La directive européenne sur la transparence salariale ouvre des perspectives ambitieuses pour faire progresser l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

La directive européenne sur la transparence salariale devant être transposée en droit français d’ici l’été 2026, nous avons demandé à
, secrétaire nationale de la CFDT en charge des questions d’égalité femmes-hommes depuis 2018 et représentante des travailleurs français à l’Organisation internationale du travail (OIT), de nous dire quelles avancées concrètes elle allait permettre.Un large extrait de cet entretien a paru dans le dossier « Égalité professionnelle femmes-hommes. Que prévoit le nouveau plan national d’action ? », Profession Éducation, no 299 de Janvier-février-mars 2025.
Comment la CFDT porte-t-elle la question de l’égalité professionnelle à l’OIT ?
les crises successives – Covid, crises énergétiques, financières, climatiques… – ont dégradé la situation des femmes dans le monde.
Comme déléguée des travailleurs français à l’OIT et siégeant à son conseil d’administration, je m’attache à ce que cette question, quelle que soit la thématique traitée, ne soit pas oubliée. De plus, j’ai beaucoup œuvré pour qu’il y ait une discussion générale sur le sujet à la prochaine Conférence internationale du travail (CIT) car les crises successives – Covid, crises énergétiques, financières, climatiques… – ont dégradé la situation des femmes dans le monde. Il y a donc un enjeu systémique à regarder comment cette situation évolue.
Hélas, on est très loin d’avoir réalisé les objectifs de développement durable fixés par l’ONU. Ces axes restent des appuis pour continuer de défendre l’égalité femmes-hommes, mais il nous faut lutter contre des vents contraires – nombre d’États représentés à l’OIT et à l’ONU ayant des positions rétrogrades. Si les droits des femmes ne sont pas attaqués frontalement, la bataille internationale qui se joue aujourd’hui touche les droits des LGBTQIA+ avec d’invraisemblables empoignades et chantages menés par des pays africains et du Moyen-Orient – appuyés par la Chine, la Russie, Cuba… – pour supprimer des textes toute mention sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre… Les différentes forces politiques en présence instrumentalisent ce sujet. On le voit bien dans le débat international comme dans certains scrutins aux États-Unis, en Argentine et aussi en Europe. C’est une bataille qui se joue aussi en France et qu’il ne faut pas lâcher !
partout dans le monde le syndicalisme se féminise
Il faut saluer également la mobilisation de la Confédération syndicale internationale : son comité Femmes, auquel participe la CFDT, travaille sur les questions de réalisation des objectifs de développement durable de l’ONU. Enfin, note constructive, la voix des femmes et la question de leurs droits sont de plus en plus entendues, y compris au sein du mouvement syndical international, parce que partout dans le monde le syndicalisme se féminise.
Qu’en est-il au niveau européen dans le cadre de la Confédération européenne des syndicats (CES) ?
C’est aussi un sujet primordial pour la CES – et son Comité des femmes est tout particulièrement identifié pour ses réflexions et actions en matière de défense des droits des femmes. Parmi les derniers travaux sur lesquels s’est prononcée la CES, outre son soutien à l’adoption en juin 2019 de la directive européenne relative à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, citons une directive sur les violences faites aux femmes. On y trouve nombre de revendications portées par les organisations syndicales internationales – et en leur sein la CFDT, avec cependant une grande déception puisque la France, malgré le quasi consensus de l’ensemble des pays européens, s’est opposée à ce qu’y figure la définition du viol et la notion de consentement au prétexte qu’une directive européenne ne peut pas modifier le droit pénal national. Par conséquent, cette directive ne peut pas impacter de la même manière le droit français que le fera dans le domaine des rémunérations la toute récente directive européenne sur la transparence salariale.
Où en est-on de la transposition de cette directive européenne sur la transparence des rémunérations dans notre législation ? En quoi pourra-t-elle être un point d’appui pour faire avancer l’égalité professionnelle ?
La CES a fortement pesé au moment de la discussion sur cette directive adoptée en 2023. Elle est ambitieuse en matière d’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes et, chose nouvelle dans le paysage, elle s’applique aux secteurs public et privé. Les pays européens ont jusqu’à juin 2026 pour en opérer la transposition dans leur droit national respectif.
Avancer vite sur cette transposition a été un engagement de la Première ministre, Élisabeth Borne, lors de la conférence sociale d’octobre 2023. Après une première réunion, tout a été suspendu du fait de la situation politique. Le gouvernement Bayrou a annoncé en ce début d’année qu’il voulait clore la discussion avec les organisations syndicales et patronales avant l’été pour pouvoir enclencher le processus législatif à l’automne 2025.
Les pays européens ont jusqu’à juin 2026 pour en opérer la transposition dans leur droit national respectif.
La CFDT attend beaucoup de cette directive car ses exigences sont supérieures à ce qu’on trouve en droit français, notamment concernant le seuil d’écart acceptable entre les rémunérations des femmes et des hommes : elle le fixe à 5 % ; au-delà, il y a obligation pour les entreprises et les administrations de corriger. Il faut savoir que l’écart de salaire en France est d’environ 15 % – un peu moins si on neutralise l’effet du temps partiel. Dans le secteur privé mais aussi dans les fonctions publiques, la directive va beaucoup impacter l’index français « égalité professionnelle » (ndlr : outil visant à calculer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans les entreprises d’au moins 50 salariés, et dans les fonctions publiques), car ses indicateurs ne sont pas cohérents avec ceux de l’index – ils sont en effet plus précis et nombreux. Aussi au terme du travail d’application, soit l’index aura disparu, soit il aura été totalement repensé pour intégrer les indicateurs fixés par la directive européenne.
La CFDT ne pense pas que l’index n’a eu aucun effet. Il visait à réduire des écarts inexpliqués de salaires, c’est-à-dire ceux que n’expliquaient pas les systèmes de qualification ou les positionnements des métiers dans les filières. Par exemple, la moitié des entreprises privées n’appliquaient pas la loi en ce qui concerne le maintien de la rémunération suite au congé de maternité. L’index a corrigé cela. Mais la directive européenne de transparence salariale est plus ambitieuse car elle interroge non seulement les écarts non expliqués, mais encore la notion de « travail de valeur égale ». La définition qu’elle en donne est plus complète que celle figurant dans notre Code du travail. Notamment, elle introduit les compétences invisibles (soft skills), paramètre bien connu des gens qui s’occupent de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes : il s’agit de compétences requises pour un poste – et cela touche singulièrement les métiers très féminins de l’accueil, de l’éducation, du soin… pour lesquels vont être exigés empathie, sens de l’écoute, contrôle de soi… compétences qui semblent naturelles pour occuper le poste mais qui ne sont jamais reconnues, jamais valorisées. Ainsi, comparées aux rémunérations dans le tertiaire, les rémunérations dans les filières techniques, plus masculines, sont meilleures parce que les compétences, la pénibilité (travailler dans le froid…) sont reconnues par des primes. Alors que se faire insulter quand on est hôtesse d’accueil n’est pas pénible !
la transposition de la directive européenne ouvre des perspectives intéressantes parce qu’elle a une vision beaucoup plus systémique que ce qu’on avait en droit français
Sur cette volonté d’avoir concrètement « un salaire égal pour un travail égal », la directive ouvre un chantier aussi bien pour le secteur public que privé. De manière générale, elle introduit des questionnements et donne des points d’appui au dialogue social, lequel est aussi intégré comme condition sine qua non de son application. Par exemple, quand un écart de salaire supérieur à 5 % sera constaté – et cela vaudra autant pour les entreprises privées que pour la fonction publique –, c’est l’administration désormais qui calculera les salaires à partir des renseignements que doivent lui communiquer les employeurs. À partir de ces données, il y aura obligation de concevoir un plan de correction avec les organisations syndicales. Indéniablement, la transposition de la directive européenne ouvre des perspectives intéressantes parce qu’elle a une vision beaucoup plus systémique que ce qu’on avait en droit français, et qu’elle donne des outils aux représentants des salariés.