L'Éducation doit être au cœur des préoccupations des États. le Sgen-CFDT entame avec cet interview de David Edwards, Secrétaire Général de l'Internationale de l'Éducation, une série d'articles qui mettra en avant chaque semaine certains systèmes éducatifs sur des problématiques particulières.
Parce que de nombreuses politiques éducatives mises en place au sein de notre pays prennent naissance au sein d’autres États, le Sgen-CFDT a décidé de vous faire partager d’autres exemples de systèmes éducatifs internationaux. Les thématiques choisies touchent pleinement la mise en œuvre de réformes qui font l’objet de l’actualité de notre pays.
Nous donnons la parole aujourd’hui à David Edwards, Secrétaire Général de l’Internationale de l’Éducation, Fédération à l’origine du Sommet de Transformation de l’éducation et du métier enseignant qui s’est tenu à New-York en septembre dernier.
Qu’est-ce que L’internationale de l’Éducation (IE) ?
L’IE est la plus grande fédération internationale de syndicats de l’éducation et est reconnue à travers le monde comme l’organisation portant la voix des enseignant·es et des personnels de soutien, notamment par les Nations Unies et ses agences dont l’UNESCO et l’OIT.
L’IE rassemble 380 syndicats dans près de 180 pays et territoires. L’IE veille notamment à l’application de la Recommandation OIT/UNESCO de 1966 concernant la condition du personnel enseignant, qui fixe des normes internationales répondant aux principales préoccupations professionnelles des enseignant·es. Elle en fait de même avec la Recommandation UNESCO de 1997 concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur.
Ces deux recommandations, qui restent trop méconnues, s’accompagnent de mécanismes au sein de l’OIT permettant à l’IE de soutenir efficacement ses organisations membres contre leurs gouvernements lorsque ceux-ci refusent le dialogue ou, pire, s’attaquent à la liberté d’association.
Pourquoi vous semble-t-il nécessaire de défendre le métier d’enseignant.e au niveau international ?
Dans un environnement de plus en plus mondialisé dans tous les domaines d’activité humaine, il est impératif de pouvoir agir et défendre au-delà des frontières nationales, le modèle d’une éducation de qualité pour toutes et tous qui soit à la fois publique et inclusive.
Les principales menaces viennent d’ailleurs d’acteurs pour qui les frontières géographiques n’ont aucune importance, notamment les multinationales œuvrant très activement à la privatisation et à la marchandisation de chaque aspect des systèmes d’éducation publique.
Sur un autre plan, le conflit en Ukraine démontre également qu’il ne faut jamais beaucoup de temps à un état envahisseur pour réécrire les programmes scolaires du pays occupé.
L’IE a fort à cœur la défense de la démocratie et des droits et libertés individuels de par le monde, alors qu’un nombre toujours croissant de pays tombe sous la coupe de régimes dictatoriaux ou autocratiques.
Comment avez-vous pesé sur les discussions et influencé les décisions prises dans le cadre du Sommet de Transformation de l’Education et du métier enseignant ?
L’IE a en effet pesé de tout son poids tant dans la préparation du Sommet que lors de celui-ci. Il faut d’abord préciser que les sommets internationaux de cette envergure portant spécifiquement sur les questions d’éducation, en présence de très nombreux chefs d’états et de gouvernements, n’ont lieu qu’une fois tous les 20-25 ans.
Il nous tenait donc particulièrement à cœur que parmi les initiatives découlant de ce Sommet figure la mise en place d’une commission mondiale portant spécifiquement sur les enseignant·es et la profession enseignante. Nous l’avons obtenue de haute lutte. Alors que la pénurie d’enseignant·es concerne désormais tous les pays, et non plus uniquement les pays en développement, il nous paraissait inconcevable que celles et ceux qui font l’éducation au quotidien soient les oubliés du Sommet.
Je serai clair : nous avons dû menacer de nous désolidariser du Sommet pour faire comprendre qu’il ne peut y avoir de solutions aux défis posés, entre autres, par l’intelligence artificielle et la numérisation dans l’éducation sans des enseignant·es bénéficiant d’une formation initiale et continue de qualité et de conditions salariales et de travail à la mesure du rôle qu’ils/elles jouent dans la société d’aujourd’hui et de demain.
Comment l’Internationale de l’Éducation peut-elle peser pour que les pays membres passent à l’acte et notamment sur l’attractivité du métier qui est une problématique commune à de nombreux États ?
Nous en sommes encore loin, hélas. La commission mondiale n’a, par exemple, pas encore entamé ses travaux. Mais il nous a paru tout à fait opportun, dans la foulée de ce Sommet, de lancer une nouvelle campagne mondiale intitulée « La force du public : Ensemble, on fait école », qui se veut mobilisatrice de tou·tes les acteur·rices de l’éducation dans un contexte de crises multiples.
Cette campagne, qui sera portée par nos organisations membres dans chaque pays, repose sur trois piliers essentiels :
- augmenter le financement public de l’éducation et investir dans le personnel enseignant ;
- affronter, stopper et inverser la privatisation et la commercialisation de l’éducation ;
- et renforcer le discours en faveur d’une éducation publique de qualité.
Cette campagne entend également alerter sur l’attractivité du métier d’enseignant·e, considéré actuellement comme un problème majeur par de nombreux affiliés. Cela peut être vu comme la résultante de plusieurs problèmes, notamment des conditions de travail dégradées et une rémunération insuffisante.
En quoi la solidarité internationale est-elle importante ?
La solidarité fait partie de l’ADN des organisations syndicales.
A l’IE elle se manifeste de plusieurs façons. Cela commence par la contribution financière des organisations membres, qui dépend du PIB. Par conséquent on peut dire que toutes les activités de l’IE sont basées sur une redistribution solidaire des contributions.
Ensuite, l’ensemble des activités de l’IE, qu’il s’agisse des conférences, des publications (rapports de recherches par exemple), des différents canaux de communication (site internet), des réseaux (réseau climat, enseignement supérieur et recherche), permettent des échanges entre affiliés, par lesquels ils peuvent apprendre les uns des autres et en tirer profit. Il n’est pas rare que des affiliés découvrent par ces échanges qu’ils font face à des difficultés extrêmement similaires, et que des solutions expérimentées par les uns inspirent les autres. Il peut s’agir des politiques d’inclusion, de l’influence du digital, du statut des enseignant·e·s, de la manière de négocier, des stratégies de syndicalisation…
Quelles actions ont été mises en place pour rendre cette solidarité effective ? Comment ont réagi vos affiliés ?
De nombreux affiliés mènent des relations privilégiées avec d’autres, sur certains thèmes particuliers ou même dans le cadre de projets de coopération formalisés.
L’IE encourage cette solidarité active, entre autres par le réseau des partenaires de coopération au développement, qui se réunit chaque année. Les membres mettent en œuvre des programmes de renforcement de capacités en étroite collaboration avec les bureaux régionaux de l’IE, et contribuent ainsi au renforcement des affiliés, et au-delà, du mouvement syndical tout entier.
Une autre manifestation visible de la solidarité entre affiliés est le soutien aux affiliés confrontés à des crises naturelles ou politiques. Ainsi, ces deux dernières années, nos affiliés en Afghanistan, en Ukraine, en Turquie, en Haïti, au Mozambique et au Malawi, ont pu bénéficier du fonds de solidarité de l’IE, auquel ont contribué de nombreuses organisations membres. Une aide d’autant plus précieuse qu’elle provient des contributions de la communauté enseignante du monde entier.