Déclaration liminaire du Sgen-CFDT au Conseil Supérieur de l'Éducation du 11 décembre 2018.
Monsieur le Ministre,
Depuis maintenant une dizaine de jours, des lycéens et lycéennes se mobilisent notamment pour demander une autre politique éducative et une autre politique de la jeunesse. Il y a de nombreuses années que les politiques jeunesses et la politique de la ville sont exsangues.
Si tous les systèmes d’enseignement actuels récompensent le mérite, en France cet idéal d’excellence se combine avec un idéal d’égalité des chances qui consiste à offrir la possibilité à chaque élève d’accéder à l’excellence et à l’élitisme dans le cadre d’une compétition scolaire massifiée depuis les années 70. On retrouve les traits de ces idéaux dans les mesures prises par votre ministère depuis un an :
L’égalité des chances serait garantie au départ pour toutes et tous par l’apprentissage des fondamentaux et pour les élèves de milieux défavorisés par le dédoublement des CP et CE1. Au-delà de ces années, une compétition « libre et non faussée » pourrait dès lors s’engager. « L’assouplissement » de la réforme du collège, au nom de la lutte contre l’égalitarisme, a permis de rétablir les filières (et leur logique ségrégative) censées favoriser l’excellence de quelques uns au détriment de l’acquisition du socle commun pour tous.
Le principe d’une hiérarchie des établissements est pour ainsi dire naturalisé, l’essentiel pour les pouvoirs publics étant de permettre à chacun d’entre eux de participer à une forme de compétition visant à attirer les élèves.
Le maintien voire le confortement des paliers d’orientation de 6ème, entre SEGPA et collège, de 3ème entre voie pro et voie GT et de 2nde entre voie G et voie T sont autant de moments de tri de ceux qui ont gâché leur chance de parvenir aux premières places dans la compétition scolaire. Le « rétablissement » du redoublement va dans le même sens. La réforme du lycée n’a pas plus remis en cause la hiérarchie des filières G, T et P. Elle a au contraire renforcé l’enseignement disciplinaire dans sa version traditionnelle en supprimant (EE, TPE) ou marginalisant (AP) tous les autres dispositifs. Cette approche se retrouve dans le pilotage des établissements. La dotation des établissements en options ou en spécialités (note de service aux recteurs de cet été) doit se faire en fonction de l’attractivité des lycées et collèges et non de leur profil social. Le principe d’une hiérarchie des établissements est pour ainsi dire naturalisé, l’essentiel pour les pouvoirs publics étant de permettre à chacun d’entre eux de participer à une forme de compétition visant à attirer les élèves.
une vision de la justice pas tenable socialement
Du moment qu’on a doté les élèves et les établissements pour leur garantir une forme d’égalité des chances le système est donc juste. Mais cette vision de la justice, portée par un personnel politique issu de ce système exclusivement méritocratique, n’est pas tenable socialement.
Diviser la jeunesse sans construire politiquement et socialement des perspectives pour toutes et tous ne permettra pas de réduire le niveau de violence.
Une telle logique oublie que les inégalités scolaires, prégnantes dans notre système scolaire sont particulièrement corrélées aux inégalités socio-économiques des familles. La lutte contre ce déterminisme a été évacuée du discours ministériel, sauf à considérer le dédoublement des CP/CE1 en REP et en REP+ comme la solution unique et définitive à ce problème. Le SNU, qui vise à un brassage social, ne sera qu’un piètre alibi à une politique qui va renforcer cette ségrégation scolaire. Deux semaines voire un mois passé ensemble à 16 ans n’effaceront en effet jamais des années de ségrégation.
Diviser la jeunesse sans construire politiquement et socialement des perspectives pour toutes et tous ne permettra pas de réduire le niveau de violence. Le Sgen-CFDT considère que les questions éducatives au sens large, de l’insertion professionnelle des jeunes, de prévention et de lutte contre le décrochage scolaire, ainsi que celle de la mixité sociale sont autant de défis majeurs pour notre société, que l’École ne résoudra pas seule.
la mobilisation lycéenne, l’expression d’un malaise général
Pour le Sgen-CFDT cette mobilisation est l’expression d’un malaise général lié à un grand sentiment d’incertitude et d’injustice. L’absence de mesures significatives pour améliorer et mieux accompagner des parcours d’études et de formation des jeunes, le discours persistant sur le niveau qui baisse et la supposée perte des valeurs républicaines, l’annonce de la mise en œuvre d’un service national universel coûteux sont autant de messages dévalorisants pour la jeunesse. Le Sgen-CFDT fait savoir depuis plusieurs mois que certains choix ne sont pas à la hauteur d’une politique ambitieuse pour la jeunesse.
Une réponse politique est nécessaire et urgente pour ne pas en rester à un cycle violence/maintien de l’ordre/répression.
Il est insupportable de déplorer déjà des blessé·es, mais c’est uniquement grâce au professionnalisme des personnels de l’Éducation nationale et des forces de l’ordre que la situation ne dégénère pas davantage. Le Sgen-CFDT est cependant extrêmement préoccupé pour la sécurité et l’intégrité des élèves et des personnels. Le Sgen-CFDT appelle au calme et à la retenue afin de retrouver la sérénité nécessaire au dialogue. Une réponse politique est nécessaire et urgente pour ne pas en rester à un cycle violence/maintien de l’ordre/répression.