Paroles et actes de deux enseignantes et formatrices.
[Cet entretien a paru dans Profession Education (no 267 – Mars 2019), le magazine du Sgen-CFDT.]
et , les mathématiques dans un collège de Trappes (78).
Elles interviennent en formation continue dans leur discipline, en transversale et en formation de formateurs dans l’académie de Versailles.
Ensemble, elles viennent d’écrire : Faire progresser tous les élèves au collège. Enseigner pour qu’ils apprennent, préface d’Olivier Rey, L’Harmattan, décembre 2018.
Un livre, des signets et des articles de blog
À qui s’adresse votre livre ? Aux enseignants, aux formateurs ou aux cadres de l’Éducation nationale ? Est-ce un ouvrage d’autoformation ?
Nous avons écrit ce livre en pensant d’abord aux élèves que nous avons eus, avons et auront en classe. Notre intention est présentée dans le titre. Les élèves ne vont pas à l’école pour être à l’école mais pour progresser. Non pas dans le sens d’« ils auront de meilleures notes », mais d’« ils vont développer petit à petit des compétences ». Aussi, ce livre s’adresse à tous ceux qui ne supportent plus l’idée qu’on puisse laisser des élèves dormir en fond de salle, du moment qu’ils ne gênent pas les autres ; à tous ceux qui savent que l’autoritarisme, face aux perturbations des cours, n’est une solution qu’à très court terme ; à tous ceux qui cherchent à faire progresser chaque élève, mais ne savent pas trop comment s’y prendre ou qui doutent et se sentent isolés. Enseignant du premier ou du second degré, formateur, assistant d’éducation, inspecteur ou personnel de direction… chacun peut s’y retrouver et piocher ce qui lui parait à sa portée pour le mettre en œuvre ou pour l’impulser.
Auto-formation, pourquoi pas ? Ce livre peut se lire de différentes manières : partie par partie (il yen a quatre) selon les intérêts et les besoins du lecteur. Il peut se lire « en accéléré » avec les petits tests d’entrée de chapitre et les « à retenir » de la fin.
Rien de ce que nous avons écrit n’est « en l’air », théorique ; tout a été essayé, discuté, évalué…
Notre travail a été, depuis le premier ouvrage, de continuer à lire des articles et livres de chercheurs, de tester dans nos classes un certain nombre de dispositifs. À partir de nos lectures, nous avons également développé des outils de stage, dont certains sont présentés dans le livre. Rien de ce que nous avons écrit n’est « en l’air », théorique ; tout a été essayé, discuté, évalué, transformé pour être faisable, pratique, adaptable.
Il ne s’agit pas d’un livre qui s’autosuffirait, en fait, mais d’un ensemble « livre et articles de blog ». Ainsi, une quarantaine de compléments sont disponibles gratuitement.
Apprendre à apprendre est le savoir fondamental
Le livre s’appuie sur le socle commun, et notamment son domaine 2, « les outils et méthodes pour apprendre ». Sera-t-il utile à l’heure des « savoirs fondamentaux » ?
Apprendre à apprendre est un savoir fondamental. C’est peut-être même le savoir fondamental pour les élèves.
Les enquêtes internationales montrent que le niveau des élèves les plus faibles est vraiment très faible, en maths par exemple, ce qui est un handicap dans notre société. Que les instances nationales s’en préoccupent est plutôt une bonne nouvelle. Mais, mettre en œuvre l’apprentissage des maths en n’ayant que peu de compétences didactiques et pédagogiques ne peut que faire perdurer cet état de fait. Réfléchir à faire progresser les élèves ne serait-il pas un bon axe pour le développement professionnel des enseignants ? Alors, oui, outiller les enseignants, les faire réfléchir à la manière dont ils enseignent pour qu’ils aident leurs élèves à apprendre nous parait fondamental. C’est le travail des formatrices que nous sommes : aider les collègues à s’approprier les résultats des recherches actuelles, sciences cognitives et autres, au bénéfice des apprentissages de tous les élèves.
Réfléchir à faire progresser les élèves ne serait-il pas un bon axe pour le développement professionnel des enseignants ?
Les débats médiatisés ont, comme souvent, présenté la réforme du collège comme une réforme de structures. Or elle se voulait surtout pédagogique. A-t-elle de ce point de vue amorcé un changement ?
Nous avons vu des collègues en formation qui osaient travailler ensemble en accompagnement personnalisé ou en enseignement pratique interdisciplinaire (EPI), qui témoignaient de ce que leurs élèves s’impliquaient dans des démarches de projets ; des collègues et des cadres qui ont réfléchi et montré des voies pour que l’évaluation soit informante et permette aux élèves de progresser. Nous avons effectivement constaté une amorce de changement vers une réelle réflexion et des actions qui commençaient à prendre forme, soutenues par les cadres de notre académie, contrairement à ce qui s’était passé pour le premier socle. Ce n’était pas une réforme de structures, pourtant les biais organisationnels ont pris le pas sur le fond de cette réforme.
Le dilemme du formateur
Depuis quelque temps, les réformes de l’École s’enchainent, avec des changements de cap qui déboussolent les plus convaincus. Comment les formatrices que vous êtes le vivent-elles ?
Mal… mais le grand public plébiscite. « Mettre en face des élèves des assistants d’éducation sans formation, c’est toujours mieux qu’un prof absent » peut-on entendre. Que répondre à ça ?
Lors de la mise en place du premier socle, quelques stagiaires refusaient, sans agressivité, de se mettre au travail sur les compétences. « Vous verrez Madame. Des réformes on en a vu passer, elles passent toujours. Celle-là passera aussi ». Et nous d’argumenter, « Mais non, pas celle-là, elle est issue d’une décision à l’échelle de l’Union européenne, il s’agit de la refonte des systèmes éducatifs. » Ces collègues-là ne se sont pas plus investis et la réforme passe, chassée par une nouvelle réforme.
Les formatrices que nous sommes sont missionnées pour faire évoluer les pratiques dans le sens voulu par le ministre du moment. C’est et ce sera toujours le dilemme du formateur. À nous de nous adapter ou d’en rester à des formations plus « neutres », voire de nous en aller si nous n’y retrouvons rien de ce qui nous anime et qui fonde notre engagement.