Éric Charbonnier participe à la publication annuelle de Regards sur l'éducation dont il est l'un des rédacteurs du chapitre sur le financement des systèmes d'éducation.
L’investissement dans l’éducation est une question cruciale aujourd’hui. Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT y a consacré le dossier de son numéro de rentrée 2021 et, dans ce cadre, a interrogé l’analyste , expert en éducation à l’Organisation de coopération et de développement économiques.
Nous l’avons interviewé le lendemain de la conférence de presse organisée à l’occasion de la sortie de l’édition 2021 de Regards sur l’éducation (toutes les informations sont à retrouver ci-dessous dans Ressources complémentaires).
Que retenir des évolutions de l’investissement dans l’éducation depuis quarante ans ?
En France, la période 1980-2000 a été assez faste alors qu’ensuite, la dépense d’éducation a progressé très lentement.
L’enseignement des études comparatives sur l’investissement en éducation
Contrecoup de la crise financière de 2008, en 2010 il y a un arrêt qui s’est traduit, par exemple, par le gel des salaires (cf. l’interview de Bernard Schwengler sur son livre, Salaires des enseignants. La chute) dans de nombreux pays de l’OCDE, voire des réductions ou des coupures de salaires, par des suppressions de postes ou des licenciements. Les mesures scientifiques montrent que les effets sur la performance des élèves, et donc sur l’efficacité des systèmes d’éducation, ont été très négatifs.
Aujourd’hui, l’éducation est un enjeu reconnu…
Aussi, à partir de 2015, la prise de conscience que l’éducation est un moteur d’égalité des chances, de croissance économique incite les pays à y réinvestir. Aujourd’hui, l’éducation est un enjeu reconnu : on a besoin de jeunes bien qualifiés et bien préparés au monde du XXIe siècle. Et ce qui a également changé en quarante ans – que la France commence à intégrer –, c’est la place à accorder aux compétences, et non au seul diplôme, pour que les jeunes accèdent à tous les métiers possibles et puissent s’y épanouir…
ce qui a également changé en quarante ans – que la France commence à intégrer –, c’est la place à accorder aux compétences, et non au seul diplôme…
Quelles seraient les priorités d’un « bon » investissement ?
À l’OCDE, nous disons que tout n’est pas question d’argent quand on parle d’investissements pour la performance d’un pays. Il faut aussi trouver les bons leviers.
Favoriser la dépense d’éducation dévolue à l’école (maternelle et primaire)
Ainsi la dépense d’éducation de la France représente 5,2 % de son PIB contre 4,9 % pour la moyenne des pays de l’OCDE. Or la dépense par élève à l’école est de 9 % inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE et celle au lycée supérieure de 30 %. Depuis 2012, il y a une continuité de la politique éducative pour rattraper ce déséquilibre et privilégier le premier degré, car beaucoup d’inégalités scolaires apparaissent dès le plus jeune âge.
Investir en direction des enseignants
D’autre part, il faut investir en direction des enseignants et la question salariale est sans doute la porte d’entrée, sachant qu’en milieu de carrière leur rémunération est environ 20 % inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE. Mais les revaloriser nécessite de réfléchir aussi aux moyens d’améliorer leur bien-être au travail, et cela passe par les formations initiale et continue, aujourd’hui défaillantes.
Investir en direction des élèves en difficulté
En lien avec cette question de formation des maîtres, il faut continuer à investir pour les élèves en difficulté, en remédiant au sein-même de l’École à leurs retards d’acquisition.
(Re)valoriser les filières professionnelles
Enfin, si on parle d’efficience dans l’investissement, on peut dire que la France met beaucoup d’argent dans ses filières professionnelles, sans cependant changer le regard porté sur celles-ci qui scolarisent beaucoup d’enfants en échec scolaire, offrent peu d’opportunités de poursuite d’études après le lycée et dont les programmes ne sont pas toujours dispensés en alternance, élément clé pour donner une expérience en entreprise et mener à un emploi.
La crise du Covid a montré à quel point nous avons besoin de ces métiers. La France doit sortir d’un modèle d’éducation académique et élitiste hérité de Napoléon, et regarder vers ses voisins (Suisse, Allemagne, Luxembourg…) qui ont des filières professionnelles d’excellence.
(Re)penser la formation des enseignants
D’ailleurs, c’est ce qui est également reproché à la formation des maîtres, trop axée sur l’académique aux détriments du pédagogique, du travail en équipe, de la gestion de classe, volets indispensables pour s’épanouir dans ce métier. Si doubler le salaire enseignant ne semble pas réaliste, il y a une véritable opportunité dans le débat actuel pour négocier une augmentation salariale significative, accompagnée de leviers pour que le métier évolue positivement, au bénéfice aussi des élèves. C’est une stratégie gagnant-gagnant.
Si doubler le salaire enseignant ne semble pas réaliste, il y a une véritable opportunité dans le débat actuel pour négocier une augmentation salariale significative, accompagnée de leviers pour que le métier évolue positivement, au bénéfice aussi des élèves.
En quoi la pandémie a-t-elle pu changer l’approche des enjeux éducatifs ? Quelles leçons en tirer ?
Il est intéressant de comparer les stratégies des pays pour gérer cette crise. Alors qu’il y a une cohérence de toutes les politiques éducatives lors du premier confinement en décidant de fermer les écoles, à la rentrée 2020, en plein retour des vagues de Covid, les décisions diffèrent. La France fait partie des pays où il y a une volonté politique forte de garder les écoles ouvertes. D’autres pays (d’Amérique du Sud, d’Europe de l’Est, et même l’Allemagne) n’ont pas fait ce choix. Or on sait que la fermeture pose problème parce que l’école à distance n’a pas forcément la même qualité d’un pays à l’autre et parce que cela provoque un décrochage scolaire. Une des conséquences est qu’aujourd’hui tous les pays n’en sont pas au même niveau.
Aspects négatifs : le creusement des inégalités à plusieurs niveaux
Non seulement la crise a creusé les inégalités à l’intérieur des pays (en France où les écoles ont peu fermé, on sait que ce sont les élèves les plus défavorisés qui ont le plus fortement subi la crise) mais aussi entre les pays car les plus pauvres, qui avaient déjà le plus de difficultés en matière d’apprentissages pour leurs élèves, sont ceux qui ont fermé le plus longtemps leurs écoles. Cela signifie qu’il va falloir réfléchir en matière d’investissement mondial pour soutenir ces pays-là.
Non seulement la crise a creusé les inégalités à l’intérieur des pays (en France où les écoles ont peu fermé, on sait que ce sont les élèves les plus défavorisés qui ont le plus fortement subi la crise) mais aussi entre les pays…
Aspects positifs : des nouvelles manières de travailler
Dans ce contexte de crise, il y a eu davantage de coopération entre enseignants alors que ce n’est pas dans la culture du système d’éducation français, surtout dans le second degré. Ils se sont également mis au numérique – pas juste pour faire cours en visio, mais pour intégrer de l’innovation pédagogique dans les apprentissages. Les changements dans le fonctionnement des établissements, dont les écoles qui ont pu prendre leur responsabilité et bénéficier de beaucoup plus d’autonomie qu’à l’ordinaire, vont dans la bonne direction. La leçon à tirer est qu’il ne faudrait pas revenir aux anciennes habitudes une fois la situation redevenue normale.
Deux démarches indispensables…
1/ L’évaluation, une culture à développer en France
Enfin, pour pouvoir vraiment partager les bonnes pratiques, il faudrait évaluer les impacts sur les apprentissages. Or la culture de l’évaluation fait défaut en France où beaucoup de réformes dans l’éducation ont été menées sans mesures scientifiques des résultats ou retours d’expérience. Montrer quand ça fonctionne bien et pourquoi, pour en faire bénéficier l’ensemble de la communauté éducative, avoir des objectifs clairement définis et une communication transparente sont indispensables pour faire progresser le système d’éducation.
[…] pour pouvoir vraiment partager les bonnes pratiques, il faudrait évaluer les impacts sur les apprentissages. Or la culture de l’évaluation fait défaut en France…
Le bénéfice des évaluations de CP, de 6e ou de seconde, qui sont nationales, serait par exemple plus grand si les enseignants se les appropriaient, si elles étaient discutées au niveau de l’école ou de l’établissement, partagées dans l’échange avec les parents. C’est ce qui est préconisé, mais on sait très bien que ce n’est pas ce qui se passe sur le terrain aujourd’hui parce qu’il y a un climat de défiance envers ces évaluations, une peur qu’elles soient utilisées pour sanctionner les écoles ou les établissements. C’est le rôle aussi du Conseil d’évaluation de l’École : développer la capacité évaluative des acteurs de l’École, et la diffusion d’une culture d’évaluation au service de la réussite des élèves.
L’évaluation fonctionne si on implique tous les acteurs…
L’évaluation fonctionne si on implique tous les acteurs, pas seulement les inspecteurs, les enseignants, mais aussi les autres personnels, les parents, les élèves. C’est ce côté inclusif qui fera qu’on aura la meilleure évaluation possible et acceptée par tous.
2/ Mener une réflexion sur l’efficacité de l’investissement
En outre, l’enjeu d’évaluer les politiques éducatives si on le relie à la question du financement est d’autant plus impératif qu’on ne pourra pas toujours dépenser sans visibilité dans le système d’éducation, on aura besoin d’une réflexion sur l’efficacité de l’investissement.