Rapport Filâtre, Rapport sénatorial : deux nouveaux rapports sur la formation des enseignant·es et de sérieuses divergences sur l’appréciation de la situation et sur les évolutions souhaitées.
Prévue à l’agenda social du Ministère de l’Éducation nationale pour 2018-2019, la réforme de la formation des enseignant·es n’a cessé de donner lieu à de nombreux commentaires et à différentes publications tout au long de l’année scolaire écoulée. Cet été encore, en pleine pause estivale, deux nouveaux rapports ont été communiqués sur le sujet, et ils n’apportent pas vraiment la même approche des évolutions indispensables à apporter au système actuel de formation. Analyse du Sgen-CFDT sur un des sujets sensibles de la rentrée 2018.·
Rapport Filâtre sur la formation initiale des professeurs des écoles
concevoir la formation à partir des compétences professionnelles visées
Le Sgen-CFDT salue le nouveau rapport du comité national de suivi de la réforme de la formation des enseignants piloté par le recteur de l’académie de Versailles, Daniel Filâtre. Les douze propositions du rapport « Améliorer la formation initiale des professeurs des écoles » remis le 21 juillet 2018 à Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal jettent des perspectives intéressantes sur ce que devrait être la formation des enseignant·es du premier degré : une formation à la fois plus professionnelle et réflexive, qui s’inscrit pleinement dans un continuum, de la licence aux premières années de titularisation. « Enseigner suppose de concevoir et d’expérimenter des modalités de formation ancrées dans les activités concrètes des enseignants, au service des apprentissages des élèves. »
L’approche par compétences (« concevoir la formation à partir des compétences professionnelles visées », proposition 8) garantirait une meilleure insertion professionnelle des nouveaux enseignants. Il est donc demandé au ministère de l’Éducation nationale de « préciser les compétences professionnelles attendues d’un professeur des écoles à l’entrée dans le métier » (proposition 1) et, par conséquent, de définir plus précisément le socle de compétences attendues d’un·e professeur·e des écoles débutant et de formuler plus explicitement le profil de professeur·e des écoles qu’il promeut dans les années à venir. Articuler le référentiel de compétences aux situations d’enseignement auxquelles l’enseignant·e est confronté·e (proposition 10) est une autre piste intéressante, le rapport proposant que la polyvalence soit pleinement reconnue comme une dimension structurante du métier de professeur·e des écoles (proposition 2).
Il est aussi intéressant de noter que le rapport souligne bien la difficulté rencontrée par les équipes de formateurs dans les ÉSPÉ à l’heure actuelle pour assurer sereinement l’exercice de leur métier, tant sont nombreuses les contraintes qui pèsent sur eux : forte hétérogénéité des profils de stagiaires et de leurs parcours antérieurs, formation réduite le plus souvent à la seule année du stage qui concentre beaucoup trop d’objectifs, poids du stage en responsabilité. À cette situation critique qui menace la pertinence même de la réforme de 2013, le rapport propose de mieux « connaître et traiter la diversité des publics candidats au métier de PE » (proposition 4) et d’ « instaurer dans les apprentissages une progressivité par niveaux et paliers » (proposition 9). Une meilleure identification des profils des stagiaires et une organisation plus modulaire des contenus de la formation sur les quatre semestres du master MEEF permettraient un parcours de formation plus individualisé et une mise en responsabilité progressive. Mais l’accent est bien mis sur la nécessité de construire un véritable continuum de formation et ce, dès la licence (« Proposer, dès le début de la licence, des parcours de spécialisation progressive et de préprofessionnalisation », proposition 5).
Enfin, l’appui sur la recherche (« Intégrer les approches scientifiques au sein de la formation », proposition 11) et l’ouverture à l’international sont à renforcer pour la mention 1, laquelle ne s’est toujours pas suffisamment ouverte aux enjeux de l’universitarisation de la formation des enseignant·es.
Pour toutes ces raisons, le Sgen-CFDT accueille favorablement l’ensemble des propositions et préconisations du dernier rapport du comité national de suivi de la réforme de la formation des enseignants, et nous espérons qu’elles permettront de dégager des perspectives intéressantes en vue des futures négociations avec le MEN et le MESRI.
Rapport sénatorial sur le métier d’enseignant
Une formation initiale à l’architecture bancale et à la qualité décevante
Plus sévère, et plus politique, le rapport d’information du Sénat du 25 juillet sur le métier d’enseignant est aussi plus polémique. Le Sgen-CFDT le regrette. Dans leurs premières parties, les sénateurs Max Brisson (LR, Pyrénées-Atlantiques) et Françoise Laborde (RDSE, Haute-Garonne) s’intéressent plus particulièrement à la formation des enseignant·es et ils dressent un bilan sévère de la réforme de 2013. Dire que « le modèle conçu en 2013 n’a pas su s’imposer », c’est nier l’ampleur de la tâche opérée en seulement cinq ans et c’est finalement vouloir revenir à des principes de formation antérieurs à 1989 et à la création des IUFM. En effet, les deux rapporteurs privilégient une organisation des concours différente pour le 1er et le 2nd degrés (admissibilité en L3 et admission en M2 dans le premier degré, concours en M2 dans le second degré), organisation qui renoue avec un modèle consécutif de formation. Ils plaident aussi pour une reprise en main des ÉSPÉ par l’Éducation nationale.
Certes, le principe de la mastérisation de la profession n’est pas remis en cause mais les réserves exprimées sur le caractère universitaire de la formation ne contribuent pas à soutenir un nouveau modèle de formation encore bien fragile. Les sept recommandations sur la formation initiale des enseignant·es, si elles rejoignent pour quelques-unes d’entre elles seulement des propositions du rapport Filâtre (« Renforcer la préprofessionnalisation des futurs professeurs », recommandation 1, et « Rénover la formation dispensée dans les Espé », recommandation 6), donnent une vision bien trop corsetée des réformes attendues pour satisfaire le Sgen-CFDT. L’attaque en particulier sur les formateurs qui auraient perdu toute légitimité parce qu’ils n’exercent plus dans un établissement scolaire contribue à l’ « ÉSPÉ-bashing » qui ne cesse de se faire entendre. Il y a un risque à vouloir vider les ÉSPÉ de leurs personnels (« transformer les Espé en structures sans formateurs propres, faisant appel aux ressources de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur », recommandation 5) : celui de nier la spécificité d’un métier qui s’apprend et qui nécessite une formation particulière encadrée par des équipes pluri-disciplinaires, pluri-catégorielles, et pluri-institutionnelles.
Modèles de formation et place du concours
Que ce soit le rapport Filâtre ou le rapport du Sénat, on achoppe finalement sur deux visions de la formation : d’un côté, une formation plus modulaire, facilitant davantage les reconversions de carrière ; de l’autre, une formation tubulaire dès la licence, en particulier pour de jeunes étudiant·es. Ce hiatus se cristallise sur la place du concours et sur la nature des épreuves, sujet de vives tensions et de discussions actuelles entre les différents partenaires de la formation (mission Ronzeau – Saint-Girons et groupe de travail composé du Réseau des Espé, de la CPU et des trois directions centrales –Dgesip, Dgesco, DGRH –) où les organisations syndicales, représentantes des personnels, ne sont pourtant toujours pas conviées.
Affirmer que toutes les expériences sont légitimes et qu’elles témoignent de la diversité des modes d’accès au concours (en particulier pour celui de professeur·e des écoles) ne facilite pas la définition d’un modèle de formation et donc la tâche des formateurs dans les ÉSPÉ. À l’heure actuelle, si « enseigner est un métier qui s’apprend », vieux slogan du Sgen-CFDT qui semble enfin faire consensus, enseigner n’est pas une profession réglementée et la conception des dispositifs de formation se heurte encore à la place des concours et à la variété des cursus antérieurs, d’une part, et au poids démesuré des jurys de titularisation, d’autre part. En soutenant l’universitarisation de la formation des enseignants et en privilégiant des concours de recrutement en fin de M2, le Sgen-CFDT s’engage sur la rénovation assumée du dispositif de formation et sur l’indispensable évolution du métier.