Le débat sur le HCERES doit se baser sur des principes clairs de ce que nous attendons de l'évaluation dans l'ESR. Cela doit amener, non pas à supprimer purement le HCERES, mais à renouveler profondément son projet et son fonctionnement.
Tout d’abord, l’évaluation est indispensable
En règle générale, la reddition de compte est un principe de base de l’action publique. Dans le cas particulier de l’enseignement supérieur et de la recherche, où une grande autonomie est laissée aux établissements, aux organismes et aux équipes dans la mise en œuvre de leurs missions de service public, cette évaluation doit nécessairement être formalisée, et opérée par une structure dédiée. Elle est une contrepartie nécessaire de l’autonomie des établissements.
L’évaluation des établissements fait partie intégrante du processus de Bologne, destinés à rapprocher les systèmes universitaires des pays européens. Elle a lieu en deux temps: une auto-évaluation, suivie d’une évaluation extérieure par un organisme spécialisé, lui-même accrédité à cet effet. L’évaluation fait partie de la vie normale des établissements. Elle représente nécessairement du travail: ce travail doit être anticipé et être pleinement intégré au dimensionnement des effectifs, et au temps de travail des agents.
Il convient évidemment de limiter au minimum ce sur-travail, et, dans tous les cas l’évaluation ne doit pas conduire à imposer aux agents de travailler au delà de ce qu’ils doivent à son employeur.
C’est une difficulté majeure dans l’enseignement supérieur et la recherche, où le pli est pris d’ajouter sans cesse de nouvelles tâches aux agents, qu’ils soient enseignants, enseignants-chercheurs, chercheurs ou BIATSS, sans en retirer aucune et sans redimensionner la force de travail. Par leur lourdeur et leur caractère périodique, les tâches liées à l’évaluation deviennent de ce fait insupportables à des collègues au bord de la rupture. C’est là une des raisons majeures de la défiance profonde de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche à l’égard de l’évaluation.
Les garanties d’indépendance
L’instance d’évaluation doit présenter toutes les garanties d’indépendance. Laisser l’évaluation au ministère de tutelle serait en contradiction totale avec le principe d’autonomie des établissements. Elle ferait courir le risque d’une reprise en main autoritaire par l’État sur les activités de recherche et de formation, notamment en cas d’aggravation de la situation politique dans notre pays. Il n’est d’ailleurs pas anodin à ce sujet que le Rassemblement national demande la réinternalisation de l’évaluation à la DGESIP, donc au ministère…
L’instance d’évaluation ne doit donc en aucun cas être porteuse d’un projet politique: c’est là la tâche des ministres, qui en rendent comte aux élus de la nation. Elle conduit son évaluation au regard de critères clairs et partagés. Cette évaluation doit permettre de rendre compte de l’ensemble des missions de service public de l’établissement ou de l’organisme.
Les garanties d’indépendance doivent s’appliquer également aux personnes en charge de l’évaluation : ils doivent eux-même pouvoir pratiquer librement leur évaluation en fonction de leur expertise, sous réserve d’une harmonisation collectivement acceptée. À l’inverse, s’il existe une instance spécifique à un certain périmètre (instances d’évaluation des organismes de recherche, conseils scientifiques de certaines unités de recherche…) présente des garanties suffisantes d’expertise et d’indépendance, il doit être possible à l’organisme national d’évaluation de lui déléguer une partie de ses missions.
Des retours qui doivent être utiles
Enfin, et peut-être surtout, les résultats de l’évaluation doivent être utiles aux structures concernées.
Elles doivent leur permettre d’identifier leurs forces et leurs faiblesses, et de construire une stratégie pour remédier à ces dernières.
Cela suppose, nous l’avons dit, que les critères d’évaluations soient clairs, publics et accessibles à l’ensemble de la communauté. Il est tout aussi indispensable que les rapports soient formulés de manière constructive et respectueuses du travail des agents. Des aller-et-retour entre évaluateur et évalués doivent permettre d’aboutir à des constats partagés.
Pour les agents, ces évaluations doivent être l’occasion de pouvoir parler de leur travail, de faire remonter les difficultés qu’ils rencontrent, d’identifier les situations (malheureusement nombreuses) de travail empêché, d’injonctions contradictoires, d’impossibilité à concilier les missions de services publics et les moyens qui y sont affectés.
L’évaluation n’a de sens que si elles est utile à tous :
- aux pouvoirs publics, qui doivent s’assurer du bon emploi des deniers de l’État,
- aux équipes dirigeantes qui auront des informations objectives sur l’état de leur structure, et le cas échéant sur la nécessité d’opérer des changements de cap,
- aux étudiant.e.s et équipes pédagogiques qui peuvent avoir la certitude que leurs diplômes sont conformes aux exigences afférentes,
- aux équipes de recherche qui voient leur crédit renforcé,
- et à l’ensemble du personnel, qui doit pouvoir y trouver une validation externe de ce qui fait leur travail.
Que construire aujourd’hui ?
C’est au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) qu’est dévolue cette mission. Il a fait l’objet de nombreuses critiques au regard de ces différents critères. Il est vrai, par exemple, que son ancien président, tant par son parcours que par ses prises de parole, avait contribué à discréditer l’indépendance de l’organisme HCERES et c’est un crédit qu’il n’est pas simple de reconstituer.
Quant aux pratiques de l’évaluation, elles sont aussi fortement critiquées et sont dénoncées comme une source de souffrance professionnelle par de nombreux agents. Elles ont évoluées vers plus de distance par rapport à la réalité du travail, avec des visites plus rares ou limitées à la seule gouvernance. Les remontées sont très chronophages et dupliquent parfois des procédures ayant des objets voisins. Enfin, les retours qui étaient faits aux structures évaluées ont trop souvent pris le tour d’un désaveux du travail plutôt que d’une reconnaissance des difficultés et de l’engagement des équipes.
Pour ces raisons, la nécessaire confiance entre le HCERES et la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche est aujourd’hui à reconstruire.
Faut-il pour autant supprimer purement et simplement le HCERES ? La solution de la table rase est toujours tentante, mais elle nous semble illusoire.Si on détruit, il faudra reconstruire. Quoi et quand ? Il n’y a aucune garantie que ce qui serait mis à la place ne présenterait pas les mêmes inconvénients, ou pire. On a par contre, dans la construction du HCERES, des assises robustes, le statut d’autorité publique indépendante, une gouvernance collégiale, un réseau d’évaluateurs issus de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche.
En conséquence, même si les procédures sont certainement à réviser profondément, le bilan est clair : pour construire l’évaluation que nous voulons, entamer une transformation profonde du HCERES est beaucoup plus efficace que de repartir de zéro.
Cette réforme devra faire l’objet d’un dialogue approfondi avec la communauté, la CFDT Éducation, Formation, Recherche publiques sera au rendez-vous.