Déclaration Liminaire lue au CSAMEN le 26 septembre 2023
Monsieur le ministre,
Mesdames et messieurs,
Comme chaque année, la rentrée scolaire pour les personnels est un engagement fort pour assurer du mieux possible l’accueil des élèves. Pour les équipes des écoles, collèges et lycées, c’est une période riche des rencontres avec les élèves, de retour au collectif de travail.
Cependant, cette rentrée se révèle éprouvante pour nombre de nos collègues dans tous les métiers qui font l’École au quotidien. Éprouvante au point que nous avons parfois l’impression que le système éducatif est proche de l’aspiration dans une spirale négative.
La pénurie de personnels faute de recrutements suffisants, du fait de départs plus ou moins choisis, a pour conséquence la dégradation des conditions de travail de toutes et tous, dans tous les métiers.
C’est un mouvement lent, qui s’inscrit dans la durée depuis plusieurs années. Cette situation délétère n’est pas le résultat de votre nomination Monsieur le ministre. C’est le résultat d’années de sous investissement dans l’éducation.
Certes, le budget de l’Éducation nationale a augmenté ces dernières années, et même avant 2017. Mais cet engagement n’a pas été à la hauteur d’abord de la volonté de démocratiser le système éducatif, puis de la nécessaire adaptation à la croissance démographique, de l’ampleur de nouvelles missions et de nouvelles attentes sociétales vis-à-vis de l’École, et désormais de l’inflation.
Cette dégradation des conditions de travail est aussi alimentée par les revirements de politique éducative, par une volonté réformatrice qui fait souvent trop peu de cas de l’analyse et des réalités professionnelles de celles et ceux qui mettent en œuvre les politiques décidées par le gouvernement.
Les discours de bateleurs et bateleuses d’estrade qui pensent savoir comment fonctionne l’éducation nationale et se permettent des jugements hâtifs, s’imaginent qu’il existe des mesures miracles et d’effet immédiat, sans pour autant être très clair.e.s sur l’École qu’ils et elles voudraient, certains et certaines fantasment sur une École d’autrefois ripolinée en mythe vers lequel retourner, celles et ceux-là n’arrangent rien, bien au contraire.
Le grand enjeu qui est devant nous toutes et tous, aux places et responsabilités qui sont les nôtres, est de construire les mesures qui pourraient permettre de redresser la situation. Il n’y aura pas de solution magique et d’effet immédiat tant la crise est profonde, ancrée.
Il faudrait identifier quelle vision de l’École est partagée dans notre société. Pour le Sgen-CFDT, il faudrait donner les moyens d’organiser et de bâtir une École de la réussite pour toutes et tous.
Cela suppose d’orienter les politiques éducatives et sociales dans cette direction.
- Est-il tolérable que des enfants et leur famille à la rue ou mal logées, des mineurs étrangers en particulier celles et ceux qui ne sont pas accompagnés ne soient pas scolarisés ?
- Est-il tolérable que plus de 10 000 lycéen.ne.s ne trouvent pas de place ?
- L’État renonce-t-il sans l’assumer à l’obligation de formation à 18 ans qui lui incombe et au droit à l’erreur pour des jeunes et donc à celui de se présenter de nouveau au baccalauréat sans se retrouver candidat libre faute de place dans un lycée ?
- L’État regarde-t-il ailleurs quand manifestement plusieurs milliers d’enfants sur notre territoire n’accèdent pas à leur droit à l’éducation ?
Au Sgen-CFDT, nous ne pouvons nous y résoudre et nous revendiquons les moyens et l’organisation nécessaires à la scolarisation de ces enfants et jeunes dans de bonnes conditions pour eux et pour les personnels.
Sortir le système éducatif de la spirale négative suppose aussi de se donner le temps de construire des politiques cohérentes et sortir d’une gouvernance marquée par des revirements, parfois brutaux, avec des consignes à mettre en œuvre immédiatement même si cela revient à jeter à la poubelle des mois de travail effectué dans le sens des consignes précédentes.
Une partie des consignes contenues dans le guide sur les remplacements de courte durée dans le second degré n’ont fait l’objet d’aucun dialogue social. Nous contestons, vous le savez monsieur le Ministre, plusieurs pistes proposées par vos services qui vont à l’encontre des principes élémentaires de promotion de la qualité de vie au travail et de l’amélioration des conditions de travail.
L’impact sur l’organisation de la formation continue s’est apparentée à une déflagration qui laissera des traces quand bien même vous assoupliriez les consignes. Nous risquons fort un nouvel effondrement de la formation continue après celui qui a touché d’abord les professeur.e.s des écoles depuis plus de 10 ans.
Le résultat, c’est que nous avons toutes et tous, quelles que soient nos responsabilités dans le système éducatif, l’impression d’être face à des injonctions contradictoires provenant directement du ministère.
Faut-il organiser et mettre en œuvre un grand plan de formation des enseignant.e.s sur le harcèlement, sur la laïcité, sur l’éducation à l’égalité filles-garçons et l’éducation à la sexualité, ou bien, finalement, faut-il réduire la voilure pour que tout tienne en dehors du temps d’enseignement ?
Comment construire des collectifs de travail ayant la préoccupation partagée de la prévention, de la détection, et la lutte contre le harcèlement, et plus largement du bien-être des élèves, si chacun et chacune se forme seul en soirée, avec quelques collègues uniquement le mercredi après-midi, ou avec les quelques uns qui accepteraient de se former pendant les vacances des élèves, déplaçant une autre dimension de leur travail à un autre moment, ce qui in fine réduira leurs congés ?
Que fait-on alors de l’articulation vie professionnelle-vie personnelle qui est au cœur des objectifs de QVT et d’égalité femmes-hommes ? Il n’y a pas que sur le harcèlement que la formation collective, que la formation de collectifs professionnels a du sens.
Cette mécanique d’augmentation de la charge de travail, d’intensification du travail est à l’œuvre sur d’autres pans de politique éducative et pour tous les personnels. A quel moment se soucie-t-on des conditions de travail, de la charge de travail réelle des personnels quand on met bout à bout tout ce qu’il y a à faire ? Faut-il renoncer à bien faire ? Faut-il bien faire jusqu’à l’épuisement ? A quel moment analyse-t-on le niveau des risques psychosociaux, les causes de démissions, ruptures conventionnelles, de congés maladie ?
Vous avez ouvert des concertations sur la reconnaissance et l’attractivité du métier enseignant. Vous avez rappelé que des concertations auraient aussi lieu pour les autres catégories de personnels. La prise en compte des difficultés majeures pour les personnels des services déconcentrés et des EPLE face au déploiement de RenoirRH et d’Op@le que vous avez évoquée dans vos propos est une bonne chose, et apporte une réponse à des alertes dont nous avons fait part depuis plusieurs mois.
Pour que ces concertations, et demain la négociation d’un accord QVT et CT, puissent déboucher sur des améliorations perceptibles par nos collègues, il conviendra de disposer de marges budgétaires pour répondre au défi des conditions de travail. Il conviendra d’accepter de revenir sur des politiques éducatives et des modes de gouvernance qui mettent sous pression et limitent la capacité des personnels à accompagner tous les élèves quels que soient leur handicap, leurs difficultés de santé éventuels, leurs besoins éducatifs particuliers, la précarité économique et sociale dans laquelle ils et elles vivent.
Nous avons besoin d’équipes pluriprofessionnelles complètes. Nous avons besoin d’une autre conception des programmes d’enseignement et de l’enseignement afin de faire droit, de nouveau, à notre expertise pédagogique.
Il conviendra aussi de prolonger la dynamique de revalorisation des rémunérations. Pour le Sgen-CFDT, il faut aller plus loin en termes de revalorisation sans condition des éléments de rémunération bénéficiant à toutes et tous, à la fois au niveau de la fonction publique et spécifiquement à l’Éducation nationale. Cela suppose une programmation pluriannuelle.
Déclaration intersyndicale suite aux propos tenus à l’assemblée nationale mercredi 20 septembre à une table ronde sur la rentrée 2023.