Communiqué du 23 juin 2017 des élus et des représentants des organisations syndicales du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche - CNESER
Les signataires
CFE-CGC, CGT, CGT FERC Sup, FAGE, SGEN-CFDT, SNASUB-FSU, SNCS-FSU, SNESUP-FSU, SNPTES, SNTRS-CGT, Sud-Recherche-EPST Solidaires, Sud-Education, UNEF, UNSA (A&I, Sup’Recherche, ITRF-BI-O)
Le rôle vital de l’enseignement supérieur et de la recherche
Le monde et les défis qui l’accompagnent ont considérablement changé ces dernières années : sociétés, démocratie, sécurité, démographie, santé, alimentation, énergie, transports, réchauffement climatique, transition écologique, etc. Les transformations s’accélèrent, poussées par des percées scientifiques majeures, des connaissances et des moyens technologiques toujours plus pointus.
La recherche est pour les pays un facteur clé de progrès, et la France doit pouvoir jouer un rôle de premier plan dans un monde sujet à des évolutions rapides. La recherche ne pourra se développer sans un substrat de solides connaissances, en lien étroit avec la formation et notamment l’enseignement supérieur, qui irrigue durablement la dynamique des savoirs et des qualifications, la capacité de réflexion critique des citoyens (y compris vis-à-vis de la science et de la technologie) indispensables aux progrès culturel, social et économique.
La recherche publique nécessite un effort important, à programmer sur plusieurs années
Depuis plusieurs années, l’effort de recherche de la France a décroché par rapport à ses principaux partenaires. Avec 2,26% du PIB consacré à la R&D (chiffre 2014 de l’OCDE1), la France n’atteint pas l’objectif de 3% de la stratégie européenne établie en 2000. Elle se situe en dessous(1) de la moyenne de l’OCDE (2,37%) et loin des USA (2,74%), de l’Allemagne (2,90%), du Japon (3,59%) et de la Corée (4,29%).
La France s’était engagée(2) à porter l’effort de R&D à 3% du produit intérieur brut (PIB) à l’horizon 2010, dont 1% consacré à la recherche publique et 2% à la recherche privée. Cet objectif exigeait une rupture avec les choix politiques ayant abouti au gel de l’effort global de recherche de la France depuis 2000 et même à la baisse depuis 2009 des dépenses de R&D financées par l’Etat en pourcentage du PIB (0,81% en 2000, 0,86% en 2009 et 0,79% en 2013 : chiffres de l’OCDE(1)) alors que des missions supplémentaires du « transfert » et de « l’innovation » ont été attribuées à tous les établissements de l’ESR, notamment depuis la loi ESR de 2013. Il est urgent de programmer un effort budgétaire pour l’ESR sur le long terme, au-delà de la « sanctuarisation » qui, pour le service public de l’ESR, a conduit à une baisse effective en pourcentage du PIB.
Programmer un effort budgétaire pour l’ESR est aussi l’une des préconisations du Livre blanc 2017 de l’enseignement supérieur et de la recherche qui recommande une augmentation annuelle comprise entre 910 et 1270 millions d’euros. Cette augmentation est un minimum pour stopper la poursuite de la régression de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Pour que la France puisse tenir ses engagements en R&D(2), l’effort budgétaire devrait être programmé sur 10 ans et d’un milliard d’euros supplémentaire par an dans les organismes de recherche (EPST) et les universités pour le porter à 1% du PIB dans 10 ans ; l’effort en faveur de la recherche industrielle publique (EPIC et entreprises publiques) doit augmenter dans les mêmes proportions.
Enfin, toute nouvelle mission attribuée à l’ESR comme celle de l’innovation doit être accompagnée d’un budget permettant sa mise en œuvre sans pénaliser ses autres missions.
L’urgence pour l’enseignement supérieur
Le budget que le pays consacre à l’enseignement supérieur(3) stagne autour de 1,5% du PIB, engendrant là-aussi un décrochage manifeste. Plus inquiétant est le manque d’anticipation, déjà constaté, face à l’augmentation massive du nombre des étudiants actuellement prévue avec 360000 étudiants supplémentaires en 2025 : cette augmentation est un atout pour le pays et doit être accompagnée d’un plan d’investissement croissant supplémentaire pour les établissements d’enseignement supérieur. L’effort supplémentaire pour le service public de l’enseignement supérieur devrait être de 2 milliards d’euros par an pendant 10 ans pour atteindre 2% du PIB dans 10 ans.
Donner les moyens au MESR de mettre en œuvre la STRANES et la SNR
Les grandes orientations de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) sont définies par le ministère de l’ESR à travers la stratégie nationale d’enseignement supérieur (STRANES) et la stratégie nationale de recherche (SNR). Le CNESER doit être associé à l’élaboration de ces stratégies et à leur évaluation, et l’Etat doit doter l’ESR des moyens budgétaires lui permettant d’atteindre ces objectifs.
Près du quart des financements publics de l’ESR est attribué par d’autres canaux que le ministère chargé de l’ESR (MESR) : financements européens, programme d’investissement d’avenir (PIA – partie réservée à l’ESR), collectivités territoriales et les autres ministères. Le MESR doit avoir la maîtrise de ces financements pour lui permettre d’assurer la cohérence de la mise en œuvre de la SNR et de la STRANES. Ce processus doit être accompagné d’une coopération entre les administrations centrales des ministères concernés et les régions.
La partie du PIA affectée à l’ESR, actuellement pilotée au niveau du premier ministre et dont l’efficacité est contestée par la Cour des comptes, a été utilisée comme un instrument pour imposer aux établissements des restructurations et leur mise en compétition. Il participe à la complexification du paysage de l’ESR et au développement du fonctionnement sur appels à projets de l’ESR. Les moyens du PIA concernant l’ESR doivent être reversés au MESR, de façon à les intégrer à la dotation budgétaire de tous les EPST, universités et EPIC.
Simplifier et rééquilibrer le système de financement de la recherche publique
Les établissements de l’ESR sont financés d’une part par une dotation de l’Etat, supposée assurer à la fois le financement de la masse salariale, des formations et des structures de recherche, et d’autre part par des ressources dites « propres » sur contrats. Depuis 2000, les mesures incitatives ont été multipliées pour orienter la recherche publique avec les moyens suivants : le système d’appels à projets de l’ANR pour sélectionner les activités de recherche de base et les orienter vers les enjeux sociétaux ; le millefeuille des dispositifs d’incitation au développement de la recherche partenariale et de l’innovation (pôles de compétitivité, FUI, Instituts Carnot, CIFRE, IRT, SATT, CVT, IEED, ANR, Europe, Région,…) ; le PIA pour restructurer le paysage de l’ESR.
Cette augmentation du financement sur projets s’est accompagnée d’une diminution significative de la dotation de base des établissements, qui ne leur permet plus de conduire une politique scientifique propre, élaborée à travers le fonctionnement de leurs instances. Les équipes de recherche publique n’ont plus la possibilité d’initier des activités de recherche sans l’apport de ces financements sur contrats. Il en résulte un mode de financement quasi-exclusif sur appels à projets, qui met les chercheurs directement aux prises avec des procédures administratives hypertrophiées et impose aux unités de recherche des systèmes complexes de prélèvements sur ressources propres. Le faible taux de succès des appels à projets (entre 10% et 15% voire moins au niveau européen) mobilise, en pure perte, un temps de travail considérable et engendre le découragement des personnels. Ce système de financement sur projets a engendré une forte augmentation du nombre de personnels sur contrats à durée déterminée (CDD) : jusqu’à 40% des effectifs dans certains établissements.
Les structures de recherche sont créées puis évaluées périodiquement a priori et a posteriori sur un programme de recherche dont le financement doit être assuré dans sa totalité par des dotations annuelles, tout comme les charges structurelles des établissements. Les mesures incitatives doivent viser à soutenir un effort supplémentaire en réponse à un besoin affiché du pays. Il est urgent de rééquilibrer le système de financement de la recherche publique pour permettre aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs de se consacrer à leurs missions.
Développer l’emploi scientifique et revaloriser des carrières
La situation de l’emploi dans les établissements de l’ESR s’est particulièrement dégradée avec une forte augmentation des emplois précaires, estimée à plus de 30% des effectifs en moyenne, bien au- dessus des ratios habituels de la fonction publique d’Etat. La grande majorité de ces salariés en CDD occupent, dans les faits, des emplois répondant à des besoins permanents, qui devraient être occupés par des personnels statutaires (fonctionnaires titulaires dans l’enseignement supérieur et les EPST, CDI dans les EPIC). Cette situation concerne aussi bien les métiers techniques et administratifs que les fonctions d’enseignement et de recherche. Résorber la précarité est un impératif de justice sociale et une condition indispensable pour améliorer les conditions de travail et assurer la qualité de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Le Livre blanc 2017 de l’ESR recommande la création de postes à raison de 350 par an dans les EPST et 1000 dans les universités. Un plan pluriannuel plus ambitieux doit être mis en place pour l’emploi scientifique et technique avec la création de 5000 postes de titulaires par an pendant 10 ans dans l’ESR. Ces 50 000 postes sont nécessaires pour titulariser les personnels en CDD occupant des fonctions pérennes, pour porter l’effort de R&D public à 1% du PIB et pour accompagner la hausse prévue du nombre d’étudiants. Le nombre de financements de thèse doit être augmenté dans toutes les disciplines pour atteindre l’objectif de la STRANES de former 20 000 docteurs par an en 2025.
Cet effort en faveur de l’emploi scientifique doit être accompagné d’une amélioration de l’attractivité des métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur. Les personnels de l’ESR perçoivent, au même niveau de qualification, la rémunération la plus basse de la fonction publique. Il faut une véritable revalorisation de la rémunération des personnels de l’ESR et la reconnaissance du doctorat dans les secteurs public et privé.
L’indispensable progrès de la recherche privée
Les dépenses intérieures de R&D financées par les entreprises s’élèvent à 1,23% du PIB en France (chiffre 2013, source OCDE1), en dessous de la moyenne de l’OCDE (1,44%) et loin des USA (1,67%), de l’Allemagne (1,85%), du Japon (2,63%) et de la Corée (3,14%). Ce niveau reste éloigné de l’objectif de 2% du PIB, malgré l’évolution positive observée depuis 2000 : 1,09% du PIB en 2000, 1,15% en 2009 et 1,23% en 2013 (chiffres de l’OCDE1).
L’Etat soutient la recherche privée avec des mesures fiscales indirectes et des aides incitatives directes à hauteur de 0,37% du PIB (chiffre 2013 de l’OCDE4). Le crédit impôt recherche (CIR) représente actuellement le dispositif le plus important (environ les deux tiers, soit 0,25% du PIB). La France se caractérise de façon paradoxale par la plus importante aide publique indirecte à la recherche privée et un financement de la R&D des entreprises identifié comme insuffisant. Cette situation engendre des interrogations légitimes sur l’efficacité du CIR, comme le montre le rapport de la Cour des comptes(5).
Le CIR est une dépense fiscale figurant dans le budget de l’ESR sur laquelle le CNESER doit débattre et donner un avis, au même titre que l’ensemble du budget de l’ESR. Le dispositif du CIR doit être évalué, en s’appuyant notamment sur des études scientifiques de ses effets sur la recherche (comme celles initiées par France Stratégie). Outre son coût et les doutes qu’il suscite sur son efficacité, le dispositif du CIR introduit des déséquilibres qui contrarient l’articulation entre recherche privée et recherche publique avec : une aide publique indirecte à la recherche privée sans sélection et avec un plafond très élevé face à un financement du fonctionnement de la recherche publique par appels à projets qui s’avèrent trop sélectifs ; la recherche publique placée en unique position de sous-traitance des entreprises privées ; l’absence d’effet notoire du CIR sur l’emploi des jeunes chercheurs titulaires du doctorat ou pour préparer un doctorat (le plafond de contrats CIFRE n’est pas toujours atteint malgré un taux de sélection très favorable).
Les élus et les représentants des organisations syndicales du CNESER rappellent la grande importance qu’ils accordent au développement qualitatif et quantitatif de la recherche privée et à l’objectif de 2% du PIB pour les dépenses de R&D financées par les entreprises. Cependant, le dispositif d’aides à la recherche privée ne doit pas, dans une dépense publique extrêmement contrainte, se faire au détriment de la recherche publique. Entre 2009 et 2016, la part du CIR dans le PIB a augmenté de 12 % pendant que la part du budget de la MIRES diminuait de 4%.
Une remise à plat des aides de l’Etat à la recherche privée est nécessaire pour que ces aides s’inscrivent dans un besoin affiché du pays, qu’elles soient transparentes et évaluées et qu’elles produisent un effet d’entraînement sur le financement des entreprises dans leurs propres recherches. Ces dispositifs doivent notamment favoriser des partenariats équilibrés entre recherche privée et recherche publique.
Conclusion : il est urgent de programmer un effort budgétaire pour l’ESR
L’état doit doter l’enseignement supérieur et la recherche des moyens budgétaires permettant d’atteindre ses engagements(2) et les objectifs de la STRANES et de la SNR. Il est urgent de programmer sur 10 ans un effort budgétaire pour l’ESR avec 1 milliard d’euros supplémentaire par an pour la recherche publique et 2 milliards d’euros supplémentaires par an pour le service public de l’enseignement supérieur. Le maintien de la part actuelle de l’ESR dans le PIB se traduirait par un recul de la France par rapport à ses principaux partenaires.
Références
1 Principaux indicateurs de la science et de la technologie, volume 2016/1, OCDE. 2 Conclusion 47 du conseil européen de Barcelone, 15 et 16 mars 200
2 : « … le Conseil européen : – considère que l’ensemble des dépenses en matière de R&D et d’innovation dans l’Union doit augmenter, pour approcher 3 % du PIB d’ici 2010. Les deux tiers de ce nouvel investissement devraient provenir du secteur privé ». http://www.consilium.europa.eu/fr/european-council/conclusions/1993-2003/
3 Regards sur l’éducation 2014, OCDE.
4 Données et statistiques de l’OCDE sur les incitations fiscales à la R-D. Science, technologie et industrie : Tableau de bord de l’OCDE 2015.
5 L’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt en faveur de la recherche, rapport de la Cour des comptes rendu public le 11 septembre 2013.