Malvina Bernard est enseignante spécialisée en IME à Ancenis (44). Son métier, au carrefour de la santé et de l'enseignement, est trop souvent méconnu de la plupart des enseignants. Pourtant, de nombreux jeunes enseignants y font leurs premières armes. La CFDT a voulu en savoir plus !
Sortir de l’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation – ESPÉ – et être nommé au sein d’un établissement spécialisé : voilà une réalité que connaissent de nombreux PES lors de leur titularisation.
La manière d’exercer dans ces établissements est fondamentalement différente de ce que connaissent les collègues exerçant en « école ordinaire ». Malvina Bernard, enseignante spécialisée en Institut Médico Educatif – IME – à Ancenis (44) a accepté de parler à la CFDT Éducation Formation Recherche Publiques (ex Sgen-CFDT) de ses réalités quotidiennes : un métier où le collectif de travail prend toute son importance. Une réalité qui permet de réfléchir à l’école inclusive d’une autre façon !
Quels sont les élèves que ton établissement accueille ? Quelles sont les problématiques qu’ils rencontrent ? Comment sont-ils arrivés dans ton établissement ?
Les élèves accueillis à l’IME sont des enfants, ado et jeunes adultes ayant une reconnaissance de handicap par la MDPH. Ils ont entre 6 et 20 ans (voire plus s’ils ne trouvent pas de place dans le secteur adulte). Leur handicap relève de ce que l’Éducation Nationale appelle les Troubles des Fonctions Cognitives avec des niveaux de déficience allant de légère à lourde. Différents troubles ou maladies se retrouvent à l’IME : troubles psychiques (TED, TSA, …), maladies génétiques (trisomie, X fragile, Prader Willy, …) parfois avec des troubles associés (troubles du comportement).
Les problématiques qu’ils rencontrent sont variées et évidemment propres à chacun. Beaucoup ont des difficultés dans la relation à l’autre et d’un point de vue d’enseignant, des difficultés d’apprentissage. La plupart ont besoin d’être accompagnés dans l’apprentissage des codes sociaux, dans le repérage dans le temps et dans l’espace. Ils sont souvent angoissés et nous les accompagnons aussi pour qu’ils soient plus apaisés.
Divers parcours les amènent à être scolarisés en IME.
Bien souvent leurs difficultés sont repérées à l’école maternelle (parfois plus tôt). Il y a ensuite tout un parcours pour les parents et les professionnels qui entourent l’enfant pour la reconnaissance de leur handicap (ce qui ne veut pas dire l’acceptation) et les démarches auprès de la MDPH qui notifiera une scolarisation en IME. Ensuite les parents contactent des établissements afin d’obtenir une place.
Il y a des listes d’attente dans tous les établissements. Quand on peut accueillir un jeune, on propose une visite d’observation de 2 ou 3 jours (s’il y a une demande d’accueil en CAFS) qui nous permet d’évaluer si effectivement il relève d’IME et si nous avons les moyens de répondre à ses besoins. Si c’est le cas, le jeune est dit admissible puis est admis une fois qu’une place dans l’établissement est libérée par le départ d’un autre jeune.
Comment se passe la scolarité d’un élève au sein de ton IME ? Décris une journée type.
Chaque jeune a un projet individuel selon ses besoins évalués, ses capacités, ses envies.
Dans les 6 mois après son arrivée à l’IME, nous nous réunissons en équipe pluridisciplinaire (éducateurs spécialisés, psychomotricienne, psychologue, pédo-psychiatre…) pour faire une synthèse des observations et fixer les objectifs du projet. Le jeune ne participe pas à la réunion mais ses éducateurs prennent le temps avec lui en amont de discuter de son projet, de ses souhaits. Selon ce projet, différentes activités lui sont proposées et son emploi du temps est totalement individualisé, tant dans la forme (photos, pictogrammes, écrit…) que dans le contenu. A partir de 14 ans, des apprentissages techniques professionnels leur sont proposés.
Les activités proposées à l’IME sont des activités éducatives (apprentissages du quotidien, activités d’expression, médiation animale, activités de groupe, …), des temps thérapeutiques (psychologue, psychomotricen, orthophoniste), des temps de classe, des apprentissages techniques pour préparer leur future insertion professionnelle.
Une journée type :
- 9h arrivée en taxi collectif à l’IME
- 9h à 9h45 accueil sur leur groupe éducatif (selon leur tranche d’âge) : quoi de neuf ?, date, emploi du temps de la matinée ou de la journée pour chacun, …
- Jusqu’à 11h premier temps d’activité
- 11h à 11h15 pause
- 11h15 à 12h deuxième temps d’activité
- 12h à 13h repas (mise de la table, service, repas, rangement, lavage des tables)
- 13h à 13h30 pause
- 13h30 à 15h45 1 à 2 temps d’activité après l’accueil de début d’après midi (plus court que celui du matin)
- 15h45 à 16h accueil sur le groupe avant le départ
- 16h départ en taxi collectif
- Pour ceux qui ont des temps d’atelier technique, chaque temps de travail est à la demi-journée.
En quoi le travail en équipe favorise-t-il la prise en charge de ces élèves ?
Ces élèves sont en établissement pour des raisons qui nécessitent une prise en charge multi professionnelle. Bien souvent, les autres, jeunes ou adultes, leurs sont difficiles à supporter. Le fait de travailler en équipe permet non seulement du relais mais aussi d’apaiser les élèves en faisant tiers. Nous travaillons beaucoup à montrer que nous ne savons pas tout, que nous apprenons ensemble, que finalement nous ne sommes pas des êtres tout-puissants qui mettent une pression insupportable sur les élèves.
Le travail en équipe permet aussi de croiser les regards sur chacun, de s’enrichir des compétences propres à chaque professionnel, afin de mieux cerner les besoins de l’élève. Nous proposons chaque année des ateliers co-animés avec les autres professionnels (théâtre, philo, grapho-motricité, journal…).
Quelle est la place des parents dans la scolarité de l’élève ?
Nous rencontrons les parents chaque année dans le cadre des Équipes de Suivi de Scolarisation – ESS. Les parents sont parties prenantes du projet de vie de leur enfant, au même titre que l’enfant lui-même et les professionnels qui l’accompagnent. L’enfant et sa famille rencontrent les éducateurs au moins 2 fois par an et peuvent rencontrer tous les autres professionnels sur demande.
Lorsque nous les rencontrons, en tant qu’enseignant, c’est le plus souvent lors des ESS. Très peu de parents demandent à nous rencontrer en dehors de ces moments obligatoires : ils ont déjà beaucoup de rendez-vous au sein de l’établissement dans l’année mais la scolarité de leur enfant est un sujet douloureux.
Ces rencontres sont pour nous l’occasion de montrer que nous suivons les mêmes programmes que ceux d’une école ordinaire. Nous faisons le point sur les compétences et les progrès repérés de leur enfant : à l’école et à la maison. Beaucoup d’élèves ne montrent pas les mêmes compétences selon les lieux.
Les parents sont des partenaires importants…
Les parents sont des partenaires importants pour mieux cibler la place prise dans le monde par leur enfant. Certains parents peuvent aussi avoir des attentes scolaires très importantes pour leur enfant et mettre une pression sans s’en rendre compte. Bien travailler ensemble c’est permettre aux familles comme aux enfants d’être apaisés face aux apprentissages.
Quelle est pour toi la plus grande réussite que tu peux attendre de ces élèves/enfants ?
Qu’ils puissent être suffisamment apaisés pour apprendre et avancer dans leur projet de vie vers une situation qui leur convient.
En tant qu’enseignante spécialisée, de qui dépends-tu ? Chef d’établissement de l’IME, Inspecteur ASH, autre ? Comment se passe ton évaluation ?
Je suis enseignante de l’Éducation Nationale, mise à disposition d’un établissement médico-social. La directrice de l’IME exerce une autorité fonctionnelle sur l’équipe enseignante. Et nous sommes soumis, comme tous les enseignants à l’autorité hiérarchique de l’IEN de circonscription, notre circonscription étant celle de l’ASH.
Je suis évaluée comme tous les collègues du milieu ordinaire lors d’une inspection (ou plutôt maintenant, un rendez-vous de carrière) ; la seule différence étant peut-être le délai pour prévenir de cette évaluation, rallongé pour préparer nos élèves aussi.
Beaucoup de personnes pensent qu’il est très difficile de travailler en IME. Est-ce le cas pour toi ? Pourquoi ?
Je me sens beaucoup mieux en IME, en tout cas dans cet établissement. Il y a un réel travail d’équipe, beaucoup de bienveillance de la plupart des collègues, de vrais temps de réflexion, approfondie pour mieux accompagner les élèves. J’apprends beaucoup, théoriquement, sur moi, sur les élèves,…
Dans l’ordinaire, on se sent souvent très seul dans sa classe, ce qui n’est pas le cas ici, où une question, une difficulté peuvent trouver une réponse. De plus, nous avons le temps d’être vraiment auprès de chaque élève, et la sensation de pouvoir faire progresser chacun.
Que faudrait-il pour améliorer tes conditions de travail au quotidien ?
Nous demandons depuis quelques années un mi-temps supplémentaire d’enseignant qui permettrait de proposer plus de temps scolaire aux élèves qui en ont besoin. Nous aimerions aussi avoir une formation continue mieux adaptée à notre lieu de travail (plus d’ouverture sur les MIN par exemple mais aussi une meilleure organisation du plan de formation afin par exemple de participer aux animations péda des circo « ordinaires » et d’avoir des animations péda ASH plus variées)
Comment un IME peut-il se mettre au service de l’inclusion des élèves selon toi ?
Il y a plein de manières de participer à ce que la société soit plus inclusive. Nous avons construit au fil des rencontres divers partenariats, que ce soit des partenariats scolaires, médicaux, professionnels, …
D’un point de vue scolaire, notre établissement travaille avec des écoles, collèges et lycées. Les élèves de l’IME ont la possibilité de participer à des cours ou des projets dans le milieu ordinaire selon diverses modalités : en groupe avec une enseignante ou un éducateur, seuls très ponctuellement ou seuls sur un temps plus conséquent dans la semaine et dans ce cas il ne sont plus scolarisés au sein de l’IME. Mais l’inclusion n’est pas que scolaire, surtout avec des horaires si légers. Les élèves apprennent aussi à se déplacer seul en ville : aller à la poste, à la boulangerie, faire des courses, aller au bowling, au théâtre ou au cinéma. Ce sont autant de moments où ils sont au cœur de la société.
L’inclusion n’est pas que scolaire…
Nous commençons à réfléchir aussi à l’idée d’inclusion « inversée » : pourquoi seuls les jeunes de l’IME iraient à l’extérieur, et pas l’inverse? Nous pourrions imaginer que des lycéens en apprentissages professionnels en Espaces Verts pourraient accueillir nos élèves pour des temps d’apprentissages professionnels et venir à l’IME pour s’entraîner sur ces compétences avec l’éducateur technique ? Nous pourrions aussi envisager de recevoir des élèves d’école ordinaire sur des temps ponctuels, dans le cadre de projets par exemple.