné l’explosion de l’endettement des agriculteurs avec pour corollaire, la fragilisation des exploitations agricoles, ainsi qu’un mouvement structurel de concentration ayant pour conséquences l’effondrement de l’emploi, la désagrégation du tissus rural et la détérioration des paysages.
Une résilience faible
La « crise agricole » traduit également la difficulté du modèle agricole encore dominant à s’adapter aux chocs extérieurs, qu’ils soient d’ordre économique ou climatique.
Spécialisation extrême des systèmes de production agricole au détriment des systèmes polyvalent de polyculture élevage, dépendance croissante vis-à-vis de l’agro-industrie productrice d’intrants de synthèse, domination des industries agro-alimentaires en capacité de capter la valeur ajoutée sur les produits alimentaires, insertion croissante des exploitations agricoles sur des marchés mondiaux non régulés caractérisés par une variation erratique des prix, endettement : tous les ingrédients sont réunis pour affaiblir structurellement la résilience de l’agriculture productiviste. Les crises porcine et laitière en sont la parfaite illustration.
Une agriculture pauvre
La spécialisation des exploitations engendrées par le productivisme cantonne l’agriculteur à son rôle de producteur ; il délègue la vente de ses produits à des tiers, industriels, grande distribution ou immense groupe coopératif. La perte de maîtrise de son système de commercialisation couplée à une production de masse le condamne, à terme, à perdre le contrôle du prix de vente de sa production et donc à des revenus faibles, voir négatifs.
Une Politique Agricole Commune (PAC) historiquement productiviste, marquée par une dérive néolibérale
Années 60 : une PAC productiviste et régulatrice
La PAC naissante, volontairement interventionniste, avait pour objectif le développement d’une agriculture « moderne », capable de combler le déficit agroalimentaire européen, en garantissant aux producteurs, dans la plupart des filières, un prix d’intervention stable et attractif, éloigné du prix mondial fluctuant, ce qui correspond à une subvention à l’unité produite. Il en résulte que l’argent de la PAC dépensé pour soutenir les prix agricoles bénéficiait mécaniquement aux plus gros producteurs.
Années 90 et 2000 : une PAC libéral-productiviste
Les réformes de 1993 mises en œuvre sous la pression de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ont mis à mal cette régulation des marchés. Elles ont non seulement entraîné la baisse des prix à la production mais conforté les rentes de situation existantes, c’est-à-dire les inégalités de revenus entre agriculteurs. Ainsi les « aides compensatoires » calculées à l’hectare en fonction des cultures ou, à la tête de bétail, ont continué de concentrer l’argent public sur les systèmes de production les plus compétitifs et les exploitations agricoles les plus grandes. Le financement de « mesures agro-environnementales » est resté marginal au sein du budget agricole européen.
La réforme des années 2000, qui introduit des DPU « droits à paiement unique » versés à la parcelle sur la base des aides touchées précédemment, ne change rien à la philosophie globale du système. Les inégalités sont consolidées et le secteur agricole devient le seul secteur de l’économie qui voit la puissance publique subventionner le capital contre le travail, autrement dit financer la destruction d’emplois !
Années 2010 : une PAC plus verte et solidaire, mais des marchés dérégulés
En remplaçant les DPU par trois paiements « de base », « vert » et « redistributif », la réforme de la PAC de 2015 commence à corriger un système devenu rigoureusement indéfendable, notamment en période de chômage. La réforme améliore significativement la prise en compte des pratiques respectueuses de l’environnement : le paradigme productiviste est écorné. Pour autant le mouvement de dérégulation des marchés, élément central dans la crise agricole, se poursuit. Les agriculteurs se trouvent de plus en plus exposés à la baisse tendancielle et à la volatilité des prix qui trouvent leurs racines dans le fonctionnement des marchés mondiaux des produits agricoles. Ainsi, la crise laitière qui connaît son pic début 2016, est provoquée par la suppression des quotas laitiers illustre tristement ces mécanismes.
De nouveaux enjeux sociétaux pour la formation
L’agroécologie ne suffit pas
Le choix du ministère de l’agriculture de développer l’agroécologie, répond à des enjeux sociétaux qui s’imposent à tous, notamment, la gestion soutenable des ressources offertes par l’environnement et la lutte contre le changement climatique. Il en va de même pour ce qui concerne l’émergence de systèmes de production innovants, plus résilients et mieux insérés dans les territoires. Pour autant la mission de l’enseignement agricole va encore au-delà de la promotion de ces nouveaux concepts : elle relève également de la construction d’un nouveau contrat social.
Former des agriculteurs paysans, des artisans du monde rural
Crise du productivisme et dérégulation des marchés autrefois administrés obligent, le mythe de l’agriculteur-chef-d’entreprise pétri de culture scientiste et victime d’une image dégradée s’est brisé. Tant mieux. L’enjeu est désormais de former des agriculteurs-paysans, en mesure de vivre décemment du fruit de leur travail, fiers de produire des aliments de qualité. Des agriculteurs fiers de travailler avec la nature riche de ses écosystèmes, plutôt que de tenter de la soumettre, et de contribuer à la production de biens communs que sont la lutte contre le réchauffement climatique, la vitalité du monde rural et la qualité des paysages. Ainsi l’enseignement agricole a un rôle clé à jouer dans la réhabilitation du métier de paysan, dans la construction d’un nouveau contrat social entre le monde agricole et le reste de la société, entre paysans et consommateurs.
Passer d’une pédagogie de l’inculcation à la pédagogie au service de la créativité.
Si hier, l’objectif était de former des professionnels compétents pour appliquer des préconisations issues de l’appareil d’encadrement,l’agriculteur de demain se devra d’être innovant et créatif. La reterritorialisation des agricultures et l’agroécologie induiront un changement de pratiques permettant à l’agriculteur-paysan de retrouver toute sa place. En fonction du contexte social, économique et environnemental où il sera immergé, il devra s’adapter et inventer son propre système d’exploitation. Il s’agit donc de mettre en place une pédagogie qui intègre la formation au jugement et à l’innovation.
Un nouveau contrat social à conforter par la politique agricole
Il n’en reste pas moins que la politique agricole européenne se doit impérativement d’intégrer cette dimension sociétale. Cela passe par l’arrêt de la destruction des outils de régulation des marchés agricoles et par des choix budgétaires plus affirmés, qui valorisent encore mieux les pratiques agricoles vertueuses pour l’environnement et favorisent une agriculture intensive en emplois de qualité. Cela exige de ne pas céder aux pressions des lobbies productivistes, agricoles et industriels, qui n’ont pas rendu les armes… loin de là.