QU'IL CONCERNE LES PERSONNELS OU LES ÉLÈVES, le harcèlement soulève le même type de questions : à quel moment commence-t-il ? Comment le repérer ? Qui harcèle et qui est harcelé ? Comment le prévenir ?
Cet article est extrait du dossier « Le harcèlement en questions » publié dans Profession Éducation, le mensuel du Sgen-CFDT, en avril 2015.
Chacun peut, à un moment ou un autre, être victime de cette pratique au sein de sa communauté de travail ou d’apprentissage.
Harcèlement moral. Harcèlement physique. Harcèlement sexuel. Cyber harcèlement… Harcèlement horizontal entre pairs (entre salariés ou entre élèves), harcèlement descendant (d’un supérieur hiérarchique sur un subordonné ou d’un enseignant envers un élève), harcèlement ascendant (d’un élève sur un enseignant ou de personnels sur un cadre de proximité)… Chacun peut, à un moment ou un autre, être victime de cette pratique au sein de sa communauté de travail ou d’apprentissage.
La définition du harcèlement que donne Marie-France Hirigoyen1 est la suivante : toute conduite abusive se manifestant par des actes, des gestes, des écrits pouvant porter atteinte à la personnalité, à l’intégrité physique ou psychique d’une personne pouvant mettre en péril l’emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail.
Interdire à quelqu’un de s’exprimer, l’isoler, le déconsidérer auprès de ses collègues ou de ses camarades, le discréditer dans son travail, compromettre sa santé ou son intégrité physique constituent autant de pratiques qui caractérisent, par leur répétition, le harcèlement. En revanche, ne relèvent pas du harcèlement l’exercice normal de la gestion du service (si celle-ci ne comporte pas de pratique discriminatoire ou abusive), le stress lié au travail (qui peut cependant être un contexte favorable au harcèlement), les conflits au travail (même si une absence de gestion de ces conflits peut provoquer du harcèlement) ou les contraintes au travail (si elles ne sont pas arbitraires ou implicites).
Dans la sphère professionnelle, toute la difficulté réside dans la distinction à établir entre mauvais management et harcèlement.
Un des enjeux de la formation des cadres intermédiaires est de développer des capacités managériales pertinentes de la part des responsables, mais le même enjeu s’applique aux personnels : comment aider chacun à assumer sa part de responsabilité dans le travail collectif ? Dans toutes les organisations, les causes de tensions sont de plusieurs ordres : les différences de traitement entre les personnels (ou entre les élèves), le morcèlement du travail ou les tâches répétitives, le flou dans l’organisation, le manque de lisibilité dans les processus de décision sont autant de risques organisationnels qui peuvent favoriser l’émergence de pratiques de harcèlement. Les profils managériaux peuvent aussi induire des risques plus ou moins importants de harcèlement : un cadre hyperactif qui stresse son équipe par des exigences en rafale, un manageur qui ne veut pas arbitrer un conflit entre ses collaborateurs ou qui ferme les yeux sur des pratiques de harcèlement entre salariés. Le rôle du cadre de proximité se trouve ici interrogé. Le management « harcelant » comporte trois caractéristiques : il se complait dans le flou et refuse de mettre en place des descriptions de postes, il insinue l’interchangeabilité des personnes et ne reconnait pas chacun dans son altérité, il développe le contrôle permanent en semant un climat de peur et de violence à l’intérieur des équipes et instaure des régimes de faveur en attisant les jalousies. Des structures de personnalité sont aussi souvent définies comme « harcelantes » : les pervers narcissiques et les paranoïaques.
Dans le cas du harcèlement entre pairs, on voit parfois surgir le cas du bouc émissaire, personne ciblée, qui devient l’exutoire d’un groupe.
Lorsqu’il y a crise ou tension, porter la violence symbolique ou physique sur celui qui est différent évite qu’elle s’applique au groupe même, elle le protège2. Le bouc émissaire cristallise les mille conflits particuliers et « ressoude » le groupe dans une détestation unique. On peut parler alors « d’intégrateur négatif ».
Enfin à situation égale d’organisation du travail, le harcèlement peut être favorisé par les caractéristiques de celui qui en est victime : être « différent » des autres dans son milieu de travail, être empêché de se défendre pour des raisons économiques, psychologiques, physiques ou sociales, et avoir une faible estime de soi. Autant de facteurs qui peuvent constituer des risques supplémentaires de harcèlement.
Une problématique de mieux en mieux identifiée
Cette problématique du harcèlement, qu’il s’agisse de harcèlement au travail qui concerne les personnels ou de harcèlement scolaire qui touche les élèves, est maintenant de plus en plus identifiée, voire médiatisée, et les institutions s’en sont emparées : accords sur la prévention des risques psychosociaux signés au ministère de la Fonction publique et déclinés à l’Éducation nationale, circulaires sur la lutte contre le harcèlement en milieu scolaire. Cependant, aucun texte ne pourra protéger les salariés et les élèves de ces pratiques délétères si chacun des acteurs ne s’empare pas pleinement des outils qui existent pour protéger les salariés aussi bien que les élèves. Et il faut regarder en face l’affirmation des spécialistes : le harcèlement se nourrit aussi du silence de l’entourage, dû à l’indifférence, l’intérêt, la peur ou la lâcheté.
(1) Marie-France Hirigoyen est psychiatre, psychanalyste et victimologue. En 1998, son livre best-seller, Le Harcèlement moral, la violence perverse au quotidien, a commencé de lever un tabou en contribuant fortement à sensibiliser le public français et certains parlementaires à cette question.
Cf. également, Malaise dans le travail, harcèlement moral, démêler le vrai du faux, Syros, Paris, 2001.
(2) Philosophe français, ayant effectué l’essentiel de sa carrière aux États-Unis, René Girard, dans la réflexion qu’il a menée sur la violence, a théorisé le rôle du mécanisme victimaire dans l’organisation des groupes, cf. La Violence et le Sacré, 1972.
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