Un sujet de nouveau à la mode ? - Le monde de l'éducation est confronté à des enjeux majeurs - L'innovation pédagogique, le hashtag du moment ? - La pédagogie n'est-elle pas l’innovation par définition ?
UN SUJET DE NOUVEAU À LA MODE ?
L’innovation, qu’elle soit technique, économique ou pédagogique, redevient un axe privilégié des politiques publiques et un slogan non clivant colporté par les boulevards médiatiques.
Auréolée à nouveau de vertus insoupçonnées, sa promotion serait le remède privilégié pour soigner les maux que nous traversons. Une forme de pensée unique considère qu’il faut être en mouvement dans le mouvement et sans cesse se réinventer si l’on souhaite être performant : pour cela, soyons innovant ! Le temps s’accélère note H. Rosa et l’école n’est pas épargnée par cette vague déferlante. Injonction est désormais faite aux enseignants « d’enseigner autrement » en reconditionnant leurs cours et en révisant leurs pratiques pédagogiques. Pour remédier aux moins bonnes performances du système éducatif français (Cf. enquête PISA), l’innovation pédagogique serait la solution.
Pour l’Enseignement Agricole, le Ministère de l’Agriculture remet l’innovation pédagogique au goût du jour. Dans ce cadre, la DGER réécrit une note de service pour inciter à mettre en œuvre des expérimentations pédagogiques. Celles qui auront été sélectionnées par la DRAAF recevront une aide financière de la région sous forme d’HSE. Le Sgen-CFDT a participé à la consultation entourant sa rédaction et a souligné tout l’intérêt qu’il fallait lui accorder en étant force de proposition.
Mais qu’est-ce la pédagogie et l’innovation pédagogique? De quoi parle-t-on au juste ? Ces concepts sont des réponses à quels enjeux ? Le Sgen-CFDT vous propose de faire le point sur ces « mots-valises » qui, à force d’être trop largement manipulés, sortent abîmés par les contresens qu’ils génèrent.
LE MONDE DE L’ÉDUCATION EST CONFRONTÉ À DES ENJEUX MAJEURS
La troisième révolution industrielle est informationnelle et transforme nos sociétés.
Hier bien rare, au coût d’utilisation élevé, l’information est aujourd’hui abondante, libre et presque gratuite. Des savoirs encyclopédiques sont à la portée de tous, grâce à la magie du web. Les supports numériques favorisent de nouvelles collaborations et sont à l’origine de l’émergence de nouveaux modes de production. La distance est (partiellement) abolie et les humains sont presque tous inter-reliés à une vaste sphère communicante. Dans ce contexte, particulier et désormais irréversible, l’enseignant ne détient plus le monopole de la diffusion des connaissances.
Les problèmes actuels que doit résoudre l’humanité oblige de plus en plus les chercheurs et les enseignants à rompre les cloisonnements disciplinaires forgés à partir du 18ème siècle.
En parallèle, le chômage de masse met sous pression les parents, les enfants et les enseignants. Le temps de la compétence est venu, le laborieux travail de mémorisation d’un savoir encyclopédique n’est plus l’exercice central que doivent réaliser les apprenants. On leur demande, désormais, de s’investir dans des projets, d’analyser des situations professionnelles, de débattre et d’argumenter leur point de vue. L’école doit enseigner des savoirs directement utilisables par les apprenants pour agir dans un quotidien devenu incertain. Dans ce contexte, la posture de l’enseignant change. Son rôle n’est plus seulement d’émettre de l’information et de sélectionner les meilleurs élèves en les notant. Il doit les accompagner dans la construction de leurs savoirs, identifier les compétences acquises et non-acquises et amener le plus loin possible le maximum d’individus dans le cursus scolaire.
Les tâches traditionnelles demandées aux élèves : écouter, prendre des notes, restituer l’information sont de moins en moins efficaces et populaires.
Ces derniers « s’ennuient » à l’école et décrochent activement ou passivement. Ils sont victimes et peut être aussi acteurs d’une forme de « bore-out ». Ils deviennent incivils et se rebellent en remettant en cause l’institution qui doit les instruire. Ils communiquent de manière intense via les réseaux sociaux. Les professeurs les plus aguerris se sentent parfois dépassés et songent à changer de métier.
Face à ces enjeux, le pédagogue semble bien seul et bien démuni.
On lui donne très peu de moyens pour réussir. Son parcours est semé d’embûches et il peut emprunter des chemins qui conduisent à des impasses, nous révèle M. Fabre, professeur émérite à l’Université de Nantes. Cette quête ne peut pas se réduire à la simple expérimentation de nouvelles techniques numériques miraculeuses (le power-point ou le tableau interactif par exemple). Que peut-on donc faire ?
L’INNOVATION PÉDAGOGIQUE, LE HASHTAG DU MOMENT ?
Revenons sur cette notion d’innovation aux atours forts séduisants et promue par les économistes. Elle nous parle de nouveauté, de changement et porte un espoir, celui du progrès. Elle s’oppose à l’immobilisme et sied plutôt bien à un syndicat réformiste tel que le Sgen-CFDT.
À l’origine, le concept d’innovation a été largement manipulé et revisité par J. SCHUMPETER pour contredire Marx et sa thèse sur le déclin inéluctable du capitalisme.
L’innovation est une rupture introduite dans le cycle économique et se concrétise par l’introduction d’un nouveau produit, d’une nouvelle façon de produire ou de vendre, par l’utilisation inédite de nouveaux moyens de transport ou de nouvelles matières premières. Ainsi, le capitalisme se renouvelle en permanence. L’innovation n’est pas l’invention, elle est plus modeste. L’entrepreneur innovateur est l’acteur de sa conception et de sa diffusion au sein de l’économie de marché. Si le consommateur est au rendez-vous, l’innovation s’installe et peut changer le système en entier (la carte à puce par exemple).
Si on décline cette notion au niveau du monde de la formation,
l’innovation devrait donc se traduire par la production de nouvelles formes pédagogiques dont le contenu ne peut donc pas se réduire qu’à l’utilisation de gadgets informatiques.
Elle doit aussi se concrétiser par l’émergence de nouvelles manières de réfléchir, de penser, d’expérimenter. L’innovation pédagogique pour s’installer a besoin de temps (la note de service pour l’Enseignement Agricole intègre bien ce volet) car elle est faite d’incessants allers-retours entre des phases de conception de nouveaux prototypes (des cours), leur expérimentation, leur évaluation et leur révision et enfin leur formalisation. Les prototypes en question doivent se singulariser à la fois sur le contenu enseigné et sur le dispositif/scénario mobilisé pour que les élèves se l’approprient. En résumé, cette nouvelle façon d’enseigner doit à la fois questionner le type de savoir qui est au cœur des apprentissages (sortir du rabâchage scolaire et de la diffusion d’informations exhaustives) et s’interroger sur l’activité qui sera proposée aux élèves durant le temps de cette séquence (sortir de la prise de note intensive).
LA PÉDAGOGIE N’EST-ELLE PAS L’INNOVATION PAR DÉFINITION ?
Vient alors une question fondamentale à traiter : quand est-ce qu’une innovation est pédagogique, et peut-elle l’être? N’est-ce pas un non sens d’appliquer au monde de l’éducation ce principe économique ?
Pour DURKHEIM, « la pédagogie ne se réduit pas à une pratique, c’est une théorie, une théorie non scientifique ».
Que veut-il dire ? Pour M. Fabre, « c’est une discipline qui tend à l’amélioration de l’action éducative par la critique et l’innovation. La pédagogie n’est pas une science, c’est une théorie issue de l’observation des pratiques et forgée pour la pratique. Est donc pédagogue celui qui réfléchit sur sa propre pratique en vue de l’améliorer ». Il expérimente, cherche à objectiver ses initiatives et à les évaluer rigoureusement. Ainsi, une progression singulière inventée par un enseignant peut déboucher sur une innovation partagée si elle est objectivée, formalisée, évaluée par des pairs et jugée pertinente. La note de service de la DGER va dans ce sens.
La pédagogie, précise M. Fabre, part « d’une révolte faite en constatant le sort réservé aux élèves ».
Le pédagogue les prend tels qu’ils sont et cherche à les faire évoluer. Il se remet en cause. En expérimentant de nouvelles initiatives, il découvre ce qui est techniquement réalisable. Il produit aussi un savoir critique qui accompagne le processus d’expérimentation en cours. Sans critique, la pédagogie est flatterie et perd son essence.
Au cours de ce processus, le pédagogue en apprend long sur lui-même, sur sa posture, sur ses savoirs-être car innover c’est aussi se changer soi-même.
Enfin, « il mobilise une utopie car il croit qu’autre chose est possible : c’est donc de fait un innovateur », note M. Fabre. L’innovateur selon SCHUMPETER est l’acteur de la rupture tout comme le pédagogue. Il la provoque et éprouve la résistance de l’environnement social dans lequel il est immergé. Il brise la routine. Envers et contre tout, il persévérera car le moteur de son projet n’est pas l’amour du gain. C’est un projet de vie et de réalisation personnelle qui le guide.
DURKHEIM précise également que « la pédagogie est une force antagoniste de la routine, elle apparaît quand l’éducation pose problème.
Le pédagogue est donc le moteur de l’innovation dans le domaine de la formation. Il entreprend sans cesse, modifie sans relâche ses cours, s’interroge et cherche à améliorer le service qu’il rend aux élèves. La pédagogie est, par essence, innovante. C’est une redondance que de parler d’innovation pédagogique.
Pour le Sgen-CFDT, la pédagogie doit être au cœur des politiques éducatives et des formations (initiale et continue) offertes aux enseignants. Elle ne l’est pas assez. Le Sgen-CFDT continuera de dénoncer le manque de moyens attribués à la formation des agents et au dispositif national d’appui à l’enseignement agricole technique