Tribune parue dans le Jdd.fr le 9 octobre 2015.
Philippe Meirieu, professeur d’université,
Liliana Moyano, présidente de la FCPE,
Christian Chevalier, secrétaire général du SE-Unsa,
Frédéric Sève, secrétaire général du Sgen-Cfdt,
Philippe Watrelot, président du Crap-Cahiers Pédagogiques,
Marie-Claude Cortial, présidente d’Education & Devenir.
Il faut saluer la réforme du collège qui sera mise en Å“uvre à la rentrée scolaire 2016. Il y a, en effet, un vrai courage politique à s’attaquer ainsi à un angle mort des politiques scolaires. Institué en 1975, le « collège unique » a contribué à la massification scolaire mais n’a pas tenu ses promesses de démocratisation. Certains veulent s’attaquer à son principe même en rétablissant la sélection précoce. Pour notre part, non seulement nous ne voulons pas abandonner ce projet, mais au contraire, pour que l’instruction obligatoire ne forme plus des citoyens à deux, trois ou quatre vitesses, le réaliser enfin. L’exemple du brevet des collèges est là pour rappeler le marché de dupes qui se joue aujourd’hui au collège. On fait croire que l’examen terminal du brevet des collèges doit mobiliser l’énergie de tous, à commencer par les plus faibles, alors que l’essentiel de l’orientation se joue avant et ailleurs… Le constat est largement partagé d’un collège qui est organisé comme un « petit lycée ». Ni les questions lancinantes d’articulation avec l’école primaire ou avec l’enseignement professionnel, spécialisé, l’apprentissage, n’ont été largement et durablement réglées, quelles qu’aient été les intentions affichées ou l’habileté des différents ministres, recteurs, chefs d’établissement, enseignants…
« Passer du courage politique au courage tout court »
Il est, certes, utile que les élèves découvrent à l’entrée du collège, et tout au long de celui-ci, la spécificité des disciplines scolaires, mais il est regrettable que la finalité réelle du collège se réduise à cela, faisant ainsi de la scolarité obligatoire une machine à exclure. Nous oublions souvent que, dans ces quatre années, les enfants entrent – progressivement ou brutalement – dans l’adolescence, expérience qui confronte le jeune à la réalité des règles du monde adulte, aux changements corporels, aux changements de rythmes de vie, de relations aux autres. Face à l’inquiétude généralisée et croissante de nos sociétés, il n’est pas toujours facile de grandir… C’est pourquoi il faut que le collège soit vraiment repensé comme un temps d’apprentissage spécifique, une expérience scolaire et personnelle qui ouvre sur la réalité de la formation tout au long de la vie et la vie de citoyen.
Il va donc falloir passer du courage politique au courage tout court, dans le travail de mise en place de la réforme. De nombreux changements vont intervenir en même temps pour la rentrée prochaine : la mise en place de nouveaux cycles, dont le cycle 3 associant école élémentaire et collège (CM1, CM2, 6ème), un socle commun remanié et de nouveaux programmes, du CP à la troisième, un nouveau cadre d’évaluation des acquis, etc.
Il faut respecter les exigences inscrites dans la loi : les cycles – et notamment le cycle 3 à propos de l’évaluation qui doit être cohérente et continue du CM1 à la 6ème -, un apprentissage de la langue écrite renforcé, des langues véritablement « vivantes » pour toutes et tous, la coopération entre élèves, la découverte des disciplines et des métiers par tous, la formation citoyenne en actes, une éducation culturelle et artistique exigeante, des travaux interdisciplinaires qui ne soient pas une « soupape de sureté » récréative, mais bien le moyen de donner un nouveau sens aux disciplines et de mobiliser les élèves sur elles, etc.
« Nous devons travailler avec les parents »
C’est pourquoi la formation continue doit tenir les promesses attendues par les équipes pédagogiques en partant de leurs besoins, de leur histoire, de leurs projets et en leur permettant d’inventer les moyens pour atteindre les objectifs nationaux. Il faut leur faire confiance et leur laisser du temps pour qu’elles puissent fixer des priorités de mise en Å“uvre, pour qu’elles puissent mettre en place des outils pertinents de suivi des acquis que les élèves et les parents puissent s’approprier (portfolio, carnet de bord…).
L’interdisciplinarité, comme l’approche éducative globale, ne se décrètent pas d’en-haut. C’est pourquoi il faut laisser de l’espace à des acteurs essentiels de la réforme : les parents, souvent inquiets et perplexes face à des changements multiformes (évaluation, intitulé des cours) : nous devons travailler avec eux, les associer réellement à ces réflexions. Les élèves enfin doivent être accompagnés vers de nouveaux rôles d’élèves à imaginer : plus autonomes dans le collège, plus responsables face à leur environnement proche ou lointain, plus coopératifs et solidaires. C’est ce qui les attend dans le monde que nous voulons pour demain.