Les missions enseignantes, et de fait, les temps de vie et d'apprentissage des élèves, se définissent dans deux-espaces temps : dans et hors la classe. Quelles interactions ces temps entretiennent-ils ? Quels enjeux de soutenir les uns plutôt que les autres ?
Le déploiement des missions hors la classe
Ces missions hors la classe sont demandées, et/ou soutenues par les directives nationales. Nous pouvons en nommer entre autres deux types :
– Des missions pour compenser (Devoirs faits, vacances apprenantes…), raccrocher les décrocheurs, orienter les raccrochés, les indécis…
– Des missions pour innover, redonner du sens, développer des axes, des parcours (ce sont les ateliers, les clubs, les actions avec partenaires en dehors des heures de classe…)
Dans ces missions, on fait le pari de redonner sens aux élèves, et répondre aux besoins différents, par des dispositifs hors la classe, et en plus du temps de classe le plus souvent.
A l’exception peut-être de la remédiation / accompagnement mise en place cette année, qui, selon la façon de s’en emparer, pourrait être une opportunité dans la classe, de repenser les approches. Mais dans ce cas, l’on peine à comprendre pourquoi l’AP et les EPI n’ont pas été soutenus, ajustés… et pourquoi les PPRE ou les « heures lectures » sont parfois sacrifiés pour mettre en place ces nouvelles heures…
Ces missions sont généralement choisies par les enseignants volontaires.
Elles peuvent se cumuler. Les enseignants les assurent seuls ou en co-intervention, et/ou dans un travail partenarial.
Ces missions répondent à un besoin de sens tel que le décrit Dejours (1993) (utilité, éthique, montée en compétences) et/ou à un besoin financier. Elles sont généralement rémunérées en plus, « dans la limite des stocks disponibles ». « Stocks » qui semblent conséquents au vu des parts de Pacte mises en jeu.
Les élèves y sont « fléchés » par les équipes et/ou volontaires. En groupe restreint, parfois inter-âge, sur des temporalités variables (de quelques séances, à l’année).
Témoignage d’un enseignant qui suit des élèves dans un dispositif de PPRE :
«Je peux mener un travail de suivi dont je suis fier avec de petits groupes, je me relance et ose tenter dans de nouvelles activités, notamment en groupe, avec de la manipulation. Je peux mieux aider, éveiller… je ne me fixe pas d’objectifs a priori mais un cap, je suis plus à l’écoute… »
Les temps de classe : base de l’emploi du temps
Les temps de classes restent, la plupart de temps, dans un schéma assez commun : une heure, un prof, un groupe d’âge identique, un programme. Ils constituent l’ossature de l’emploi du temps des élèves, comme des enseignants et sont obligatoires.
Lieu d’apprentissage premier pour apporter à toute une génération les mêmes compétences. Lieu d’épanouissement au sein d’un collectif hétérogène, défini pour une durée conséquente. La classe fait référence en faisant le pari de la confrontation à l’altérité, dans un cadre non choisi. Les acteurs y sont très attachés.
Mais les moyens mis en œuvre pour répondre à cette prise en charge, et notamment cette hétérogénéité, sont très limités.
Effectifs conséquents, peu de souplesse dans l’encadrement, les temporalités, les lieux. La classe est alors souvent perçue comme porteuses de complexités, voire de difficultés, tant dans la qualité des acquisitions possibles, que dans la qualité des interactions qui s’y jouent.
Complexité de répondre aux besoins de chaque élève au niveau et aspirations très variés, sur des temps très courts et morcelés. D’initier seul avec son groupe, des projets, de proposer du travail collectifs, des ateliers… de mener de front la différentiation et le bouclage des programmes…
Difficultés aussi de prendre des temps de réflexions en équipe pour amorcer des pistes, partager des situations…
Le manque de sens et la fatigue s’accentuent pour les enseignants, comme pour les élèves.
Deux espace-temps dissociés ou inter-dépendants ?
Actuellement, ces deux temps fonctionnent un peu comme des couloirs de nage, quasi parallèles.
Dans le premier couloir, après l’école, les enseignants travaillent en plus avec les « non-nageurs », voire avec ceux qui ont choisi de venir pour aller plus loin, autrement. Ils ont souvent accès à du matériel pédagogique, ils peuvent organiser de petits groupes inter-âges, fonctionner par sessions, parfois avoir l’aide du maître nageur. Etc…
Dans le second couloir, les élèves sur le temps scolaire, se suivent à la queue leu leu, enchaînent les longueurs. Le prof court sur le côté pour tenter d’apporter quelques conseils à la volée, de différentier ses consignes…
Les élèves les plus à l’aise dans l’eau renforcent un peu leurs acquis. Les autres, perdent pieds, s’accrochent à la ligne, s’agitent. Et leur nombre ne fait alors qu’augmenter. Ce qui justifie de fait, l’ouverture d’une seconde ligne d’eau, en plus, le soir après les cours.
Ni hors la classe, ni dans la classe, mais autrement pour des réussites multiples
On aurait donc l’intuition de ce qui pourrait aider, éveiller, consolider… et on le développe ailleurs et en plus de la classe… En maintenant une structure de base, avec peu de moyens, qui continue de valoriser certains, et de générer échecs pour d’autres.
En partant de ces constats, serait-il possible de questionner les tensions qui amènent l’École à se maintenir dans cette spirale d’empilement et in fine de sélection…
Peut-être alors pourra t-on oser imaginer une école différente, qui écoute cette diversité. Un temps et des espaces de classes revisités. Une organisation incluant des moyens humains, pédago, spatio-temporels, d’accompagnement etc. pour permettre de répondre aux enjeux de l’accueil de la diversité, des aspirations et des apprentissages pour toutes et tous.
Choukri Ben Ayed pose la mixité comme déclencheur d’un cercle vertueux d’actions pédagogiques bénéfiques aux élèves. Mais ce n’est pas la « mixité qui marche », elle peut « enclencher », si on y met les moyens ».