Président de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), Alexandre Leroy s'exprime sur l'état du système d'enseignement supérieur en France, notamment en matière d'égalité des chances et d'organisation des cycles de formation.
À la lumière des chiffres de l’indicateur national du cout de la rentrée étudiante que publie la Fage, quelle sera la situation des étudiants cette année ?
Depuis treize ans que La Fage publie cet indicateur, chose inédite, la rentrée étudiante en 2015 coutera moins chère qu’en 2014, une diminution de l’ordre de 6,80 %, pour s’établir en moyenne à 2 335,45 euros. Cette baisse est due essentiellement à l’application d’une mesure de la loi Alur (1) : l’encadrement des honoraires des agences immobilières. Si les dépenses liées à la rentrée sont en diminution, en revanche le coût de la vie étudiante ne baisse pas. En 2015 comme en 2014, un quart des étudiants devra exercer une activité rémunérée, sans lien avec le domaine de formation, et qui prendra plus de douze heures hebdomadaires – ce qui aggrave sensiblement le risque de décrochage et d’échec. Ainsi, cette année encore, la rentrée étudiante s’inscrit dans le contexte inquiétant d’un enseignement supérieur toujours marqué par les inégalités, la précarité et la sélection sociale !
« LE SALARIAT ÉTUDIANT ILLUSTRE LA PROFONDE INÉGALITÉ SOCIALE RÉGNANT AU SEIN DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR. »
Quelle analyse fait la Fage de cette nécessité, de fait, du salariat étudiant alors que la démocratisation de l’enseignement supérieur reste un objectif national nettement revendiqué ?
Les discours gouvernementaux agitant la démocratisation de l’accès au diplôme comme objectif primordial ont un goût vraiment amer pour les étudiants qui, sur les campus, peinent à la voir se concrétiser. Le salariat étudiant illustre la profonde inégalité sociale régnant au sein de l’enseignement supérieur. Dans un contexte économique difficile, notamment pour l’emploi des jeunes, l’expérience salariée durant les années d’études est de plus en plus considérée comme apportant des compétences pré professionnelles, si elle est liée au secteur de formation universitaire. Sans surprise, les jeunes issus de milieux populaires ont bien moins de probabilité d’exercer un emploi en rapport avec leurs études et de faible volume horaire. C’est pourtant le seul type d’activité valorisable en terme d’acquisition de compétences, qui ne compromet pas la réussite académique de l’étudiant et dont l’intérêt des tâches ne nuit ni à l’estime de soi, ni à la projection dans un projet professionnel. Cette première discrimination s’accompagne d’une situation de non-droit : il n’existe aucun cadre précis, imposé aux établissements, pour la mise en place de régimes spéciaux d’études, permettant l’aménagement des emplois du temps et des modalités de contrôle des connaissances. Les étudiants salariés sont exclus de la prime d’activité et font très rarement valoir leurs droits au sein de l’entreprise. Si la Fage a pu obtenir, par voie d’amendement à la loi Macron, l’introduction d’un droit au « congé de révision » pour les étudiants salariés, ces cinq jours opposables à l’employeur ne sont pour le moment pas rémunérés… C’est justement dans la perspective de renforcer l’accès et le recours aux droits que la Fage travaille actuellement avec le Sgen-CFDT à l’élaboration d’une plateforme web devant améliorer significativement la lisibilité et la visibilité des droits, des modes de recours et des dispositifs existants pour les étudiants qui cumulent le statut d’étudiant et celui de salarié, de stagiaire, ou d’apprenti.
La situation de précarité des étudiants salariés ne pose-t-elle pas finalement la question générale du financement de l’enseignement supérieur ?
Près de 50 000 nouveaux étudiants feront leur rentrée universitaire en 2015. Si la Fage se réjouit de l’augmentation du nombre de jeunes à choisir l’université et à accéder aux études supérieures, il reste que leurs chances de réussite sont compromises par l’absence de moyens adaptés aux nouvelles réalités démographiques. Le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche est depuis de trop nombreuses années en souffrance. Les étudiants ne bénéficient pas de l’accompagnement et des conditions pédagogiques idéales pour réussir et les personnels évoluent dans un environnement de travail toujours plus précaire et difficile. Cette année, la sanctuarisation du budget ne peut suffire. La Fage a d’ores et déjà appelé Thierry Mandon et Najat Vallaud-Belkacem à agir pour obtenir une augmentation substantielle du budget et pour garantir une diminution du montant de crédits mis en réserve, ceux-là mêmes qui avaient été doublés cette année.
Il s’agit aussi de poursuivre la réforme sur les aides sociales, entamée depuis 2012, pour que les attributions de bourses concernent davantage d’étudiants, et que le logement et la restauration sociale soient financés à la hauteur de l’enjeu qu’ils représentent dans l’accessibilité aux études. Au moment où l’augmentation généralisée des frais d’inscriptions, l’introduction d’une sélection à l’entrée de l’université et la remise en question des aides sociales rencontrent malheureusement un large écho, il est vital de renforcer durablement notre service public d’enseignement supérieur et de recherche.
« C’EST D’ADAPTABILITÉ, D’INITIATION À LA RECHERCHE ET D’AUTONOMIE DONT NOUS AVONS BESOIN… »
Le système d’enseignement supérieur français semble éprouver des difficultés à se réformer. Quelles propositions porte la Fage dans ce domaine ?
Cette année, en effet, doit être celle des réformes structurantes. Notre système s’apparente à une machine pensée pour l’élite et organisée autour de la notion d’échec. Qu’il s’agisse de l’orientation, des modalités d’évaluation, de la pédagogie ou de l’architecture même des cycles (notamment celui du master), le raisonnement est fondé sur l’échec et non sur une logique d’apprentissage, positive et émancipatrice. Ce qui est tout à fait paradoxal : alors que nous évoluons dans un monde régi par le changement, l’innovation et la transformation permanente, notre système éducatif cultive la peur de l’échec et de l’exploration, et ce à tous les niveaux. Or, c’est d’adaptabilité, d’initiation à la recherche et d’autonomie dont nous avons besoin. Faire réussir un plus grand nombre d’étudiants passe nécessairement par un changement de paradigme pédagogique, laissant plus de place à l’interdisciplinarité, à la pratique collective et à une spécialisation progressive des enseignements.
La Fage milite pour faire de l’évaluation un outil pédagogique à part entière, en enjoignant le ministère à permettre la généralisation de l’utilisation du contrôle continu. Celui-ci représente, pour la Fage, le moyen d’organiser l’enseignement de manière progressive, de proposer des évaluations formatives et d’en finir avec les « évaluations classement », ou les « évaluations sanction ». Enfin, l’organisation du cycle de master ne permet pas l’installation de formations progressives, réparties en quatre semestres cohérents. La réforme du master doit être un dossier central de l’année 2015. Au moment même où la France assure le secrétariat du processus de Bologne (2), il est inenvisageable de ne pas savoir aligner notre cycle master sur les standards européens et de ne pas effectuer les réformes nécessaires pour le rendre accessible, cohérent et qualitatif pour tous les étudiants (3).
Bon à savoir
LA FAGE, PETIT HISTORIQUE : plus importante organisation de jeunes en France, la Fage – Fédération des associations générales étudiantes -, fondée en 1989, fédère près de 2 000 associations étudiantes et syndicats, soit 300 000 étudiants. Première organisation ex-aequo siégeant au Cneser (5 sièges) et au Cnous (4 sièges), elle se donne pour mission de garantir l’égalité des droits, l’amélioration constante des conditions de vie et la participation citoyenne des jeunes. Indépendante des partis politiques et des mutuelles étudiantes, elle fonde son action sur une démarche progressiste, humaniste et une gestion militante de services d’intérêt général.
1 – Sur la loi ALUR
2 – Processus de Bologne : processus, initié en 1998, pour créer un espace européen de l’enseignement supérieur. Pour en savoir plus : Ulrich Teichler, « Mobilité étudiante : succès et échecs du Processus de bologne », Repères N° 03, février 2011, Campus France.
3 – Retrouvez le communiqué de presse commun du Sgen-CFDT et de la Fage, Sélection en master : mettre fin à l’hypocrisie.