Cette déclaration liminaire au CSA MESR du 11 décembre 2023 est l'occasion d'une première réaction de la fédération des Sgen-CFDT aux déclarations du président de la République du 7 décembre 2023 concernant la recherche.
Le 7 décembre, le président de la République a présenté ce qu’il retenait du rapport Gillet sur la recherche. Ce discours revient à demander aux opérateurs (universités et organismes nationaux de recherche), étrangement mis au même niveau que le ministère de l’Enseignement supérieur de recherche lui-même, de mettre en œuvre en matière de recherche des réformes annoncées comme profondes, le tout “à marche forcée” pour reprendre une expression hélas chère au président de la République, c’est-à-dire quasi immédiatement, en 18 mois tout au plus.
Des annonces du Président faites sans concertations
Pour le Sgen-CFDT, il n’est pas acceptable que ces décisions soient annoncées verticalement, sans être précédées par un dialogue social de qualité permettant de faire émerger des éléments partagés sur le diagnostic et un consensus sur les objectifs et le cheminement pour les atteindre.
Une fois de plus, la méthode pose problème, parce qu’elle ne s’appuie pas sur le regard que les personnels portent sur leur travail, sur leurs missions, et que portent, dans leur diversité, les organisations syndicales représentatives.
C’est bien avec les organisations présentes au CSA MESR, élues par les personnels, qu’il faut construire l’avenir du système public d’enseignement supérieur et de recherche pour améliorer leurs conditions de travail et permettre la réalisation des missions qui leur sont confiées au bénéfice de l’ensemble de la société.
Nous n’évoquerons pas ici le conseil présidentiel de la science, puisqu’il semble relever de la seule organisation interne des services du président de la République. S’il en était autrement cela poserait question, la constitution prévoyant toujours, à son article 20, que c’est le gouvernement (et non la présidence) qui “détermine et conduit la politique de la nation”.
Les constats sont partagés, mais les causes divisent
Le Sgen-CFDT partage le constat du président quant au financement insuffisant de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ces dernières années. Nous ne partageons par contre pas son autosatisfecit quant à la loi de programmation pour la recherche : les hausses budgétaires prévues ont été en grande partie absorbées par l’inflation de ces dernières années, et entament à peine le passif laissé par une longue période de grave sous-financement du système public d’enseignement supérieur et de recherche.
De même, si le Sgen-CFDT partage le constat de la complexité administrative vécue par tous les acteurs du monde de la recherche, nous ne partageons pas son avis quant aux causes. Les nombreuses réformes de ces dernières années, et notamment la réorganisation des campus avec les Établissements Publics Expérimentaux, ont largement aggravé cette complexité.
Rappelons par exemple que l’université Paris Saclay, plusieurs fois citée en exemple, connaît une période de tensions considérables, les personnels (et en particulier les personnels propres de l’établissement) ne se reconnaissant plus dans la structuration de l’établissement, et encore moins dans le projet qui est actuellement construit pour la sortie de l’expérimentation. Loin d’être la réussite souvent vantée, le déploiement des EPE aggrave considérablement l’illisibilité du système et engendre bien souvent de la souffrance supplémentaire pour les agents.
Un calendrier annoncé qui sera difficile à tenir
Nous sommes surtout très inquiets quant au calendrier annoncé pour les réformes (18 mois), qui nous paraît totalement irréaliste, et qui ne tient pas compte de l’épuisement des collègues. Nous avons enchaîné des séries de réforme depuis 20 ans.
Ces réformes incessantes ont épuisé les collègues, qui ont besoin aussi de stabilité et de sérénité pour faire leur travail dans de bonnes conditions.
Ce calendrier est d’autant plus difficile à tenir que d’autres réformes sont déjà lancées, qui auront des conséquences importantes sur les universités et les organismes de recherche – mentionnons, à titre d’exemple, la (nouvelle) réforme de la formation des enseignants ou la fusion annoncée entre ASN-IRSN.
L’enseignement universitaire reste en sous-financement
Sur les contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP), qui devraient concerner une part plus grande du budget des universités : pour l’instant, elles ne reçoivent pas assez d’argent pour assurer leur mission d’enseignement supérieur. C’est un point essentiel : on ne peut pas déconnecter la recherche de l’enseignement supérieur, et le sous-financement de l’université pénalise tout l’écosystème de l’ESR. Une augmentation du volume des COMP n’a de sens que si un « socle » est assuré, ce qui est loin d’être le cas, la situation s’étant même terriblement dégradée. Dans ces conditions, le risque est grand d’enclencher un cercle vicieux pour les établissements : moins de moyens, moins de possibilité de financer les politiques mises en œuvre, donc moins de moyens octroyés au titre de la performance.
C’est prendre le risque de dégrader encore les conditions de travail et d’études dans les universités alors même que le président de la République semble vouloir “se battre contre les déterminismes et les inégalités”.
Certaines annonces du Président restent floues
En réalité, la manière dont sont formulées les annonces présidentielles sont extrêmement floues, et nous avons un besoin urgent d’éclaircissements :
Sur la « transformation des ONR en agences de programme »
S’agit-il d’une transformation, ou d’une mission supplémentaire ? Et dans le dernier cas, comment serait garantie la compatibilité entre ces mission d’arbitrage et leur rôle d’opérateur ? Et avec quels moyens humains envisage-t-on de mettre en œuvre ces missions? Enfin, si ces agences doivent assurer un pilotage scientifique de la recherche, cela ne peut se baser que sur une interaction constante avec l’ensemble de la communauté scientifique concernée. Comment ces interactions seront-elles construites ?
Sur les « universités comme chefs de file de la recherche sur le site » et le prétendu acte 2 de leur autonomie
Comment, avec quels moyens ? S’agira-t-il d’une réorganisation en profondeur, ou d’une simple mission de coordination renforcée à l’échelle des sites? Quelles conséquences en termes de gestion des ressources humaines ? Comment sera pris en compte l’ensemble, toujours croissant, des missions des universités ?
Les attentes vis à vis du MESR
Nous demandons au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche de rencontrer au plus vite les organisations représentatives afin de structurer le dialogue social sur la politique de recherche, et sur la politique d’enseignement supérieur qui en est inséparable.
Nous refusons une application des annonces présidentielles sans dialogue social permettant de construire l’avenir de la recherche publique.
Rappelons d’ailleurs que nous attendons toujours un travail de mise en œuvre des conclusions du rapport de la mission Jolion. Sur ces deux sujets, le Sgen-CFDT restera attaché à ses objectifs : améliorer les conditions d’exercice et la reconnaissance des personnels qui concourent aux missions d’enseignement supérieur et de recherche, quel que soit leur métier, afin de dynamiser la recherche, de développer et démocratiser l’enseignement supérieur.