L'Estonie est le pays européen qui réussit le mieux aux résultats PISA. Le Sgen-CFDT a voulu en savoir un peu plus. Rencontre avec Elis Cullen, enseignante estonienne et Secrétaire aux affaires internationales dans son syndicat (EEPU : Estonian Educational Personnel Union).
Avec une population d’environ 1,3 million d’habitants, l’Estonie compte 143 000 élèves dans les premier et second degrés. Issu du bloc soviétique, le système éducatif a connu depuis 1992 de nombreuses réformes qui se sont toutes inscrites dans une certaine continuité. Alliant centralisme et autonomie de mise en œuvre, le système éducatif estonien est aujourd’hui celui qui se classe 3ème à l’enquête PISA. Le Sgen-CFDT est allé à la rencontre d’Elis Cullen, Syndicaliste estonienne pour en savoir plus.
En quelques mots, pouvez-vous nous expliquer le système éducatif en vigueur en Estonie ?
Notre système comporte trois niveaux de décisions : national, régional et institutionnel.
Le gouvernement national alloue les fonds pour les salaires des enseignants, la formation continue et les équipements nécessaires aux apprentissages pour les élèves (les manuels par exemple) à nos gouvernements locaux (nous en possédons 79). Ceux-ci sont propriétaires de la plupart de nos écoles ainsi que des jardins d’enfants. Toute la législation sur le salaire minimum des enseignants est décidée au niveau national. Cela signifie que tout ce qui concerne les normes des programmes, les exigences en matière de qualifications des enseignants et le salaire minimum des enseignants, si des normes sont décidées nationalement, cela est régi par le niveau régional, le Centre. Celui-ci donne ensuite de l’argent (pour le salaire minimum, les formations continues et les équipements d’apprentissage) aux gouvernements locaux. Ces derniers le partagent aux écoles et aux jardins d’enfants. Le Directeur de l’école, du jardin d’enfants utilise les fonds fournis pour embaucher le personnel dont il a besoin. Il peut différencier le salaire (si nécessaire), proposer des disciplines supplémentaires par rapport aux programmes. Cela est possible en fonction des objectifs définis par la communauté locale (projets, besoins identifiés). Ces fonds servent aussi à assurer la formation continue du personnel, à effectuer les travaux nécessaires pour le bâtiment (réparer le toit, etc). La mise en œuvre des programmes (décision de la méthodologie, du matériel d’étude par exemple) relève en grande partie de la compétence, de la liberté pédagogique de l’enseignant.
Comment se traduit cette scolarité pour les élèves ?
Les enfants débutent l’école à 7 ans et la scolarité est obligatoire jusqu’à la fin de la 9ème année, soit jusqu’à l’âge de 17 ans. Cet âge sera porté à 18 ans à partir de l’année prochaine. L’enseignement scolaire est gratuit jusqu’à la fin du lycée ou de l’école professionnelle. L’enseignement supérieur est gratuit si vous étudiez en estonien. Environ 95 % des 1,5 ans – 6/7 ans fréquentent les jardins d’enfants. Ce sont également des établissements d’enseignement. Les jardins d’enfants ne sont pas gratuits. Selon le gouvernement local, les parents doivent payer entre 50 et 80 € par mois et par enfant.
Qu’est-ce qui fait que l’Estonie figure parmi les meilleures au classement PISA ? Qu’est-ce qui, selon vous, favorise la réussite des jeunes ?
Pour être tout à fait honnêtes, nous ne le savons pas exactement nous-mêmes. Mais nous pensons que le facteur clé est une éducation de la petite enfance de haute qualité. Nos professeurs de jardins d’enfants sont diplômés de l’enseignement supérieur. Ensuite, nous avons des professeurs plutôt expérimentés et assez exigeants. En Estonie, les jeunes, les élèves ont systématiquement des devoirs à la maison. Dans notre système éducatif, le classement PISA est important et les élèves doivent avoir de bons résultats. De plus, nous n’avons que très peu de nouveaux migrants dont l’intérêt pour l’éducation (et la motivation pour réussir les tests PISA) ne serait pas aussi élevé que les petits estoniens. Dès lors, cela n’affecte pas les résultats PISA contrairement à d’autres pays.
Votre société, votre école sont très tournées vers l’utilisation des outils numériques. Comment cela se passe-t-il concrètement au sein des écoles ?
Oui, dans notre société estonienne, nous sommes habitués à utiliser des outils et des applications numériques. Dans les écoles, l’utilisation des outils numériques n’est pas un but en soi, mais plutôt un outil d’apprentissage. Par contre, ils font partie intégrante de notre pédagogie. Divers supports numériques, simulations et manuels numériques sont utilisés par les enseignants et les élèves. Ils sont utilisés en complément des pédagogies traditionnelles et notamment pour les remédiations.
De quelle autonomie disposent les établissements ?
Les établissements en Estonie jouissent d’une grande autonomie. Bien qu’il existe un programme national, les écoles et les enseignants sont libres de choisir le matériel pédagogique le plus adapté. Des formations sont conçues localement en fonction des besoins identifiés par les enseignants et la communauté éducative. Les progrès en matière de pédagogie s’effectuent principalement grâce aux revues numériques dont les enseignants disposent.
L’évaluation semble centrale dans votre système éducatif, pourquoi et comment l’utilisez-vous avec les élèves ?
Les progrès des élèves sont évalués chaque année dans les premières classes, et ce, jusqu’à la quatrième année de scolarité obligatoire. Les enseignants ne font pas de notation numérique, mais évaluent par compétences. Ils font aussi systématiquement un retour verbal sur la progression de l’élève lors de chaque évaluation. L’évaluation est donc de plus en plus utilisée pour permettre aux élèves de comprendre là où ils en sont, leurs manquements, mais aussi leurs progrès.
Comment les élèves vivent-ils votre système éducatif, le travail qui leur est demandé ?
L’une des principales raisons de la réussite de notre système éducatif est l’accent mis sur l’apprentissage individualisé et les méthodes d’enseignement toutes centrées sur l’élève. Le système estonien encourage les élèves, les jeunes à jouer un rôle actif dans leur processus d’apprentissage. Il leur offre diverses opportunités pour explorer leurs centres d’intérêts, développer leurs compétences. Cette approche individuelle est appréciée par les élèves et conduit certainement aux bons résultats de notre système éducatif. Cela contribue aussi à la motivation des élèves qui peuvent visualiser et agir sur leurs compétences dans une certaine bienveillance des enseignants.
Un des autres facteurs de réussite est le niveau élevé de numérisation dans le système éducatif estonien. La plupart des écoles estoniennes ont accès à des technologies à la pointe et les enseignants, les élèves les utilisent en classe. Cela rend l’enseignement plus engageant et interactif pour les élèves. De plus, la petite taille des classes (20 élèves maximum pendant toute la scolarité obligatoire) en Estonie contribue également à un environnement d’apprentissage positif et permet une attention plus personnalisée des enseignants sur les difficultés des élèves. Les élèves se sentent ainsi soutenus et valorisés dans leurs apprentissages.
Cependant, les étudiants estoniens sont confrontés à certains défis comme une charge de travail importante et des attentes élevées en matière de performances académiques. Cela peut entrainer du stress et de l’épuisement scolaire chez les élèves les plus âgés qui préparent les examens afin d’entrer à l’Université.
En résumé, la satisfaction des élèves est croissante au fil du temps grâce à l’accent mis sur l’apprentissage individualisé, à la numérisation des apprentissages et à des effectifs réduits dans les classes. Ce sont pour nous les clés d’une expérience d’apprentissage positive pour les élèves.
En Estonie, comment forme-t-on les enseignants à l’exercice de leur métier ? Quelle est leur durée de travail hebdomadaire, annuelle. Quel travail collectif des enseignants dans les établissements scolaires ?
En Estonie, les enseignants sont formés dans deux universités à Tartu et Talinn. Un professeur doit être titulaire d’un master. Officiellement, un enseignant travaille 35 heures par semaine, toute tâche comprise en établissement. Il fait entre 22 et 25 heures devant élèves, le reste est du temps de correction, préparation et de concertation obligatoire en équipes. Dans la réalité, ils font beaucoup plus d’heures. Les enseignants disposent de 56 jours de vacances annuelles.
En tant que syndicaliste, que revendiquez-vous pour les enseignants estoniens ?
Nous exigeons de meilleures rémunérations, au moins égales au salaire moyen estonien. On veut aussi un alignement des salaires des enseignants des jardins d’enfants sur celui des enseignants des écoles. Nous appelons également à une réduction de la charge de travail. De plus, l’Estonie est l’un des rares pays où les enseignants ne disposent pas d’un modèle de carrière. En d’autres termes, les salaires des enseignants débutants et ceux des enseignants expérimentés sont les mêmes. Nous souhaitons que cela change et proposons l’installation d’un plan de carrière amenant des financements supplémentaires en fonction de l’ancienneté.