Retour sur les rencontres et débats organisés à l’initiative de Télérama.
Durant l’automne, différentes journées de réflexion sur la place de la culture dans notre société ont été proposées par Télérama à Marseille, Lyon, Paris ou Lille ; autant d’occasions d’échanger et débattre sur un enjeu qui déborde largement un champ professionnel spécifique et dans lequel ne peut que se retrouver la CFDT. A Paris le 3 décembre dernier notamment, l’avant-dernier temps fort de ces « états généreux de la culture » se déroulait au 104 [1], « Fablab » et lieu de création culturelle. Réunissant quelque trois cents personnes, la manifestation portait l’ambition de nous aider à penser et repenser le monde de la culture et le monde en général dans un contexte où la tentation du repli identitaire guette.
Lieu emblématique, invités de choix, public d’initiés convaincus pour l’essentiel, bien sûr l’exercice consistant à faire émerger de nouvelles idées sur la culture comme sur tout autre sujet peut sembler un exercice un peu vain pour les désabusés du militantisme politique. Dans son édito « Réinventer la société » publié dans le magazine de référence [2] organisateur de l’événement, Fabienne Pascaud anticipait d’ailleurs ce reproche possible, arguant en retour que pire que le « bien pensant » serait l’immobilisme d’un vieux monde « bloqué sur ses peurs, ses privilèges ». Variable d’ajustement des budgets, la culture reste encore le parent pauvre des politiques de tous bords qui n’intéresse plus dès que les ambitions personnelles s’éloignent. Souhaitons que la remarque soit entendue au regard des débats qui s’annoncent toujours pour les prochaines échéances électorales et les candidats en lice : alors qu’on continue de mourir à Alep ou dans les eaux de la Méditerranée, dans un silence que les artistes semblent plus à même de briser aujourd’hui que les médias satureurs d’images, un tel débat ne devrait pourtant laisser personne indifférent, échéances électorales ou pas. L’enjeu culturel ne saurait se réduire au pré-carré de quelques professionnels de la culture. On ne peut que donner raison à Mme Merkel s’inquiétant que les tentatives d’accords libéraux entre l’Europe et le nouveau monde aient suscité plus d’émoi qu’une situation mortifère dans le berceau des plus anciennes civilisations du monde. La culture n’est ni un luxe, ni un contre-pouvoir. Elle est le ferment du vivre ensemble qui fait société.
Contre les fatalismes de tous bords, pour la CFDT, l’initiative de débats publics sur un enjeu comme la culture intéresse dans son principe même : le débat d’idées reste en soi un exercice démocratique essentiel à la cité. Pour ce qui est des artistes eux-mêmes, peut-on seulement s’en remettre au descendant – et parfois condescendant – jugement des élites ou/et de l’institution pour évaluer leur mérite ? N’est-ce pas s’en remettre à une vision très libérale des rapports humains que d’expliquer les différences de reconnaissances entre artistes au seul prix d’un talent dont la vertu serait objective ?
Même le grand magazine culturel Télérama n’échappe pas à l’ambiguïté d’un certain entre soi, on en convient, pour lui dont le lectorat ne saurait être un exact reflet de la diversité française pourtant représentée sur le plateau. Certainement, et même en pensant en amont la question de la diversité, faire connaître et présenter deux ou trois artistes prometteurs à qui on souhaite donner une meilleure visibilité ne saurait non plus tenir lieu d’une réponse collective sur le sujet, réponse dont la société est en demande ; elle ne saurait ni les faire oublier, ni répondre en soi aux aspirations et besoins des légions d’invisibles précaires que sont les nombreux artistes survivant du RSA. Pas plus qu’elle ne saurait réduire la fracture qui sépare nos élites des populations éloignées ou exclues de la culture, encore plus nombreuses, et de plus en plus tentées par les extrémismes et populismes. On le sait, de récentes études ont encore montré dans quelle mesure l’absence de culture se révèle plus prégnante pour expliquer l’échec scolaire que l’ensemble de tous les autres critères, sociaux, économiques ou linguistiques. Les populismes trouvent aussi leur base dans la discrimination culturelle dont sont victimes les plus fragiles.
Malgré tout, l’exercice d’une telle rencontre n’est pas vain quand sortent des échanges de vraies idées pour penser ce monde de demain qui inquiète. De fait, la CFDT n’est pas en reste pour se faire force de propositions dans un domaine où plus qu’ailleurs peut-être, l’impuissance de nos politiques ne saurait résulter d’une fatalité.
Faire ensemble, une vraie chance pour la culture
Premier à intervenir, l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon a su rappeler en préambule qu’« une politique culturelle ne peut être dissociée de la politique tout court » et qu’« une politique doit d’abord faire naître un « désir de culture ». Malgré les progrès faits, demeure le constat de ces larges franges de population maintenues à l’écart des politiques culturelles. On ne saurait rapporter ici l’intégralité des débats, mais retenons avec la directrice de la MC93 et ancienne codirectrice du Festival d’Avignon Hortense Archembault ou d’autres intervenants de renom que l’idée qu’on ne pouvait plus réduire la question culturelle en une simple confrontation d’offres et de demandes s’est imposée. c’est d’ailleurs ce qu’a su réaffirmer Régine Hatchondo, directrice générale de la création artistique au Ministère de la Culture : « Le socio-culturel est le nerf de la guerre alors qu’il est décrié par les élites. La culture doit être capable de s’occuper du hors-champ scolaire. On ne peut pas ne compter que sur l’école, il faut sortir de la problématique de la création pour aller chercher des enfants et les conduire vers la diffusion ! »
Modérateur : Emmanuel Letellier, journaliste de Télérama.
Est-ce que les fablab peuvent profiter aux artistes. Solutions durables dans l’univers de la culture ?
Michel Lallement, sociologue qui a passé un an en Californie, creuset du capitalisme le plus flamboyant, mais aussi lieu de la contre-culture. Dans ce milieu constitué par un collectif libertaire voire anar, le temps de la discussion doit permettre d’arriver à un consensus, qui n’est pas une dictature de la majorité. Cela suppose un vrai savoir-faire collectif. L’efficacité passe par le fait que ce qui a été décidé n’est en revanche pas remis en question. Et au final, celui qui a pris l’initiative… a raison. On peut dire que ce qui s’observe aux Etats-Unis se retrouve en France. La mise à mal de la hiérarchie verticale redonne de la place à l’expérimentation. Dans le hackerspace, le conflit est « normal ». Il faut juste faire en sorte que personne ne perde la face. L’utopie de ces hackerspaces a des ancêtres. Nous sommes au temps des utopies concrètes : les gens inventent pour faire du nouveau « ici et maintenant », par rapport à un « faire » idéal qui inhiberait. Inventer d’autres manière de travailler et vivre ensemble. Communauté qui suppose une tolérance dans le vivre ensemble très large, y compris sur les orientations sexuelles ou les modes de vie. Il faut renoncer à « faire carrière », avec un partage des tâches. Mais si les liens amoureux qui peuvent se nouer font rester les gens, des liens trop forts sont aussi le vecteur d’explosion des groupes quand le relationnel l’emporte. Une des conditions de pérennité de ces espaces est le turn over de ses membres, a contrario des modèles classiques d’entreprises.
Valérie Senghor, du 104 : Ce que pratique le 104 qui se veut incubateur d’entreprises dans un lieu d’art réunissant artistes, ingénieurs, et publics et usagers. Synthèse entre le champ économique et le champ culturel pour une innovation qui permet aussi l’échec. L’incubateur doit pourtant bien faire émerger des brevets sur fonds publics souvent, il a un chemin économique. Mais l’entreprise y est un moyen qui a une finalité sociétale et culturelle (de l’invention de nouveaux instruments de musique à la découverte de nouvelles manières d’apprendre la musique pour les usagers par exemple). Il s’agit d’immerger les artistes et les usagers dans un espace d’innovations poussant par l’échange entre pairs à se rencontrer. La rencontre ne se décrète pas, mais le lieu favorise un état d’esprit de bienveillance où les lieux et temps communs d’échanges entre le formel et l’informel ouvre sur un possible. Avec un vrai risque et un temps malgré tout contraint pour les jeunes artistes qui se saisissent du lieu puisqu’il est malgré tout payant pour eux. Du coup Valérie Senghor permet aussi de jouer un rôle de « regard extérieur ».
Josza Anjembre, jeune cinéaste repérée par le Jamel Comedy club : Se pose la question du faire. Les nouvelles technologies permettent déjà l’impensable, monter un film en pyjama seul dans sa chambre. Mais les limites arrivent juste après. Réaliser un film court révèle l’ensemble des compétences nécessaires. Mot incontournable : « pitcher » le projet de film ; la première certitude, se dire « je suis légitime », ce qu’a permis « Talent en cours », qui offre la possibilité à une France métissée et heureuse l’être de contourner la difficulté de n’avoir fait une école de cinéma. « Talent en cours » arrive comme un accélérateur et la possibilité d’avoir un premier financement qui en permet un autre. Mais il aide aussi sur un point clé : permettre une diffusion qu’Internet ne résout pas. « Cheveux bleu-blanc-rouges », film parti d’une anecdote : la nécessité de se tresser les cheveux pour faire une photo de passeport car « ils n’entrent pas dans le cadre ».
Julie Deliquet, comédienne à l’initiative d’un collectif « In Vitro », pour compenser le sentiment de solitude quand l’émulation connue dans une école de théâtre s’arrête avec elle. L’objectif était de casser la dimension hiérarchique. Il fallait juste offrir la possibilité de se réunir pour parler à une jeune génération. La question de la débrouille au départ qui finit par se retrouver au théâtre de la ville donne une légitimité. Un garage, pas d’argent, un financement qui débouche par des rémunérations semblables pour tous était une clé. Revendiquer l’égalité des salaires comme la possibilité de se retrouver sur des scènes nationales est un chemin qui reste atypique. Au fur et à mesure qu’on se professionnalise, ça suppose de se structurer pour partager les tâches et inventer une nouvelle méthode de faire ensemble. La question se pose quand l’argent arrive. Quelle part est donnée au groupe, mais quelle part reste de l’individuel ? Entrant à la comédie française, c’était une manière de répondre au besoin de poursuivre une aventure collective ou le personnel demeure. Un groupe, c’est fragile, et ce qui intéresse Julie Deliquet, c’est ce que chacun voudra faire sortir sur le plateau, et toute réponse est mouvante. Finalement, c’est souvent plus simple pour des jeunes qui sont habitués à faire ensemble.
Jean-Christophe Levassor, directeur de « La condition publique » (lieu à Roubaix, ville la plus pauvre de France – la moitié de la population y étant sous le seuil de pauvreté). La population y a pour 50 % moins de trente ans, ce qui est bien différent du profil du pays. Il a pour premier acte fondateur refusé de revendiquer un statut de directeur. Ce lieu industriel a été réinvesti pour un lieu de création artistique qui permet d’accueillir des petites structures qui cohabitent. L’objectif était d’inventer de nouveaux modèles conciliant programmation artistique, lien avec les publics et création sans réintroduire de la hiérarchie. Exemple de parents concevant avec des designers un manège où ce sont les parents qui en pédalant font tourner un manège. Du coup les habitants du quartier ont pu s’approprier le manège puisqu’il l’ont fait eux-mêmes, et continuent de pédaler pour le faire tourner… Mais de même, la création d’un marché de produits locaux dans un lieu culturel, mêem si ça apparaît comme « un truc de bobos », fait sens pour les gens du quartiers qui deviennent eux-mêmes les ambassadeurs du lieu et de ce qui s’y fait. On voit l’imbrication du culturel et du sociétal, indissociables.
La capacité à créer de l’emploi reste malgré tout sous-jacente ; il convient donc En France l’expression Fablab fait moins peur que celle de « hacker », mais le Fablab ouvre les espaces avec ses « hackerspaces » ou chacun trouve dans des lieux la possibilité de faire, librement. Il s’agit d’espaces physiques où prévaut une éthique. Ce qu’on fait ne doit pas être uniquement lié à faire de l’argent, mais doit être porteur de sens. Pas d’orientation vers une activité financièrement productive, ce sont des lieux où les jeunes gens, en moyenne d’une trentaine d’années, peuvent s’amuser à « faire ». Le haut de l’iceberg est certes constitué par des pirates qui veulent entrer dans les systèmes de pouvoir pour les fragiliser. Mais la partie invisible de l’iceberg est constituée de l’intelligence d’individus qui innovent techniquement, par bricolage mais aussi en dehors de toute hiérarchie, plaisir de faire ensemble, où chacun au niveau horizontal vaut un.
« Faire entendre des voix pistes d’avenir ». Rêvez-le, fabriquez-le, diffusez-le, clé des fablab qui se développent dans la culture comme dans l’économie. Faire naître une nouvelle société
Quel système pour demain ?
L’État et les collectivités se désengagent, et pourtant bien des choses se font sur le terrain.
Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture de 2002 à 2004. Une politique culturelle ne peut être dissociée de la politique tout court. Une politique doit d’abord faire naître un « désir de culture ». Malgré les progrès faits, le constat de franges larges de la population qui sont à l’écart des politiques culturelles. La télé reste encore un premier vecteur de diffusion d’une politique culturelle ; mais que propose-t-elle qui justifie les redevances ?
Regine Hatchondo, journaliste, conseillère de M. Manuel Valls, et à la mairie de Paris. Le socio-culturel est le nerf de la guerre alors qu’il est décrié par les élites. La culture doit être capable de s’occuper du hors-champ scolaire. On ne peut compter que sur l’école. Sortir de la problématique de la création pour aller chercher des enfants pour les conduire vers la diffusion. Les poltiques devraient s’inscrire sur du long terme quand la création est dans le court terme. Voir aussi dans la durée ce que donne l’action éducative et culturelle.
Jean-Luc Choplin : Travaille au Châtelet, à Disney Paris, et va devenir responsable de l’île Seguin. La culture, c’est la transversalité.
Jean-Manuel Gonçalves : Directeur du 104. Reste l’envie du partage, mais la reconnaissance passe par autre chose que la capacité à créer de la relation. Elle est d’abord artistique. Comment permettre aussi de valoriser la production dont le sens nous échappe encore. Comment on peut recevoir, accompagner pour voir et montrer ?
Hortense Archembault : Après avoir codirigé Avignon, MC93. Ministère de la culture. La crise des intermittents : période de concertation pendant un an pour travailler sur des possibilités effectives, que Valls a voulu transformer en actes. On a travaillé avec les premières personnes visées. Il faut être confiant sur le désir de culture de chacun, mais il faut faire tomber des murs de sentiment d’exclusion.
Stéphane Vincent : Utopie en action / depuis 2009, transformation de la culture en action publique. On ne peut dissocier la politique culturelle de la politique publique, en crise. Il faut cesser de prendre le public comme le dernier maillon de la chaîne, et partir d’eux. On n’est pas seulement consomateur, mais nous avons tous un rôle à jouer. Associer les gens à la création des lieux. Les gens veulent prendre part aux politiques qui leur sont destinées, simpelment ça marche mieux.
Didier Fusiller : Dirige La Villette. A commencé à Maubeuge territoire où le FN est très fort…
Laurence Equilbey : Artiste musicienne, chef d’orchestre. Dirige ajh Insula orchestra qui sera rattachée à l’île Seguin.
Comment renouveler la politique et l’économie culturelle.
Deux propositions
- formations initiales diplomes d’Etat ESPE/Ecoles nationales de théâtre/scènes nationales
- Ne plus construire un seul lycée ou un seul collège sans une salle qui puisse être dévolue aux arts vivants.
[1] Le 104, « établissement public de coopération culturelle ». Lieu de création et diffusion artistique mais aussi industrielle fonctionnant sur le modèle des Fablab importé des pays anglo-saxons où différents indépendants travaillent côte-à-côte de manière autonome, mais aussi en synergie.
[2] Télérama n° 3490 du 30 novembre 2016.