Jean-Louis Beratto, psychologue clinicien au SMPU (Service Médico-Psychologique Universitaire) de Grenoble et membre de l’institut français d’analyse de groupe et de psychodrame, anime en 2015-2016 un groupe d’analyse de pratiques (GAPP) de personnels de direction de l’académie de Grenoble.
Sgen-CFDT : Pouvez-vous décrire ce que c’est qu’un groupe d’analyse de pratiques professionnelles GAPP ?
: Un groupe d’analyse de pratiques professionnelles ouvre une voie d’accès aux difficultés rencontrées en proposant un espace de parole sur sa pratique professionnelle, en dehors d’un regard d’évaluation. Il est au service d’une compréhension nouvelle des différents enjeux mobilisés dans les situations qui sont évoquées par les membres du groupe.
Les séances d’analyse de pratiques peuvent s’adresser à tout membre de la communauté éducative qui souhaite approfondir sa pratique professionnelle.
En situation de groupe, chacun est invité à exprimer les interrogations, les difficultés, les incompréhensions qu’il rencontre dans son travail.
A partir de l’évocation d’un moment singulier de sa pratique, l’individu entreprend avec l’aide du groupe, l’élaboration d’une compréhension nouvelle qui rend perceptible différents niveaux d’implication.
Afin de garantir ce travail d’élaboration, l’assiduité, la confidentialité et l’écoute bienveillante de chacun sont nécessaires. J’ai proposé une série de dix séances d’une heure trente qui s’échelonnent de septembre 2015 à mai 2016.
Pouvez-vous nous décrire les objectifs qui sont poursuivis au sein du GAP des personnels de direction de Grenoble ?
Le GAP est une proposition d’écoute dans un cadre précis. Il remplit trois fonctions, pour les personnels de direction, comme pour tout autre membre de la communauté éducative engagé dans un GAP.
- Une fonction de dépôt. La prise de parole, une fois dépassées les résistances, apporte un apaisement, une « réassurance » à l’égard du sentiment d’être « insuffisant » ou « d’avoir mal fait », en se situant « un » parmi d’autres.
- Une fonction de compréhension. Au carrefour des demandes politiques, institutionnelles, familiales, groupales, individuelles, il s’agit de repérer les diverses intentions qui se conjuguent dans le temps et dans l’espace des situations rapportées, et de préciser la fonction de chacun dans sa dimension réelle et imaginaire.
- Une fonction d’élaboration. L’accès à une compréhension nouvelle permet d’envisager des ajustements possibles des réponses apportées aux situations abordées.
Vous parlez d’une fonction d’élaboration. Vous pouvez préciser ?
Le GAP est un espace temps d’élaboration de réponses, pas de décisions. Élaborer c’est se mettre en situation d’accomplir une fonction « créative ». C’est par exemple permettre aux chefs d’établissement d’investir leurs fonctions de façon vivante, d’être présents au sein de ce qu’ils portent, sans trop de dispersion, de trouver ou de retrouver le plaisir de réfléchir et de construire ensemble.
A un métier solitaire, il convient d’offrir le contrepoint d’une construction collective. Seul dans son coin on risque l’épuisement, la saturation psychique.
Le chef d’établissement ne peut pas être dans tout. A tenter de le faire il risque de ne plus être en capacité de réflexion, d’analyse et d’initiative. L’initiative et la créativité sont inhérentes à la fonction d’élaboration dont nous parlons : elles sont indispensables à toute profession d’encadrement. Un solitaire a peu de chances de remplir sa fonction d’autorité dans de bonnes conditions. Une réflexion partagée favorise les capacités de prendre les « bonnes décisions ».
Agir, innover, créer, décider dans un cadre professionnel suppose de la confiance. On redonne confiance à l’individu en lui permettant de s’exprimer en dehors de toute hiérarchie et en lui permettant de s’autoriser à partager ses préoccupations avec ses pairs.
C’est la première fois que vous animez un GAP de personnels de direction ?
Oui.
Qu’est-ce qui vous est apparu de plus significatif au travers des problématiques et des préoccupations exposées ?
La solitude dans laquelle se trouvent les personnels de direction. Une de mes premières réflexions a été : « ce n’est pas pensable qu’on laisse des gens seuls là-dedans ! » Ils sont confrontés à de nombreux registres : les professeurs, les élèves, les parents, les élus, les politiques, leur institution. Ils sont souvent seuls à faire face. C’est ce qu’ils expriment ; cela ne veut pas dire que c’est toute leur réalité mais il faut la prendre en compte parce qu’elle est au moins une partie de leur réalité.
Le dernier registre de la confrontation à l’institution est sans doute le plus caractéristique de leurs difficultés : les personnels de direction se protègent de leur institution et ne l’investissent pas comme un étayage fiable. « Faut se méfier… » Il y a toujours une hésitation à une demande d’appui institutionnel, une inquiétude… Il y a un mélange d’incompréhension et de crainte vis-à-vis de l’institution parce qu’ils ne se sentent pas suffisamment compris ni soutenu dans la complexité de leurs tâches.
Si l’institution n’est pas vécue comme un étayage fiable, comme vous le dites, où les personnels de direction doivent-ils le trouver ?
Ils doivent s’appuyer sur leurs pairs, sur leurs collègues bien entendu, comme nous le faisons au sein du GAP. C’est de la responsabilité de leur institution de mettre en œuvre des espaces de réflexion et d’élaboration collectifs qui leur permettront à la fois de les prévenir de l’épuisement professionnel et de construire des réponses efficientes aux problématiques qu’ils ont à affronter.
C’est du « gagnant gagnant » que vous décrivez ?
Leur permettre de se construire un airbag psychique et les mettre en capacité d’améliorer leurs compétences, c’est à dire leur capacité à répondre à des problématiques aussi diverses que complexes, les soutient dans leurs fonctions.
Au sein d’un groupe d’analyse des pratiques ?…
Par exemple… Savoir que la semaine prochaine il y aura un GAP où leur problématique et la difficulté à laquelle ils sont confrontés fera l’objet d’une communication et d’une réflexion partagée est vécue comme une aide nécessaire. Cette recherche de sens, cette élaboration collective de réponses possibles les maintiennent dans la dynamique d’un échange.