En terrain libre est un film d’atelier qui réunit trois réalisatrices, très engagées dans les questions sociales et de création, et des jeunes joueuses du Red Star Sénior de Saint-Ouen. Une comédie musicale-documentaire très originale à voir en classe...
Votre documentaire, En terrain libre, a un titre très polysémique. Que nous donne-t-il à voir et à entendre ?
En terrain libre suit des jeunes footballeuses du Red Star de Saint-Ouen, explorant leur vie au-delà du terrain de football. Il montre comment ces jeunes filles, âgées de 15 à 20 ans, utilisent le football pour affirmer leur liberté et trouver leur place dans leur quartier, leurs familles et leurs communautés. En plus de jouer, elles chantent et partagent leurs histoires, offrant un aperçu vibrant de leur lutte pour l’égalité et leur passion pour le sport. Le titre reflète à la fois la conquête d’un espace traditionnellement masculin et la liberté que revendiquent ces jeunes filles dans leur quotidien.
Comment en est née l’idée ? Pourquoi des jeunes footballeuses, licenciées du Red Star ? Et comment le projet a-t-il été mené puisqu’il s’agit d’un film d’atelier…
L’idée est née de notre constat de la faible présence des filles dans les espaces sportifs publics. En 2019, alors que nous préparions un atelier sur le sport avec des adolescents, nous avons remarqué l’absence de filles de plus de 12 ans. Cela nous a fortement interpelées et nous a conduites à nous intéresser à la section féminine sénior du Red Star, créée récemment.
Le projet s’est concrétisé grâce à un atelier de cinéma de deux semaines, où nous avons travaillé avec les jeunes footballeuses pour créer des chansons et des scènes de film, mélangeant fiction et documentaire. Leur parcours unique et leur engagement dans le football nous ont inspiré à raconter leur histoire.
Pourquoi n’avoir pas filmé les joueuses en action lors d’un match ?
Notre objectif était de montrer ce qui se passe en dehors du terrain. Nous voulions mettre en lumière leurs vies, leurs histoires, et les défis qu’elles affrontent dans leur quotidien. En se concentrant sur les moments dans les tribunes, les vestiaires… les coulisses, nous avons pu capturer leur quête de liberté et d’affirmation personnelle, ainsi que leur passion pour le football, qui va bien au-delà du jeu lui-même.
Nous voulions mettre en lumière leurs vies, leurs histoires, et les défis qu’elles affrontent dans leur quotidien.
En terrain libre, ce sont des filles qui occupent l’espace (enjeu aussi très important à l’École, par exemple dans les cours de récré). Sont-elles emblématiques ou restent-elles une avant-garde ? Et en quoi votre film peut-il changer les regards ?
Les filles du Red Star sont à la fois emblématiques et avant-gardistes. Elles représentent un mouvement de jeunes femmes qui revendiquent leur place dans des espaces traditionnellement masculins. Leur courage et leur détermination sont des exemples inspirants pour d’autres filles et femmes.
En terrain libre peut changer les regards en montrant que les filles ont leur place sur le terrain de football et dans d’autres espaces publics. En le présentant aux scolaires, nous espérons encourager les jeunes à questionner les stéréotypes de genre et à envisager de nouvelles possibilités pour eux-mêmes et leurs pairs.
Quelles sont, justement, les réactions habituelles des élèves quand ils voient En terrain libre ?
Les présentations aux scolaires sont parfois un défi. Les échanges peuvent donner naissance à de belles remarques, parfois étonnantes et touchantes par leur maturité. Mais les élèves sont souvent timides et n’osent pas toujours s’exprimer. Ils peuvent se montrer moqueurs, en particulier lorsqu’ils voient des jeunes filles, « presque comme eux », s’exprimer à l’écran. Ils sont parfois réticents à intervenir dans les débats, et certains garçons semblent hésiter à montrer de l’intérêt, peut-être par crainte de paraitre « différents » devant leurs pairs.
Cependant, je crois fermement que même si les réactions ne sont pas toujours visibles ou immédiates, le film fait bouger des choses dans leur esprit. J’en appelle à leur humanité et à leur capacité d’empathie, leur rappelant qu’ils sont tous nés de femmes et que certains ont peut-être des sœurs. Je leur parle de l’importance de l’égalité et j’essaie de semer des graines d’empathie et de réflexion.
Lors des projections, je remarque parfois des signes subtils de leur engagement : un élève qui se redresse pour mieux voir, des discussions qui se poursuivent après la séance, ou encore des réactions à des moments clés du film. Même si les garçons ne participent pas toujours activement, certains montrent une réelle intelligence et sensibilité lorsqu’ils s’expriment, particulièrement après avoir été encouragés à faire preuve d’empathie envers les femmes de leur entourage.
Nous espérons que ces échanges, même silencieux, contribuent à faire évoluer les mentalités et à encourager une réflexion plus profonde sur les thèmes abordés dans le film. En collaboration avec des enseignant·e·s, nous continuons à travailler pour créer un environnement où ces jeunes peuvent discuter ouvertement et sans jugement des inégalités de genre, du sport, et de leur propre place dans la société.
Outre les sujets abordés (le sport, la banlieue, l’égalité filles-garçons et femmes-hommes…), y a-t-il une curiosité par rapport à l’art, la fabrique du documentaire ?
En fait, dans mes interventions, je pars toujours de mon point de vue qui est celui d’une réalisatrice. Donc je réponds aussi aux non-questions sur la réalisation du documentaire, sur les choix artistiques et les expériences des jeunes performeuses du film. Le but est d’encourager les élèves à voir le documentaire comme un moyen d’expression, mais aussi d’évasion et d’élévation d’eux-mêmes et un outil de changement social.
Vous êtes d’ailleurs trois co-réalisatrices à avoir fondé une association qui s’appelle Cinésphère. Pouvez-vous nous la présenter ?
Avec Depuis plus de douze ans, nous organisons des ateliers de création cinématographique en Seine-Saint-Denis, en impliquant particulièrement les femmes et les jeunes filles des quartiers populaires. Notre objectif est de donner la parole à ceux qui sont souvent sous-représentés dans les médias, et de les encourager à partager leurs histoires à travers le cinéma.
et , nous voulions partager notre passion pour le cinéma et le désir de créer des œuvres collectives et participatives.Pour le visionner en classe, cf. ci-dessous Ressources complémentaires
Une version courte de cet entretien a paru dans le no 296 – Mai-juin-juillet 2024 de Profession Éducation, le magazine de la CFDT Éducation Formation Recherche publiques. L’orthographe rénovée est utilisée.