La difficulté actuelle de l’école française, ce n’est pas un recul de l’excellence élitiste, c’est le fossé qui se creuse entre ceux qui réussissent brillamment à l’école et les autres.
La journée « Formation, Recherche, Innovation pédagogique » organisée par la DGESIP (Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle) le mercredi 19 octobre 2016 fut extrêmement riche, conférences, ateliers… à la fois sur la formation des enseignants-chercheurs, la continuité pédagogique bac-3/bac+3, la transformation pédagogique et ses conditions. Son point d’orgue : la conférence de Jean-Marie De Ketele, « Quelle excellence pour l’enseignement supérieur ? ».
JM De Ketele est membre du réseau NEHE (Network for Excellence in Higher Education) qui regroupe une vingtaine d’experts internationaux (13 pays) qui ont composé le jury IDEFI en 2012, à la demande du gouvernement français (IDEFI : initiatives d’excellence en formations innovantes). Sa présentation avait pour objectif d’opposer deux conceptions de l’excellence, élitiste ou sociale et sociétale, et de développer les conditions de mise en oeuvre de cette 2° conception dans les universités. |
Une conception élitiste de l’excellence…
Le mot « excellence », tel qu’il est utilisé dans la majeure partie des cas, fait référence à une excellence élitiste, autrement dit une formation de haute qualité réservée à un petit nombre d’étudiants. L’excellence au sens classique est exclusive : on ne s’occupe que des meilleurs élèves, qu’on affecte aux meilleurs enseignants, aux meilleurs établissements.
Mais la véritable difficulté actuelle de l’École française, ce n’est pas un recul de cette forme d’excellence, c’est le fossé qui se creuse entre ceux qui réussissent brillamment à l’école et les autres. C’est cette dualisation des résultats, la mise à l’écart de ceux qui réussissent moins bien, qui pose problème.
Ou permettre à chacun d’atteindre son propre niveau d’excellence
Ce que défend JM De Ketele, c’est une école qui donne aux élèves le moyen d’atteindre leur propre niveau d’excellence, là où l’enseignement actuel valorise la compétition et la concurrence, avec une évaluation chiffrée et classante. Car pour lui, « qui classe, déclasse ».
Il préconise à l’inverse l’excellence sociale et sociétale, qui
- vise à donner à tous les élèves qui ont le potentiel et la motivation, et sans exclure personne a priori, les moyens d’atteindre leur propre niveau d’excellence
- ne repose pas sur une sélection a priori
- ne permet pas que les conditions financières, sociales et culturelles fassent obstacle à l’excellence de chacun
- ne sert pas les intérêts seulement de quelques-uns
- prend en compte différents critères de réussite, y compris en termes de valeurs et de souci des enjeux sociaux et sociétaux
- articule le souci de l’émancipation individuelle avec la recherche de l’intérêt général et du bien commun
Deux conceptions du pilotage pour une université
JMdK oppose ainsi deux modes de pilotage pour une université : choisir de se centrer sur les classements internationaux, ou choisir de tenir compte de la diversité des individus et des objectifs, en s’appuyant sur des transformations pédagogiques.
L’inconvénient des classements internationaux, c’est qu’ils tendent à développer un pilotage de type normatif, centré sur le développement d’un certain type de recherche, à rendre moins « visibles » les autres fonctions de l’université (et donc les personnes et entités qui s’y consacrent), à développer une « excellence élitiste » et à privilégier une posture de contrôle, opposée à une posture de la reconnaissance (reconnaissance des compétences, de la créativité professionnelle, d’une responsabilité fondée sur l’expertise..).
A l’inverse, le développement d’une « excellence sociale et sociétale » requiert un pilotage de la mission d’enseignement et de la formation (à la recherche, à la profession, à l’expertise) qui repose sur les aspects suivants :
- le pilotage part des capacités et volontés locales
- le changement des pratiques pédagogiques est un processus de longue durée
- le pilotage central ne doit pas prescrire trop vite et pour tous
- et donc une posture de la reconnaissance est nécessaire pour développer chez chacun (étudiant, enseignant-chercheur, personnel) et dans chaque entité les potentiels disponibles.
Enfin, pour conclure ce très court résumé, voici l’apologue qui a terminé la conférence et qui s’intitule :
Si Jésus revenait dans nos écoles
Jésus gravit la montagne et voyant la foule des gens assis autour de lui, il leva les yeux sur ses disciples et leur dit :
“Bienheureux les pauvres en esprit car le royaume des cieux leur appartient. Bienheureux ceux qui souffrent car ils seront consolés. Bienheureux les doux car ils posséderont la terre… “
Quand Jésus eut terminé, Simon Pierre dit : – Est-ce qu’il fallait prendre des notes ?
Puis André demanda : – Est-ce qu’on doit apprendre tout ça ?
Philippe ajouta : – Par cœur ?
Jean dit : – J’ai pas de feuille !
Et Jacques ajouta : – Moi, je n’ai plus d’encre dans mon stylo !
Inquiet, Barthélemy demanda : – Il y aura une interro ?
Et Marc dit : – Comment ça s’écrit « bienheureux » ?
Mathieu se leva et dit : – Je peux aller aux toilettes ?
Simon interrogea : – Quand est-ce qu’on mange ?
Judas ajouta : – Vous avez dit quoi après « pauvres »… ?
Alors, le grand prêtre du temple s’approcha de Jésus et dit :
– Quelle était ta problématique de départ ?
– Quels étaient tes objectifs transversaux ?
– A quelle compétence faisais-tu appel ?
– Pourquoi ne pas avoir mis les apôtres en activité de groupes ?
– Peux-tu justifier cette pédagogie frontale ? Était-elle la plus appropriée ?
Alors, Jésus s’assit et pleura…