Michel Faure est principal du collège de Bissy à Chambéry. Il fait partie à Grenoble du groupe d’appui académique pour la mise en œuvre de la réforme du collège.
Pourquoi as-tu souhaité faire partie du groupe académique d’accompagnement de la mise en place de la réforme du collège ?
Ce n’est pas tout à fait comme cela que la question se pose. En fait, c’est l’IA-DSDEN de la Savoie qui a « proposé » à deux principaux d’y représenter le département et qui m’a donc contacté pour cela. Cette modalité de représentation géographique (2 principaux pour chaque département de l’académie) était souhaitée par le Recteur.
Mais cela t’intéresse ?
C’est exactement la réponse que j’ai faite ; à titre personnel cela m’intéresse mais cela ne signifie pas pour autant que le collège que je dirige soit lui plus impliqué qu’un autre pour la mise en place de la réforme. Nous commençons tout juste à y réfléchir et comme partout cela soulève des enthousiasmes, des résistances et des inquiétudes.
Est-ce la réforme qui t’intéresse ou la réflexion académique ?
Cette réforme est une des résultantes de la Loi de refondation débattue et élaborée en 2013 pour faire face au retard que prenait notre École sur l’échiquier mondial. On ne saurait y être indifférent en temps que citoyen français pour peu que l’avenir de nos enfants nous concerne. De plus, comme chaque fonctionnaire voit ses missions transformées par cette réforme, les Principaux, à l’instar de l’ensemble des cadres de l’Éducation nationale y ont une responsabilité particulière.
Mais pour revenir aux termes mêmes de ta question, il m’est difficile de répondre de façon dualiste comme tu m’y invites ; pour moi les deux sont liées.
La réforme m’intéresse mais elle me questionne, aussi je ne peux que me réjouir d’avoir un lieu d’échanges pour poser des questions, avancer des idées, entendre des précisions, témoigner des inquiétudes du terrain et construire collectivement des modalités d’accompagnement.
Je vais donc reformuler cette question en deux temps, pour te demander d’abord ce qui t’intéresse dans cette réforme…
Pour la première fois, à ma connaissance, une réforme d’une telle ampleur se met en place en une fois, là où jusqu’alors on procédait par étapes successives : une année pour un niveau, un autre niveau l’année suivante et ainsi de suite jusqu’à concerner tout le monde. Cela peut éviter de perdre du temps voire d’assister à une « dilution » au fil des années de mise en place, mais cela laisse également peu de temps à la réflexion. Il faudra nécessairement accepter que nous ne soyons pas au meilleur niveau dès la première année et ne pas manquer de soutenir le travail de tous sur le long terme car le changement est impliquant.
Nouveaux programmes, nouvelle organisation en cycle, nouveau socle commun, nouveaux horaires d’enseignement sur fonds d’autonomie des établissements et de travail en équipes interdisciplinaires… il y a du pain sur la planche et de quoi effrayer. Par où commencer ? Comment être sûr d’y parvenir ? Quels arbitrages seront nécessaires ? Y aura-t-il des laissés pour compte ? Les parents ne vont-ils pas opposer les choix de ce collège-ci à ceux de ce collège-là ? Pourquoi ne pas plutôt transformer l’école primaire, nous savons qu’au collège les jeux sont déjà faits ?
Et bien d’autres questions qui encourageraient à la prudence, à la réformette, voire au conservatisme mais qui nous priveraient, si on se laisse envahir par elles, de cette belle opportunité de penser collectivement une nouvelle école.
Pour finir de te répondre plus personnellement encore, je peux préciser que ma formation professionnelle et mes sensibilités pédagogiques m’ont conduit depuis de nombreuses années à suivre les travaux de Francine Best, Agnès Van Zanten, André de Peretti, Pierre Merle, Philippe Meirieu, François Dubet, Marie-Duru Bellat, Éric Debarbieux. Le fait même qu’aujourd’hui ils soutiennent cette réforme ne saurait me laisser indifférent.
LE CHANGEMENT, DANS NOTRE CULTURE, GÉNÈRE PLUS D’ANGOISSE QUE D’ESPÉRANCE… IL EST PLUS FACILE DE FAIRE PEUR QUE DE RASSURER, C’EST BIEN CONNU.
Peux-tu maintenant préciser ton intérêt pour un groupe académique ? « Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission », disait Clemenceau. Est-ce là le rôle de ce groupe de travail, faire taire les oppositions en donnant le change ?
Si ce ne doit être que cela, j’aurai le sentiment d’y perdre mon temps, mais je ne crois pas qu’aucun des principaux que j’ai rencontrés dans ce tour de table ne souhaite y faire de la simple figuration. Pose donc la question à Monsieur le Recteur (à son successeur désormais) qui te dira mieux que moi ses intentions, les participants avaient une autre vision que celle réductrice et presque insultante que tu envisages.
Le travail ne fait que commencer, nous avons pour le moment fait état des zones d’ombres qu’il faudrait éclairer, nous avons souligné les inquiétudes profondes du monde enseignant. A ce stade, il n’a pas suffisamment de scénarios à étudier pour se sentir en confiance. Il voit ses pertes de repères et ne voit pas encore suffisamment les nouveaux jalons, il doit composer avec ses incertitudes et ses doutes et ressent l’urgence à faire comme une pression angoissante : une seule année scolaire pour être prêt !
Nous avons souligné la nécessité que les corps d’encadrement que sont les inspecteurs et les chefs d’établissement soient en grande cohérence sur ce sujet pour ne pas ajouter au désarroi. Nous avons également dit les premiers effets constatés auprès des familles. Le changement, dans notre culture, génère plus d’angoisse que d’espérance et de la désinformation circule qui surfe sur ce sentiment. Il est plus facile de faire peur que de rassurer, c’est bien connu. Toujours est-il que sur le terrain nous avons les premières questions de parents qui traduisent tant leur ignorance de la réforme que leurs inquiétudes pour l’avenir de leurs enfants. Des stratégies de choix d’orientation à l’entrée en sixième ont été modifiées alors même que la rentrée 2015 n’est pas concernée ; les parents anticipent. Enfin nous avons commencé à dessiner un calendrier de travail et une organisation en petits groupes pour gagner en efficacité. L’automne 2015 sera laborieux, assurément.
N’y a-t-il pas une contradiction entre ta participation au groupe d’appui académique et ton investissement syndical ?
La critique, les critiques sont nécessaires dans une construction collective de l’importance de celle-ci. Elles correspondent à une étape. Le groupe pour avancer doit se définir les règles du jeu qui lui permettent de les favoriser, de les entendre, de les prendre en compte pour ne plus y revenir et poursuivre son travail.
Je n’oublie pas non plus que selon les discours que l’on souhaite porter, il y a des tribunes spécifiques : la voie syndicale en est une.