L'enseignement supérieur et son accès aux étudiant·e·s selon l'origine sociale étaient au programme de la table-ronde consacrée à l'identification de leviers pour rendre le système d'éducation et de formation plus juste et performant, lors de l'AG des Sgen-CFDT à Dijon du 23 au 25 février dernier.
Par , économiste.
Avecnote pour le Conseil d’analyse économique qui portait sur l’investissement dans l’enseignement supérieur et posait des constats et des recommandations. Dans cette communication de ce matin, je vais essayer de condenser ce travail pour en cibler quelques messages importants.
, collègue à l’université de Paris-Dauphine, nous avons écrit unel’université craque, et les conditions de formation ne sont plus du tout à la hauteur.
Le premier constat (cf. note : graphique 1, p. 2) est celui d’un décrochage important de la dépense par étudiant·e depuis 2010 dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur. Plus spécifiquement à l’université, pendant la période 2010-2020, les effectifs étudiants ont augmenté de 20 % et le nombre d’enseignant·e·s baissé de 2 %. Ainsi, l’université craque, et les conditions de formation ne sont plus du tout à la hauteur.
Enseignement supérieur et disparités des parcours étudiants selon les filières
Le deuxième constat (idem, graphique 2, p. 5) porte sur les disparités entre les coûts de formation (enseignement, équipements, infrastructures et supports administratifs) selon les différentes filières, qu’il s’agisse des disciplines ou des établissements (universités, BTS, écoles d’ingénieur…). L’investissement total pour un parcours en deux ans de brevet de technicien·ne supérieur (BTS) est 2,5 fois plus important (24 744 euros) qu’un parcours en trois ans de licence en langues étrangères (un peu moins de 10 965 euros). Quant aux masters en cinq ans, l’investissement pour celui de sciences des technologies, information, communication (31 388 euros) est deux fois plus important que pour celui de droit (15 712 euros). Pour un diplôme d’ingénieur·e (deux ans de classes préparatoires et trois ans d’école), le coût de formation par étudiant·e est de 58 909 euros. Il y a donc des différences importantes du coût de formation entre établissements (universités, classes de lycée post-baccalauréat, écoles d’ingénieur), mais aussi entre disciplines (le droit, l’économie, les sciences humaines étant moins dotées que les disciplines techniques ou mathématiques).
Comment expliquer ces disparités ? Ni le coût des enseignements, ni celui des équipements, des infrastructures et des supports administratifs n’expliquent de tels écarts. Ce qui explique ces écarts, ce sont l’encadrement (nombre d’étudiant·e·s par enseignant·e) et le volume horaire.
Pour vérifier s’il était possible de faire aussi bien avec moins, nous avons pris comme critère les taux de réussite « à l’heure » (trois ans en licence ; deux ans en BTS, classe préparatoire, DUT ; cinq ans en master) ou en retard d’un an. Or ils se trouvent fortement corrélés avec les coûts de formation : par exemple, le taux de réussite à l’heure est de seulement 29% en licence, contre plus de 60% en BTS et 70% en IUT.
Une hypothèse de travail était que la réussite des étudiant·e·s n’était pas liée à l’investissement dans la formation mais au fait qu’il·elle·s étaient meilleur·e·s au départ. Mais quand on regarde le profil scolaire des étudiant·e·s en BTS et en IUT (le type de bac obtenu et les mentions), il est globalement inférieur à celui des étudiant·e·s de licence. On peut donc supposer que l’investissement dans la formation joue beaucoup dans les abandons et les redoublements selon les filières, avec à l’arrivée un double gaspillage : humain d’une part pour les étudiant·e·s qui vivent mal ces abandons, et financier d’autre par pour l’État car même s’il n’investit pas beaucoup, cela se fait en grande partie à perte étant donné des taux de réussite à l’heure très faible pour un·e étudiant·e de licence.
l’investissement dans la formation joue beaucoup dans les abandons et les redoublements selon les filières
Inégalités sociales dans le sup’ : ce qui ressort
Dernier constat sur les inégalités sociales (idem, graphique 6, p. 9) : le graphique représente le montant investi dans la formation des jeunes de 18 à 24 ans dans l’enseignement supérieur en fonction du décile de revenu des parents (D1 correspond aux 10 % des familles les plus pauvres et D10 aux 10 % des familles les plus riches). On est à moins de 10 000 euros au total pour les 40 % des familles les plus pauvres et à plus de 28 000 euros pour le dernier décile.
les filières les plus dotées sont aussi celles qui accueillent les enfants des familles les plus favorisées.
Quand on regarde la part d’investissement prise en charge par l’État et celle supportée par les familles, on voit que l’État investit deux fois plus sur les enfants de familles aisées que sur les enfants de familles populaires. La première raison est que l’accès à l’enseignement supérieur est très différentiel en fonction du revenu des familles. L’investissement y est plus faible parce qu’il y a beaucoup d’enfants qui ne seront jamais étudiant·e·s. La deuxième raison, c’est le type de parcours : les enfants qu’on retrouve dans les écoles d’ingénieur appartiennent plus aux déciles 8, 9, 10 qu’aux déciles 1, 2 et 3. Donc les filières les plus dotées sont aussi celles qui accueillent les enfants des familles les plus favorisées. Ceci n’est pas vrai pour les BTS qui sont bien dotés et accueillent plus d’étudiant·e·s défavorisé·e·s que les licences, ce qui nuance aussi légèrement les inégalités sociales. Au total, les différences de parcours contribuent pour un tiers aux inégalités d’investissement selon l’origine sociale et les écarts d’accès pour deux tiers.
les différences de parcours contribuent pour un tiers aux inégalités d’investissement selon l’origine sociale et les écarts d’accès pour deux tiers.
Pour un enseignement supérieur plus efficace et plus équitable : recommandations
Notre première recommandation est de créer des places supplémentaires dans les filières courtes (BTS et IUT) dont on sait qu’elles marchent bien et sont très demandées, et surtout de renforcer les taux d’encadrement et les volumes d’heures en licence et en master, filières sous dotées avec beaucoup d’échecs.
Ensuite, étendre et revaloriser les bourses pour permettre réellement aux enfants de familles défavorisées et des classes moyennes de faire des études, et augmenter en parallèle l’accès au logement étudiant pour ces mêmes étudiants.
Troisième recommandation : modifier les critères d’admission dans les filières sélectives qui sont les mieux dotées en menant des politiques plus volontaristes en matière de quotas, par exemple, ou de bonifications pour corriger les inégalités sociales et aider les étudiant·e·s méritant·e·s.
Enfin, communiquer davantage, en amont de Parcoursup, sur les critères d’admission mais aussi sur les coûts et les bénéfices des formations (salaires, insertion professionnelle).
Et cinquième mesure : si l’on veut augmenter l’accès, notamment des classes populaires et moyennes, à l’enseignement supérieur, il faut créer des nouvelles places dans l’enseignement supérieur pour les accueillir, et ouvrir des postes d’enseignant·e pour ne pas baisser le niveau d’encadrement qui, à l’université, est déjà très limité.
Des extraits de son intervention ont paru dans le no 284 – Mars-avril 2022 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.