À l'heure où esprit critique et liberté d'expression son fragilisées, nous avons rencontré Roger Reverdy, cofondateur du Festival de Castelnaudary, et Nadia Khiari, dessinatrice, créatrice d'un chat devenu un emblème de la liberté en Tunisie.
Le Festival de la caricature et du dessin de presse de Castelnaudary rassemble tous les ans, depuis 1998, lors du dernier dimanche de novembre, une vingtaine de dessinateurs et dessinatrices qui viennent présenter leur travail au public, discuter avec lui, partager des moments festifs. Le premier jour du Festival est entièrement dédié aux scolaires des écoles, collèges et lycées, et à leurs enseignant·e·s. Un rendez-vous qui se poursuit tout au long de la semaine d’exposition, après le départ des dessinateurs et dessinatrices…
Festival de Castelnaudary et son organisateur. Pour la première fois depuis sa création, le Festival n’aura pas lieu, Covid oblige (ci-contre à gauche, affiche pour la 23e édition, dessin du président © Les Croquignous). Un témoignage essentiel aussi, dans une période où le travail des caricaturistes et des dessinateurs et dessinatrices de presse est plus que jamais mis à mal.
(ci-contre à droite, croqué par Hours © Les Croquignous) enseignant aujourd’hui à la retraite, est le cofondateur duCet entretien a paru dans le no 277 – Automne-hiver 2020 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.
Comment est né le Festival de la caricature et du dessin de presse de Castelnaudary ?
Par hasard : lors d’une réunion syndicale à Paris,
, alors rédacteur en chef de L’Enseignant, m’a appris que la ville devant accueillir le festival qu’il créait s’était désistée du fait de l’actualité liée à la dissolution de l’Assemblée nationale ! Sans hésiter, j’ai proposé de le faire… à Castelnaudary.Le nouveau maire,
, a accepté, sans nous promettre monts et merveilles, mais un petit financement a été dégagé. L’aventure dure depuis 23 ans !Quand a-t-il lieu ? Et comment est-il organisé ?
Il se déroule le dernier week-end de novembre, du vendredi au dimanche, en présence des dessinateurs. Puis l’exposition reste ouverte jusqu’au dimanche suivant, le premier de décembre qui est le jour de la « foire au gras » à Castelnaudary, une occasion d’avoir des visiteurs d’autres départements.
À chaque édition, le ou la président·e désigné·e choisit une thématique qui est communiquée en juin au public.
L’exposition elle-même comprend trois parties : les dessins des élèves réalisés pour le concours ; ceux des dessinateurs sur la thématique ; enfin, chaque dessinateur dispose d’un panneau personnel où il montre les dessins de son choix. Les salles ne nous permettent d’accueillir que 23 dessinateurs – 24, avec le panneau du regretté Tignous qui reste à demeure. Sa femme, Chloé, nous apporte des dessins pour renouveler la présentation.
Les salles ne nous permettent d’accueillir que 23 dessinateurs – 24, avec le panneau du regretté Tignous qui reste à demeure.
À suivre l’actualité du festival, on pense à Rabelais : il y a la fête et la convivialité, le goût du coup de crayon et du verbe, l’humour et la tolérance… Un mot sur cet état d’esprit ?
Quand on a réfléchi au nom qu’on allait donner à cet évènement, j’ai dit à
(ci-contre, Alain Faillat par lui-même © Les Croquignous) que je préférais l’appellation « festival » – parce qu’il y a la notion de fête – à celle de « salon ». On a misé sur une réception chaleureuse des dessinateurs qui viennent gratuitement pendant trois à quatre jours, rencontrent le public et les élèves du coin, répondent aux questions, offrent des dessins aux uns et aux autres…L’intronisation du ou de la président·e le jour de l’inauguration, la remise des prix (Prix Malepère, Prix du cassoulet, Prix du public…) sont autant d’occasions de dérisions, de rigolades et de festivités.
L’idée de leur ménager des temps de pause pour échanger entre eux et de les rassembler autour de repas conviviaux s’est naturellement imposée. Ainsi, le vin est offert par le cru Malepère, l’un de nos partenaires d’origine, et la soirée cassoulet de clôture – incontournable à Castelnaudary – rassemble le public et les membres des Croquignous, l’association qui organise le festival. Les dessinateurs en profitent pour croquer ce qui leur passe par la tête et leurs dessins sont projetés en direct sur deux écrans installés dans la salle. C’est dire s’ils sont toujours à donner d’eux-mêmes ! L’intronisation du ou de la président·e le jour de l’inauguration, la remise des prix (Prix Malepère, Prix du cassoulet, Prix du public…) sont autant d’occasions de dérisions, de rigolades et de festivités.
Les scolaires ont toute leur place au sein du Festival de la caricature et du dessin de presse de Castelnaudary. Comment élèves et enseignants participent-ils ?
Le premier jour du festival leur est intégralement réservé. Tous les élèves – du CE2 au collège –, qui ont participé au concours, sont reçus sur rendez-vous, soit deux à trois classes par heure, chacune étant accompagnée par trois dessinateurs pour la visite de l’exposition. S’ensuit un temps d’échange : les dessinateurs peuvent montrer leur travail, faire réagir les élèves, répondre à leurs questions et aussi les faire travailler et montrer comment eux-mêmes procèdent.
Le premier jour du festival leur est intégralement réservé.
Les deux lycées de Castelnaudary ne sont pas oubliés : tous les ans, je me rends avec un ou deux dessinateurs auprès des lycéens qui ont participé au concours, en principe ceux de section arts plastiques. Mais des enseignant·e·s (en histoire, français…) nous sollicitent également parce qu’il·elle·s ont fait travailler leurs élèves sur le genre de la caricature et du dessin de presse, ou sur la thématique du festival.
Le festival va bien au-delà de dessins accrochés à des cimaises…
C’est une vraie rencontre avec les dessinateurs, autour de leur travail et lors des moments conviviaux comme les apéritifs, les repas.
Depuis sa création, environ 90 [dessinateurs] ont participé. Ils donnent vraiment de leur temps, dessinent pour qui demande et sur commande.
En 23 ans, j’en ai vu très peu qui n’ont pas été coopératifs. Même des dessinateurs de renom se sont prêtés facilement au jeu, de manière désintéressée. Ce sont des moments étonnants parce qu’ils sont très patients et à l’écoute du public. D’ailleurs, ils aiment revenir. Depuis sa création, environ 90 ont participé. Ils donnent vraiment de leur temps, dessinent pour qui demande et sur commande. L’entrée du festival est gratuite, et le catalogue, vendu à seulement 5 euros, comporte des pages vierges pour des dessins originaux avec lesquels les visiteurs repartent. Un beau souvenir !
Que suscitent la caricature et le dessin de presse chez les visiteurs du Festival de la caricature et du dessin de presse de Castelnaudary ?
Chez les scolaires, la première chose qui les fait réagir, ce sont les sujets un peu osés, grivois. En tant qu’organisateur, on ne choisit pas les dessins, c’est du seul ressort des dessinateurs invités. Dans la semaine qui suit le départ des dessinateurs, on continue à recevoir les scolaires sur rendez-vous. On leur distribue un questionnaire en début de visite (parfois, les profs ont rédigé le leur) qui leur sert de fil conducteur et stimule leur curiosité en leur faisant faire des recherches. Ensuite, ils sont invités à partager ce qu’ils en ont pensé. Parfois, chez les élèves plus âgés, il y a une incompréhension concernant certains dessins, en particulier quand figurent des mosquées ou d’autres références à la religion musulmane. Mais c’est rare et cela reste très correct, à chaque fois on parle de Tignous…
Parfois, chez les élèves plus âgés, il y a une incompréhension concernant certains dessins, (…). Mais c’est rare et cela reste très correct, à chaque fois on parle de Tignous…
Chez les adultes, l’émotion la plus courante est le rire. Il n’y a jamais eu d’esclandre, à part à deux reprises pour des dessins qui avaient choqué les catholiques. En particulier, Jésus sur la croix, son portable, en train de sonner, coincé dans la ceinture de son caleçon, et qui disait « c’est peut-être papa, j’aurais dû prendre option mains libres »…
, président, en 2002, avait illustré sa thématique « Devine d’où je t’appelle ? », avec un dessin (paru dans le Midi Libre, un journal plutôt catho) deToute caricature est-elle défendable ?
Certaines peuvent choquer, bien sûr, mais je ne me vois pas retirer un dessin qu’ils ont choisi. Parmi les dessinateurs invités, il y a une communauté de valeurs. Ils peuvent faire des dessins qui se moquent des religions, quelle qu’elles soient, mais la critique porte sur les cultes, pas sur les croyants. Après, il y a ce que la loi autorise et qui peut scandaliser certaines sensibilités, comme la question du blasphème. Malheureusement, on sait ce que ça a donné et continue de donner. Mais à Castelnaudary, on ne connait pas de tensions de ce type.
Que peuvent opposer les dessinateurs et le Festival au fanatisme meurtrier ?
Déjà, on rend hommage à Tignous (ci-dessous, en train de dessiner lors d’un festival à Castelnaudary © Les Croquignous) à chaque édition. On raconte son histoire. Il a été président du festival en 2006 avec comme choix de thématique « Le sport dans le sang ». C’était un copain de longue date, un vieil habitué qu’on retrouvait toujours avec un immense plaisir, y compris dans d’autres festivals.
on rend hommage à Tignous à chaque édition.
Celui de Castelnaudary, du 27 novembre au 7 décembre 2014, a été son dernier. Au pied levé, nous avons tenu à lui rendre hommage en organisant, les 10, 11 et 12 janvier 2015, une exposition de ses dessins, qui a ensuite été divisée en trois et a été exploitée dans les collèges et les lycées du département et de départements proches.
résister, c’est laisser chaque dessinateur présenter les dessins qu’il veut.
Ensuite, résister c’est laisser chaque dessinateur présenter les dessins qu’il veut. Au Festival de la caricature et du dessin de presse de Castelnaudary, nous sommes là pour apporter du plaisir, de la joie, pour faire connaitre les dessinateurs… On bénéficie d’une bonne revue de presse – ce qui est la moindre des choses ! (rires).
Justement, les dessinateurs vous font-ils part de plus grandes difficultés aujourd’hui pour placer leur travail ?
Il y a beaucoup de journaux qui défendent le dessin de presse comme symbole de la liberté d’expression, mais très peu ont eux-mêmes des dessinateurs attitrés. Et certains s’en séparent, comme Sud-Ouest, qui du jour au lendemain a licencié
, en invoquant des motifs personnels et non politiques… • Propos recueillis par Aline Noël
Passation de pouvoir… en dessins
, présidente de la 21e édition du Festival (à gauche © Les Croquignous) passe le relais à , président de la 22e édition (ci-dessous © Les Croquignous).
Repères
1998 : 1re édition du Festival de la caricature et de la presse de Castelnaudary, créé par
Alf est président de cette édition inaugurale, dont la thématique est « Dessine-moi un droit de l’Homme ».
2006 : 9e édition, avecprésident, qui choisit la thématique « Le sport dans le sang ».
,2017 : 20e édition, avec présidente, qui choisit la thématique « Planète bleue ou saignante ».
,2018 : 21e édition, avec présidente, qui choisit la thématique « Tout le monde il est beau ! ».
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