Frédéric Gal est le directeur général du Refuge, une association reconnue d’utilité publique qui accompagne et héberge de jeunes LGBT rejetés par leur famille.
Pourquoi le Refuge ?
Le Refuge est né en 2003 à Montpellier, du constat que certains jeunes LGBT se retrouvaient à la rue, soit parce qu’ils avaient été chassés par leurs parents, soit parce que le climat familial était devenu à ce point infernal qu’ils préféraient s’enfuir.
En quinze ans, nous nous sommes installés dans seize villes (Avignon, Bastia, Besançon, Bordeaux, Grenoble, Lille, Lyon Marseille, Montpellier, Nice, Paris, Perpignan, Rennes, Saint-Denis de la Réunion, Strasbourg, Toulouse), et en Guyane depuis peu. Les disparités géographiques sont encore importantes : nous sommes très présents dans le pourtour méditerranéen, notamment du fait de notre histoire ancienne dans cette zone, mais inexistants dans le Centre, tout simplement parce que le « vivier » de candidats au bénévolat y est plus faible.
Notre mission historique, la mise à l’abri de jeunes de 18 à 25 ans qui se retrouvent à la rue.
Au niveau européen, nous ne sommes pas une structure unique. Même s’il a aujourd’hui disparu, un équivalent existait en Grande-Bretagne qui nous a d’ailleurs servi de modèle, avant que nous n’inspirions à notre tour des Refuge – ils ont conservé le nom – suisse et italien. Des pourparlers sont également en cours avec la Belgique.
Notre mission historique est l’hébergement, c’est-à-dire la mise à l’abri de jeunes de 18 à 25 ans qui se retrouvent à la rue, parmi lesquels une large majorité de garçons (67 %), de tous les milieux sociaux. Ce sont cent jeunes qui sont actuellement hébergés, soit dans des appartements, soit à l’hôtel – mais tous ne peuvent évidemment pas l’être compte tenu de nos moyens limités.
Ces dernières années, nous avons également dû faire face à une demande croissante de la part de jeunes migrants dont le profil psychologique et les difficultés sont sensiblement différents, ne serait-ce que pour toutes les questions liées au droit d’asile confiées aux associations spécialisées.
Accompagnement social et prévention…
Outre l’hébergement, nous proposons un accompagnement social pour aider les jeunes à démêler leur situation administrative (certains se sont enfuis sans rien emporter avec eux, ni carte vitale ni papiers d’identité), une insertion socioprofessionnelle pour qu’ils puissent être rapidement autonomes, et un accompagnement psychologique, car leur vécu – la rue, mais également l’homophobie familiale qui l’a précédée – est une épreuve difficile à dépasser, et ils souffrent souvent d’une homophobie intériorisée.
Enfin, nous développons depuis quelques années un axe de prévention, d’une part auprès des professionnels des secteurs social et médicosocial, afin d’aider ces professionnels à comprendre les mécanismes de l’homophobie dont peut être victime leur public, d’autre part auprès des établissements scolaires et carcéraux…
Notre financement dépend à plus de 50 % des donateurs privés et adhérents…
Tout cela a évidemment un cout. Notre financement dépend à plus de 50 % des donateurs privés et adhérents, qui étaient plus de 5 000 en 2016. Les pouvoirs publics nous soutiennent également financièrement, même si la disparition récente des réserves parlementaires a été difficile à contrebalancer. Enfin, Le Refuge est également soutenu par des entreprises privées, soit en nature (des compétences sont offertes au Refuge), soit par le biais d’un mécénat financier au terme d’un appel à projets.
L’homophobie, qui a véritablement explosé au moment du mariage pour tous, est-elle retombée ?
Lors des débats autour de la loi dite du « mariage pour tous », le nombre d’appels à notre standard a été multiplié par quatre dès le premier mois, soit que les jeunes avaient des questions à nous poser, soit que leur situation familiale s’était dégradée subitement. En effet, certains jeunes se sont sentis libres de parler de leur propre sexualité lorsque le sujet émergeait dans la famille, découvrant que leur famille était moins ouverte qu’ils ne le pensaient ; d’autres se trouvaient fragilisés par la teneur des débats.
Mais je pense que l’on se méprend souvent sur la question de l’homophobie. Les débats ont rendu visible la violence préexistence, peut-être contenue ces dernières années, peut-être invisible. Mais avant ou après les débats, l’homophobie reste écrite sur les murs.
Quelles sont vos relations avec les pouvoirs publics ?
Depuis quelques années, les gouvernements qui se suivent semblent être de bonne volonté, mais les ambitions affichées peinent à devenir concrètes. Par exemple, en son temps, Najat Val
laud-Belkacem a initié un plan de lutte sur la base d’une espèce de recueil, auprès des structures concernées, de leurs doléances. Le Refuge, comme les autres associations, a donc fait un certain nombre de constats et de préconisations – les mêmes depuis quinze ans. Un rapport a été publié, des affiches de lutte contre l’homophobie ont été diffusées expliquant, grosso modo, que « l’homophobie, c’est pas bien ». Mais rien n’est fait pour mesurer les effets de ce type de campagne… L’homophobie est-elle en régression ?
Plus récemment, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) a auditionné les structures en demandant ce dont nous avions besoin. On a redit la même chose : il faut multiplier les formations, doter les structures de moyens financiers. Un appel à projets a été lancé – auquel nous avons postulé, et d’ailleurs nous avons été partiellem
ent entendus. Mais là encore, comment mesurer les effets globaux sur le terrain ?
C’est finalement au niveau local – je veux dire avec les partenaires publics locaux – que les volontés sont les plus concrètes : certains veulent vraiment faire avancer les choses et voient évidemment d’un bon œil notre prise en charge de ce public.
L’accueil est donc plutôt bon, sauf avec ceux de nos interlocuteurs qui ont du mal à dépasser les normes hétéronormatives – y compris dans le secteur scolaire : certains peuvent estimer que l’homophobie n’est pas un sujet (ou ne devrait pas l’être), d’autres affirmer que, de toute façon, il n’y a pas d’homophobie dans leur établissement. Cette mauvaise volonté n’est pas le fait des rectorats, dans la mesure où la lutte contre l’homophobie fait partie des grands chantiers gouvernementaux, à l’instar de la lutte contre le harcèlement à l’école, mais certains chefs d’établissement vont considérer que coller une affiche sur la porte des toilettes sera suffisant. D’autres mesureront l’importance d’une sensibilisation.
En quoi consistent, justement, les interventions en milieu scolaire que vous proposez ?
L’école est un formidable vivier où doit se construire le vivre-ensemble – aussi galvaudé par les politiques ce terme soit-il – et où les élèves doivent apprendre à réfléchir par eux-mêmes. Nous partageons tous un espace commun, il faut donc se comprendre, et donc se parler. Mais parce que l’école peut aussi être un lieu de violences, y compris homophobes, nous sommes parfois sollicités par les établissements. Nous examinons toutes les demandes, même si nous ne pouvons inte
rvenir qu’en fonction de nos disponibilités.
L’intervention dure deux heures et n’est proposée qu’à une seule classe à la fois. Nous commençons par demander aux élèves de poser des questions de façon anonyme. C’est essentiel, pour que chacun puisse s’exprimer sans la peur du regard d’un camarade suspicieux. Puis en général, la conversation s’engage assez spontanément avec les élèves – et dans le cas contraire, l’intervenant ou même l’enseignant présent peut relancer.
Déconstruire les stéréotypes…
Notre but est de délier les langues pour que chacun finisse par parler sans être regardé de t
ravers, pour que chacun réfléchisse à l’origine de l’homophobie, mais également aux sources de son éventuelle animosité, voire de sa haine. Car en arrivant en classe, certains élèves ont un discours très clair : l’homosexualité, c’est contre-nature, c’est « dégueulasse », c’est interdit par la religion. D’autres vont penser être indifférents à la question, mais se crisperont tout de même à l’idée d’une possible homosexualité d’un ami ou d’un membre de leur famille.
Notre objectif est donc multiple. En tout premier lieu, il s’agit évidemment de d
éconstruire les stéréotypes en les abordant sous les angles sociologique, anthropologique et religieux, en mettant en avant les arguments favorables au respect de l’autre. Ensuite, nous cherchons à banaliser l’homosexualité.
Un individu n’a pas à être réduit à sa sexualité.
Certains élèves réduisent l’homosexualité à l’acte sexuel qui emplit leur imaginaire de façon presque obsédante, oubliant qu’il s’agit avant tout d’une relation entre deux personnes libres, animées de sentiments qui sont évidemment les mêmes que chez les hétérosexuels, oubliant également qu’ils n’ont pas à se mêler de la sexualité d’autrui tout comme on ne doit pas se mêler de la leur. La sexualité d’un individu n’a pas vocation à être dévoilée sur la place publique et
un individu n’a pas à être réduit à sa sexualité.
Bibliographie et sitographie
- Le travail social auprès des victimes d’homophobie. Questionnement identitaire, lien familial, insertion. Frédéric Gal, éd. ASH, 2013.
- DILCRAH, Plan de mobilisation contre la haine et les discriminations LGBT