Le 6 mars 2018, Monsieur S. Travert, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation (MAA), a demandé aux directeurs d’AgroParisTech, de Montpellier SupAgro et d’Agrocampus Ouest de réfléchir à un regroupement de leurs établissements.
Le calendrier prévoit une mise en place opérationnelle d’un établissement unique le 1er janvier 2020. Dans ce courrier, le ministre évoque la constitution d’un « champion mondial de l’enseignement supérieur agronomique » de taille comparable à celle de l’Université de Wageningen (WUR).
WUR : UNE FIGURE RÉCURRENTE DE L’IMAGINAIRE DU MAA
En effet, ce n’est pas le premier projet de Wageningen (ou Davis selon les versions) à la française qui émane du MAA. Le premier projet date de Louis Malassis (Directive du 21 Mai 1980). Il a été repris par Hervé Bichat (Note interne DGER « L’Université est morte, vive l’Université agricole », 1997), puis par A. Berger (Rapport à la DGER « Vers un EPSCP fédérateur assurant la coordination et la coopération des établissements » ESAV, 2002). Cependant chaque fois, les ministres concernés (Ph. Vasseur, P. Méhaignerie, H. Nallet, J. Glavany, etc.) ont in fine renoncé à intégrer ces projets dans des dispositifs législatifs et réglementaires.
À la différence de ses déclinaisons françaises, Wageningen est une université nord-européenne localisée sur un site unique, qui offre des formations de type LMD (Licence-Master-Doctorat)) conforme au modèle général de l’enseignement supérieur mondial. Sa gouvernance est en prise directe avec les instituts spécialisés qui la composent. Nous retrouvons cette logique de site dans la structuration des universités de recherche françaises en pôleS de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), à partir de 2006, puis en communautés d’universités et établissements (COMUE) à partir de 2013.
QUELQUES EXPÉRIMENTATIONS, MAIS AUCUNE ÉVALUATION
Faute d’avoir pu créer un établissement agronomique unique, le MAA a impulsé, sous l’autorité de Michel Thibier, de nombreuses fusions et regroupements depuis quinze ans. Plusieurs établissements multisites ont ainsi été créés : soit par fusion d’écoles : Agroparistech, Agrocampus Ouest, Vetagrosup, Oniris ; soit par regroupement d’établissements de type PRES (Agreenium) ou de type COMUE (Agreenium-IAVFF). Il serait indispensable d’évaluer l’impact global de ces restructurations. Pour notre part, nous constatons que la création d’un nouvel établissement nécessite, pour fonctionner, des moyens supplémentaires. Ainsi Agreenium-IAVFF, qui a été créé à moyens constants, ne peut pas assumer réellement ses ambitions. Pourquoi la mission initiée par le ministre ne mentionne-t-elle pas l’étude du modèle économique du projet ?
DE TROP NOMBREUSES QUESTIONS EN SUSPENS
Quel serait le mode d’organisation du regroupement des trois établissements ? Quels seraient les liens entre ce regroupement et Agreenium-IAVFF ? Quelles seraient les articulations prévues avec les COMUE, les Régions et les différents les acteurs des territoires ? Quels seraient les moyens supplémentaires engagés dans le projet ? Quelles seraient les synergies possibles avec les autres écoles du MAA ?
DES PERSONNELS DÉBOUSSOLÉS
Quand et comment les personnels de nos établissements pourront-ils discuter de ce projet pour en définir/modifier les contours et les contenus ? Les contraintes budgétaires et les incertitudes relatives à l’avenir des établissements génèrent un mal-être au travail majeur. Le dialogue avec les personnels est le seul moyen d’éviter l’émergence de fortes résistances internes, et au final d’aboutir à un échec.
L’expérience vécue par nos collègues de l’Institut Mines-Télécom (IMT) dans le cadre de la fusion de leurs établissements nous invite à la plus grande réserve. Les tensions générées sont extrêmement vives, et les problèmes non résolus ne cessent de s’accumuler, suscitant beaucoup d’amertume dans une situation de surcharge de travail. L’IMT a subi plusieurs échecs retentissants et inattendus particulièrement douloureux pour le personnel : IMT1, pression de Mines ParisTech contre l’intégration des autres école (uniquement association) ; IMT2, finalement vote du CA Mines ParisTech très majoritairement contre l’intégration de l’école à l’IMT (voir Improvisation et Technocratie pour l’Enseignement et la Recherche (ITER) : la fusion à la mode IMT.)
UN IMPÉRIEUX BESOIN D’ARGUMENTAIRE ÉTAYÉ
A la veille de l’évaluation de ce projet par les instances des établissements, aucun des arguments avancés par le Ministère n’est actuellement étayé : Quelle est l’analyse des besoins scientifiques-et-sociétaux non-satisfaits par le dispositif actuel ? Quel est le bilan de l’ensemble des restructurations engagées ? Quel est l’impact attendu du projet (analyse swot) ? Quel est le modelé économique du projet ? Pour mémoire la restructuration des sites universitaires est associée au programme investissements d’avenir (PIA : IDEX, Labex, Equipex, IHU, EUR, etc.).
Ressource :