Enseignant.e.s-chercheur.e.s - EC : synthèse de la 3° partie du rapport de l’Institut français de l'éducation - IFÉ : « Recherche ou enseignement : faut-il choisir ? ». Note de lecture par Françoise Lambert, secrétaire fédérale Sgen-CFDT.
L’existence d’un lien formation / recherche, postulée par le modèle Humboldtien semble être mis en cause dans un grand nombre d’analyses : il n’y a pas de relation entre qualité de l’enseignement et qualité de la recherche. Ce qui impliquerait, si on pousse le raisonnement, que le système organismes de recherche/écoles, spécialisés pour les premiers en recherche et pour les secondes en pédagogie est plus performant que le système universités (l’auteur ne le dit pas explicitement).
Certaines études, pour expliquer cette absence de corrélation, citent des modes de travail et des compétences individuelles assez radicalement différentes entre enseignement et recherche, mais une partie de l’explication réside aussi dans un problème de gestion multitâches, que les enseignants-chercheurs ont globalement résolu en se tournant vers l’activité susceptible d’apporter la plus grande gratification (non nécessairement monétaire).
D’autre part, pour certains auteurs, cette préférence institutionnelle pour la recherche est liée à une « cotation » des 2 activités très asymétrique, dans la mesure où ceux qui enseignent, même bien, pourraient être plus facilement remplacés que ceux qui font de la recherche.
Recherche et enseignement
Le couplage recherche / enseignement constitue un socle d’identification professionnelle important pour les enseignants-chercheurs, et ils restent majoritairement attachés à leur discipline, à la production et à la transmission de savoirs (comme concepteurs de cours). Par contre, ils sont réticents à s’engager dans l’accompagnement des étudiants, et développent des stratégies pour préserver un temps de recherche suffisant, l’activité scientifique demeurant l’élément principal de l’identification au métier.
Des conditions de travail dégradées
Le sentiment général chez les enseignants-chercheurs est celui d’une détérioration de leurs conditions de travail (accueil des étudiants, procédures souvent qualifiées de bureaucratiques…). Les tâches d’animation de la recherche (comités de sélection, animation d’un laboratoire…) et de l’enseignement (encadrer, suivre et évaluer les étudiants, assurer la responsabilité d’un diplôme) mobilisent fortement les EC en France, du fait d’un sous-encadrement administratif et scientifique. Le phénomène s’est amplifié avec la massification des effectifs.
Le pilotage par objectifs a imposé des procédures vécues comme envahissantes et exogènes à la profession…
D’autre part, le pilotage par objectifs a imposé des procédures vécues comme envahissantes et exogènes à la profession : en recherche, il faut trouver des financements, et justifier leur utilisation, en enseignement, il faut montrer que les taux de réussite et d’insertion sont bons, alors que ces activités sont peu valorisées et peu visibles.
Identité professionnelle éclatée, faible engagement institutionnel
De plus, l’identité professionnelle des EC est désormais éclatée en une multitude de métiers distincts au sein des universités : la montée des compétences des personnels d’appui fait que les EC se sentent dépossédés. Ce mal-être ressenti serait donc moins dû aux difficultés de conciliation des différentes tâches qu’aux enjeux de pouvoir, au besoin individuel de notoriété, à la reconnaissance symbolique de leurs efforts.
L’engagement institutionnel en faveur de la qualité de l’enseignement reste plus faible en France qu’ailleurs, et l’activité d’enseignement est moins encouragée, moins évaluée et moins valorisée que dans les autres pays européens.
D’autre part, la place des autres personnels de l’université n’est pas réellement pensée, intégrée dans une stratégie globale de l’établissement. Par exemple, les enseignants du secondaire représentent globalement 20 % des personnels titulaires, mais la réflexion se limite souvent à l’apport d’heures d’enseignement que leur statut autorise. Ce manque de réflexion est un symptôme de la faiblesse du travail collectif dans les universités françaises, en particulier pour l’enseignement qui demeure une activité éminemment individuelle, ce qui est renforcé par l’absence de formation pédagogique.
L’université française est marquée par une spécificité : une égalité de façade (unité statutaire), et une réalité assez divergente du modèle original. Ainsi, le décret de 2009 investit les EC de plusieurs missions de service public (formation, recherche, coopération internationale, orientation et insertion…).
Une approche statutaire obsolète
Mais le service est toujours défini statutairement de la même façon : 50 % recherche/50 % enseignement, ce qui est devenu largement obsolète, et laisse de côté la dimension administrative et la notion de « service » à la société.
Le définition statutaire du service laisse de côté la dimension administrative et la notion de « service » à la société…
Pour résoudre cette contradiction, plutôt que de raisonner en modulation de service, on a introduit des assouplissements sur un mode dérogatoire (référentiel d’équivalences horaires, mais on peut aussi citer décharges, primes…), ce qui a toutefois le mérite d’ouvrir la voie à une différenciation formelle des activités dans le cadre des obligations de service.
L’État a abandonné l’idée de moduler les heures d’enseignement pour tenir compte de l’investissement plus ou moins important en recherche, devant la levée de boucliers que cette idée a provoquée. Cette modulation a été vue comme une sanction, et n’est ainsi restée que la modulation à la demande pour la partie enseignement, et la modulation via le référentiel pour la recherche, qui a permis par contre de pouvoir bénéficier de décharges horaires.
Des pistes pour demain
Repenser le couplage recherche / enseignement
Il faudrait repenser le couplage recherche/enseignement en contexte, avec deux pistes possibles :
- considérer la recherche grâce à un modèle plus fin, différenciant différents « types » de recherche : productions de connaissances originales non subordonnées à des fins externes, capacité à synthétiser les savoirs produits et à les confronter à d’autres perspectives disciplinaires, capacité à rendre la recherche utile au-delà des frontières académiques, capacité à déclencher les apprentissages en étant stimulé par les allers-retours avec les étudiants ;
- prendre en compte les profils des universitaires et le type de recherche (les recherches appliquées tendent à privilégier des enseignements plus axés sur la pédagogie et les projets), le niveau d’enseignement (le lien enseignement/recherche est plus lâche en licence).
Pistes liées au statut :
- une différenciation des carrières, avec des personnels affectés à des activités de recherche, et d’autres à des activités d’enseignement. Cette dualisation est déjà à l’œuvre avec les emplois de PRAG/PRCE, et imposerait aux enseignants-chercheurs de choisir une carrière plutôt qu’une autre ;
- une piste plus consensuelle consisterait à individualiser les activités, via des contrats pluriannuels, et serait basée sur une évaluation plus équilibrée et plus transparente, intégrant l’investissement dans l’enseignement et dans des missions d’intérêt général. Cette modulation serait réversible au cours de la carrière, certains auteurs préconisant d’aller jusqu’à une individualisation des rémunérations.
Comment les choix de carrière s’opèrent-ils ?
Malgré l’uniformité du statut, le temps consacré à chacune des activités (recherche/enseignement/administration) varie considérablement au fil de la carrière. Mais cette variation dépend aussi de l’établissement de l’enseignant chercheur. Les premières années de carrière sont souvent marquées par un ralentissement de l’activité scientifique, or, elles sont décisives pour la progression. Ce ralentissement dépend de la charge d’enseignement, de sa nature, et du type d’établissement. Le temps consacré à la pédagogie ne sera pas le même en fonction de la surcharge en terme d’effectifs étudiants du département d’affectation, de son insertion dans le monde de la recherche, de sa taille… Ainsi, être résident dans une antenne universitaire réduit considérablement les chances de faire une carrière scientifique, compte tenu de la charge administrative qui incombe aux rares EC présents.
Le temps consacré à chacune des activités (recherche/enseignement/administration) varie considérablement au fil de la carrière…
La division du travail dépend également du grade : le travail des maîtres de conférences – MCF est plus dispersé que celui des professeurs (et leurs enseignements peuvent porter sur des sujets plus éloignés de leur spécialité). Toutefois, rien ne permet d’affirmer qu’on est plus enseignant en début de carrière et plus chercheur en fin.
Globalement, le manque d’appétences pour les charges administratives est partagé par tous, le clivage s’opérant entre ceux qui s’engagent et les autres.
La fonction RH n’est pas identifiée comme pouvant contribuer à transmettre des règles ou à normer la gestion de carrière, et le lien direct entre les évaluations du travail et les carrières individuelles semble ténu.
Les incitations implicites (culture intégratrice, mécanismes d’embauche conditionnelle) semblent plus efficaces sur la productivité et le maintien de la confiance que les incitations explicites (primes, aménagement des tâches), qui encouragent l’opportunisme. Ces mécanismes sont encore expérimentaux en France, mais valorisent la recherche au détriment de la pédagogie.
… et selon la discipline.
Les différences de trajectoires sont également marquées par la discipline : en histoire, par exemple, la part des activités varie peu au cours du temps, les physiciens et les gestionnaires sont beaucoup moins homogènes (ciblage fort de la recherche, ou carrière équilibrée, ou management académique, ou engagement pédagogique).
Ces différentes trajectoires, rarement réversibles, sont ancrées dans des environnements disciplinaires basés sur des cultures de recherche différenciées : certaines disciplines sont plus orientées vers le travail de terrain et la gestion de projet, d’autres vers l’analyse de données primaires, et d’autres encore vers le traitement des données secondaires (textes, documents d’archives…), correspondant à des différences entre des disciplines à visées plus théoriques ou plus empiriques. Enfin, la recherche de financement (biologistes), les contacts avec les entreprises pour valoriser les formations (gestionnaires), la préparation de concours (historiens) constitue des « matrices disciplinaires », caractéristiques de chaque discipline, qui peuvent placer l’enseignement dans une position plus ou moins concurrentielle à la recherche.
La progression dans la carrière est aussi plus ou moins facilitée par les pairs, qui peuvent ou non protéger les jeunes MCF de tâches lourdes, les intégrer à des programmes de recherche, etc.
Enfin, les pratiques individuelles varient également, en fonction de l’âge (la productivité diminue en fin de carrière), du genre (les femmes sont plus réceptives aux demandes collectives entre autres), de l’expérience vécue (échec à un appel d’offres, à une demande de promotion), et des emplois réalisés parallèlement à l’emploi universitaire (près de 40 % des universitaires exerceraient une activité rémunérée en dehors de leur mission d’EC).
D’autre part, il ne faut pas négliger les appétences personnelles pour l’enseignement, et il existe une corrélation entre temps de travail pour la recherche ou pour la pédagogie et motivation.
En conclusion
Un paradoxe français : l’uniformité des formations et l’égalité des traitements des personnels sont garanties par l’État, mais l’organisation universitaire est fortement fragmentée : chaque département, équipe, personne, bénéficie en fait d’une autonomie considérable.
Pour certains auteurs, il faut remettre en cause la vision républicaine d’uniformité institutionnelle. Aucune vision partagée de la profession et des enjeux universitaires n’existe. Cette situation aboutit à l’enclavement d’un milieu autocentré, à une multitude de règles et d’exceptions aux règles. La LRU ne serait alors qu’une première étape, correspondant à la réforme de la gouvernance. La seconde étape quant à elle serait celle de l’application des principes de responsabilité et de liberté.
Renforcer les échelons intermédiaires
D’autre part, l’organisation de la gouvernance devrait passer par un renforcement des échelons intermédiaires, les UFR, dans la mesure où c’est à ce niveau que peut se jouer le rééquilibrage entre recherche et enseignement. Enfin, les universités doivent s’interroger sur le périmètre de leurs stratégies de développement, tant territorial que scientifique, et définir leur propre projet, en délaissant au besoin la compétition mondiale.
Pour aller plus loin :