Entretien avec Maryse ESTERLE, spécialiste de la socialisation des jeunes et du décrochage scolaire et auteure de «Où va la formation des enseignants ? Des IUFM aux ESPE. Chronique d’un passage tourmenté.» Paris, Éd. Petra, collection. « Éducation, art du possible », 2017.
Formation des enseignants : le regard d’une sociologue qui a enseigné en IUFM
J’ai commencé à écrire en mai 2011, quand la réforme Darcos sur les IUFM était installée et avait déjà essoré une première promotion d’étudiants.
Nous avions été nombreux à vivre très mal ce moment : les IUFM étaient décriés depuis des années, mais il fallait les améliorer et non appauvrir les formations qui s’y donnaient. Ce que je vivais en cours avec les étudiants, ce qu’il se passait dans les assemblées générales constituaient autant d’anecdotes significatives. J’avais un matériau important (prises de notes…) et j’ai continué de me documenter, mais j’ai mis du temps à concevoir ce livre dont la forme n’est pas classique, contrairement à mes autres livres de sociologie.
Raconter pour faire trace, pour pouvoir débattre et progresser…
Ayant vécu cette réforme de l’intérieur et étant à la retraite depuis 2013, j’ai pris le parti de ne pas masquer mon implication personnelle et j’ai assumé une parole libre et subjective facilitée par l’arrêt de mon activité professionnelle à l’IUFM/Éspé. L’idée était de raconter pour faire trace, pour pouvoir débattre et progresser : les témoignages étayés par un travail de contextualisation (l’histoire de la formation des enseignants, ses évolutions…) permettent aussi de poser une expertise et d’avancer des préconisations.
Je suis convaincue que la formation des enseignants nécessite d’alterner théorie et pratique, comme c’est le cas pour d’autres formations (médecine, magistrature, éducation spécialisée…). Il faut emmener les étudiants et les stagiaires sur le terrain (établissements en éducation prioritaire, foyers…), à la rencontre des professionnels, pour que le rapport au social et les valeurs de l’École soient incarnés.
Ce qui manque dès la formation initiale, c’est d’apprendre à travailler en équipe.
Il faut contrer la logique du tri qui consiste à ne travailler qu’avec les élèves qui le veulent – ce que pratique l’enseignant débutant quand il a été insuffisamment formé et qu’il se retrouve seul, sans soutien, face à sa classe. Lier théorie et pratique, didactique et pédagogie, sensibiliser aux apports de la recherche, « routiniser » en quelque sorte leur utilisation, arriver à une bonne maitrise de la discipline au-delà des programmes à enseigner sont des aspects de la formation qui sont essentiels. Mais ce qui manque dès la formation initiale, c’est d’apprendre à travailler en équipe. Voilà une réforme majeure à mener !
Ne restez pas seul, mettez-vous en réseau ! Beaucoup de sites, de blogs, d’associations et d’organisations d’enseignants donnent des idées en didactique et en pédagogie. Si ça ne va pas, dîtes-le, même si ce n’est pas toujours évident.
Asseyez votre pédagogie avant d’innover, on ne s’improvise pas Freinet ou Montessori. En formation initiale, étudiants et stagiaires doivent se familiariser avec ces pédagogies, mais apprendre aussi à les considérer avec recul, car ce ne sont pas des recettes miracles.
Enfin, je dirais de regarder les élèves avec un regard anthropologique : voyez celui qui est proche avec un peu de distance et celui qui parait loin comme quelqu’un qui vous ressemble, habituez-vous à considérer les élèves comme des personnes qui réagissent finalement comme tout le monde et ont besoin de cadre et de bienveillance.
En quelque sorte, faites-vous vos propres jugements et ne prenez pas pour argent comptant les points de vue que vous entendez autour de vous.
Esterle (Maryse), Où va la formation des enseignants ? Des IUFM aux ESPE. Chronique d’un passage tourmenté. Paris, Éd. Petra, coll. « Éducation, art du possible », 2017