Après cinq ans de verticalité, le Sgen-CFDT accueille avec intérêt la volonté affichée de remettre de l’horizontalité et de repartir de là où se joue l’essentiel, les écoles et les établissements. Pour autant, les contours des débats annoncés doivent absolument être clarifiés...
L’expérience des cinq années écoulées montre qu’une politique éducative, quels que soient ses objectifs, ne peut pas ruisseler depuis le sommet de la pyramide hiérarchique. Elle montre aussi les limites délétères du pilotage par les procédures plutôt que par le sens.
Inversement, les acteurs de la première ligne éducative ont démontré pendant la crise sanitaire, et en particulier au moment du premier confinement, que même en l’absence de prescrits, ils étaient capables d’assurer dans l’immense majorité un travail de continuité pédagogique efficace et de qualité. Cette période a mis en lumière la puissance créatrice des acteurs de terrain, qui demeurent les mieux armés pour trouver localement les solutions adaptées à leur public et à leur territoire.
Il faut donner leur place aux personnels et à la société civile organisée (associations, syndicats) dans la définition des ambitions éducatives du pays. C’est un chantier démocratique essentiel. La proposition de larges consultations des communautés éducatives peut être utile. Mais leurs objectifs et leurs modalités restent à clarifier.
Quelles finalités pour ces débats ?
Les déclarations du président et du ministre laissent entendre que les écoles et établissements volontaires pourraient, s’ils le souhaitent, discuter de projets susceptibles de faire l’objet de financement par un fonds d’innovation pédagogique doté de 500 Millions d’euros. Préciser les termes des débats est nécessaire pour lever les malentendus, avec un préalable : une politique ambitieuse d’éducation doit s’accompagner de moyens à la hauteur des enjeux, dans le premier degré comme dans le second degré.
Qu’entend-on par projet ?
Projet dans le sens de projet d’établissement ou du projet d’école ?
Auquel cas, il convient d’interroger la périodicité de celui-ci. La situation sera différente, suivant que le projet vient d’être discuté ou non, qu’une évaluation d’école ou d’établissement ait eu lieu ou non. Il faudra veiller à ce que l’empilement des « analyses » n’en trouble le sens.
Projet dans le sens de projet pédagogique, comme cela a pu être énoncé ?
Auquel cas, il faut poser la question du nombre d’élèves concernés et de l’articulation avec ce qui se passe dans la classe, alors même qu’il n’est pas question de revoir les programmes nationaux, y compris dans ce qu’ils ont de plus contraignants. Autre point à préciser : si on parle d’innovation, c’est du ressort des équipes d’établissement ; si on veut y associer l’ensemble de la communauté éducative, c’est de projet éducatif qu’il faut parler.
Projet dans le sens de projet éducatif de territoire ?
Ça n’a jamais été formulé ainsi jusqu’ici, mais le Sgen-CFDT propose d’expérimenter des pôles éducatifs de territoire qui, au cœur d’un établissement public, permettraient de favoriser la prise en charge pour les différents temps de sa vie. Ces projets territoriaux doivent se construire collectivement en associant tous les acteurs, la population et le réseau partenarial.
Projet dans le sens d’appel à projet ?
Le discours politique a beaucoup insisté sur les moyens mis à disposition dans un fonds d’innovation pédagogique doté de 500 millions d’euros. La question du financement est-elle au cœur de la démarche ? S’agit-il de lancer une sorte d’appel à manifestation d’intérêt à destination des structures pédagogiques ? Et plus largement, qu’est-ce qui est susceptible d’être financé ? Certains établissements ont, ces dernières années, débloqué des moyens sur leurs fonds de réserve pour financer des interventions de professionnels de santé (orthophonistes, psychologues). Il ne s’agit pas d’innovations pédagogiques, mais pourtant bien de répondre à des besoins clairement identifiés de leurs élèves…
Quelles modalités ?
Quelle lien avec le Conseil national de la refondation ?
Cette instance ad hoc doit se réunir à partir du 8 septembre et doit discuter notamment de l’École. À ce stade, l’articulation entre les débats locaux et cette consultation nationale n’est pas définie…
Quel lien avec l’agenda social ?
Des discussions essentielles vont s’ouvrir dans les semaines qui viennent en particulier sur la revalorisation des agents. On ne sais pas pour l’instant comment les chantiers vont se coordonner…
Quelle mise en cohérence entre les différents débats locaux ?
Les établissements et les écoles d’un même territoire, d’un même réseau, ont inévitablement des centres d’intérêts communs… reste à définir les modalités de la coordination qui pourrait être menées.
Quelle organisation des débats ?
Les acteurs du système éducatif sortent harassés d’une période de crise sanitaire. Celle-ci s’est cumulée à une crise de confiance majeure envers l’institution. Rien ne serait pire de donner l’impression de « débats occupationnels » sans perspective claire. Or les expériences passées ont laissé un goût amer… Le ministre a annoncé qu’il n’y aurait pas de date limite. Les débats pourront commencer en 2023, ce qui va dans le bon sens. Mais ce ne sera pas suffisant. Ce qui manque cruellement dans les écoles et les établissements, c’est du temps. Il faudra en dégager pour permettre des échanges constructifs. Cela implique de banaliser des moments communs et de desserrer les contraintes institutionnelles traditionnelles…
Quelle validation des projets ?
Le ministère a évoqué des jurys pour sélectionner les projets financés. Selon quels critères ? Et qui en ferait partie ?
Un véritable temps de démocratie participative sur l’École et ses finalités nationales et locales a du sens. Elle doit prévoir des débats tels qu’annoncés. Mais il doit aussi faire sa place aux travaux des instances représentatives de la société civile organisée, CESE et CESER d’un côté, CSE et CAEN de l’autre. C’est la condition de sa réussite.