La guerre en Ukraine bouleverse bien des vies. Elena Gordienko, chercheuse russe d'origine ukrainienne, aujourd'hui en exil, témoigne...
Russe d’origine ukrainienne, Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exils (PAUSE). est chercheuse en théâtre contemporain. Son travail et ses prises de position l’exposant depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, elle a pu quitter la Russie en mars dernier grâce au
Vous êtes enseignante-chercheuse en études théâtrales. Sur quoi travaillez-vous ?
Mes recherches portent sur le théâtre dans l’espace public. Je m’intéresse particulièrement à l’herméneutique et à la sociologie du théâtre. Travailler hors les murs d’un théâtre n’est pas une pratique évidente pour les artistes. Le théâtre de rue en France a émergé il y a plus de quarante ans, alors qu’il est à la mode en Russie depuis une dizaine d’années seulement. J’ai pu comparer ces deux traditions lors d’un séjour de recherche en France, en 2019, et valoriser les thèmes dont se sont emparés les metteurs en scène russes : l’histoire nationale du XXe siècle avec ses répressions, ses déportations est souvent représentée – sujets sensibles, aujourd’hui censurés.
Comment exerciez-vous votre métier en Russie avant la guerre contre l’Ukraine ?
Dès avant la guerre, la situation s’était détériorée. En décembre 2021, la dissolution de l’ONG Memorial International qui a documenté les répressions soviétiques, a été un signal fort. On a pris conscience de l’arbitraire étatique.
Dès avant la guerre, la situation s’était détériorée.
Jusqu’alors, le cercle universitaire et artistique était plutôt préservé. Notre direction a toujours respecté notre liberté académique. Mais après l’adoption de la loi qui punit la désinformation sur l’armée d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à quinze ans, l’administration centrale de mon université a appelé les étudiants à dénoncer les enseignants qui démentiraient la version officielle du régime. Il a été demandé à l’un de mes collègues de démissionner après qu’il a comparé dans les réseaux sociaux le régime de Poutine avec celui de Hitler.
Dans ce milieu ⌈universitaire et artistique⌋, beaucoup de personnes opposées à la guerre ont été licenciées ou ont dû démissionner et quitter la Russie.
C’est une ambiance qui n’est pas favorable à l’éducation. Comment s’autocensurer quand on enseigne le théâtre contemporain russe qui compte nombre de spectacles très engagés ? Dans ce milieu, beaucoup de personnes opposées à la guerre ont été licenciées ou ont dû démissionner et quitter la Russie. Des spectacles ont été censurés ou annulés en sorte que le programme de mes étudiants était devenu très restreint !
Comment PAUSE vous a-t-il aidée ? Guerre en Ukraine
J’ai découvert ce programme en contactant la
qui avait organisé plusieurs colloques auxquels j’ai participé. Elle m’a beaucoup aidé pour candidater et déterminer un sujet de recherche. Avec , il a été convenu que je fasse un inventaire des spectacles in situ créés ou diffusés par des compagnies originaires de l’Est (Russie et ex-URSS) en France et en Europe. Je prépare aussi un article sur les artistes russes opposés à la guerre. Enfin, parmi les travaux dirigés dont j’aurai la charge à la rentrée, l’un portera sur l’esthétique des théâtres contemporains russe, biélorusse et ukrainien. C’est un sujet qui me tient à coeur…Quel message serait le vôtre depuis l’exil ?
Tout le monde en Russie n’était pas inféodé à la propagande.Il y a eu, il y a encore de la résistance !
Au début de la guerre en Ukraine, nous avons été nombreux à culpabiliser. Étant d’origine ukrainienne, il était fondamental pour moi et ma famille en Ukraine que j’exprime mon soutien à la paix et aussi à la liberté en Russie. Je crois qu’il faut regarder vers l’avenir, être solidaire et construire. Tout le monde en Russie n’était pas inféodé à la propagande. Il y a eu, il y a encore de la résistance ! • Propos recueillis par Aline Noël
Cet entretien a paru dans le no 286 – Juillet-août-septembre 2022 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.