Une adhérente CFDT raconte son travail
Les EAF, épreuves anticipées de français. Jamais sur les grands médias nationaux n’est évoquée cette épreuve qui porte pourtant tellement la marque du ministère Blanquer. Nous faisons passer à nos élèves du 21ème siècle une épreuve que les enseignants de Lettres préparent pour l’agrégation et que les élèves préparaient il y a cinquante ans de cela… Dans quelle profession se tourne-t-on autant vers le passé ? Dans quelle profession, et même discipline du lycée, est-on si peu ancré dans le 21ème siècle ? Oui, cette réforme des Lettres fait souffrir nombre d’enseignants et d’élèves parce qu’elle n’a pas de sens !
Une réforme absurde
Nous, enseignants de Lettres, sommes devenus de simples exécutants :
- œuvres imposées, avec les axes par lesquels il nous faut les aborder,
- nombre de textes imposé (à Louis Le Grand comme dans n’importe quel lycée d’éducation prioritaire),
- nombre de lignes pour chaque texte,
- minutage aberrant de l’épreuve orale : 2′ de lecture, 10′ d’analyse stylistique, 2′ de grammaire puis 2′ de présentation d’une œuvre complète et 6′ d’échanges !
Les enseignants qui se rencontrent en cours d’année ont des échanges constructifs : « Alors, tu as fait combien de textes ??? » La formule dit d’elle-même la place de l’élève dans cet exercice qui a envahi nos cours. On renonce désormais aux projets en 1ère et les élèves se réjouissent de voir le français disparaître en Terminale. Et on les comprend.
Je ne parlerai ni du commentaire de texte et de son discours formaté ni de la dissertation sur œuvre qui se limite à reprendre ce qui a été vu avec l’enseignant. Et l’écrit de création ? Disparu, bien sûr, alors que nos élèves n’attendent que cela. Qu’on leur donne la parole pour dire le monde qui les entoure, leurs angoisses ou leurs rêves. Le “je” est interdit à l’écrit du bac de français. Quel gâchis ! Voilà pour le fond de cette réforme.
Une réforme qui épuise
Passons à la forme. Les enseignants de Lettres sont épuisés ! Certaines de mes collègues demandent un temps partiel pour éviter de craquer. De nombreux établissements nous contraignent en effet à deux heures supplémentaires quand on doit gérer des classes à 35 élèves ! J’ai calculé qu’il me faudrait trois semaines à 35 heures pour faire écrire trois fois dans le trimestre mes élèves. La préparation à l’EAF n’est donc pas ce qu’elle devrait être au regard des exigences de ce bac !
Alors…alors, le stress monte. Février ou mars, il nous faut organiser un oral blanc. Nos élèves doivent intégrer toute la technicité de l’exercice… Nous avons perdu dans mon lycée trois postes en Lettres avec la réforme mais le nombre d’élèves n’a guère changé. Même en supprimant les cours d’une semaine entière, nous ne parvenons pas à faire passer tout le monde. Tant pis, nous ferons en heures supplémentaires, nos élèves ont besoin de cet entraînement à l’EAF. À ce petit jeu, j’ai calculé qu’en 4 mois je ferai passer 100 oraux de 20′. Auxquelles il faut ajouter un temps de préparation et un temps d’évaluation. Je ne parlerai pas non plus de cette fin d’année que ne nous envient pas nos collègues : une semaine d’oral et 70 copies.
Des conditions d’examens indignes pour l’EAF
J’ai déjà évoqué la forme de cet oral, les conditions d’examen ne valent guère mieux. Nous sommes seules (la féminisation de la discipline explique peut-être le manque de considération dont nous souffrons) dans une pièce. Nous devons faire entrer un premier élève, vérifier son identité, lui donner son sujet, l’installer au fond de la salle pour une demi-heure (moment que nous utilisons en début de demi-journée pour noter les noms, le texte choisi, la question de grammaire sur chaque feuille d’évaluation). Avant qu’il n’ait terminé, nous faisons entrer le candidat suivant (pour ma part, j’ai une feuille sur laquelle je note les heures d’entrée sinon, je me perds…), et c’est reparti pour le même rituel.
Il faut bien calculer. Si on fait entrer l’élève trop tôt, il aura davantage de temps de préparation. Mais, entre temps, si les candidats, qui sont tous convoqués à la même heure, s’agitent un peu dans le couloir (et on les comprend), il nous faut sortir les calmer. Retour rapide dans la salle. On écoute l’élève qui parle seul pendant quatorze minutes sur vingt… Puis il sort. On l’évalue immédiatement. Et on file chercher le suivant.
Après douze candidats, nous ressortons dans un état que je n’avais jamais connu avant de faire passer cette épreuve ! Retour chez nous après cinq journées intenses à l’autre bout du département (j’ai faillé oublier le réveil à 6 heures tous les jours pour rejoindre le centre d’examen). Épuisement. Reste les copies.
Nos collègues, pour nombre d’entre eux, ont terminé l’année. Mais nous sommes les seul.e.s à n’avoir pas toujours notre heure de chaire complète puisqu’elle n’est pas calculée sur l’année de 2de. Parfois, cela contraint à prendre une classe de plus. Alors forcément, l’amertume s’installe. On va finir par ne plus y croire..