"L’enjeu des Maisons pour la science est que les élèves acquièrent l'idée que la science est vivante et en prise avec leur quotidien."
Vice-président Culture et Patrimoine scientifique à l’université Lille 1, Jean-Philippe Cassar a porté le projet d’ouverture d’une Maison pour la science en Nord-Pas-de-Calais. Aujourd’hui à sa tête, ce militant Sgen-CFDT en relate l’aventure à Profession Éducation, le mensuel du Sgen-CFDT (n° 248, octobre 2016) : ci-dessous, la version intégrale de son interview.
Vous prenez la direction de la Maison pour la science en Nord-Pas-de-Calais. Quelle est la mission d’un tel établissement ?
Les professeurs des écoles et les enseignants en collège qui participent depuis deux ans aux actions de la Maison pour la science en Nord-Pas-de-Calais, ont fait l’expérience, à leur niveau d’adultes et dans une ambiance conviviale, de la richesse d’une pédagogie qui s’appuie sur l’expérience et le questionnement autour d’une démarche d’investigation. Ils ont également découvert les développements pluridisciplinaires que peut susciter un sujet scientifique et ont échangé avec des scientifiques.
L’intérêt, voire le plaisir, exprimé par les participants, est déterminant pour qu’ils fassent évoluer leur façon d’aborder en classe les thèmes scientifiques, et cultivent la curiosité des élèves et leur gout de la découverte. Car l’enjeu des Maisons pour la science est que les élèves acquièrent l’idée que la science est vivante et en prise avec leur quotidien.
la richesse d’une pédagogie qui s’appuie sur l’expérience et le questionnement
Concrètement, d’où vient ce projet ?
La Maison pour la science en Nord-Pas-de- Calais appartient à la troisième vague des neuf Maisons pour la science impulsées par la Fondation La main à la pâte avec le soutien de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) dans le cadre des programmes d’investissement d’avenir (PIA). Portée par l’université de Lille-Sciences et Technologies, elle a démarré ses activités en janvier 2014 en partenariat étroit avec le rectorat. Le soutien de la ComUE Lille–Nord de France tient compte de la dimension régionale de son action.
Y a-t-il un lien entre cette nouvelle responsabilité et votre engagement syndical ?
Le Sgen-CFDT accorde une place importante à la pédagogie dans ses analyses et propositions, avec la volonté de rendre les élèves et les étudiants acteurs de leur propre formation. Dans le cadre de mes mandats au Conseil national des universités (CNU, qui décide des qualifications et de la carrière des enseignants-chercheurs), je me suis engagé pour que l’implication particulière des collègues dans la formation des élèves soit reconnue par cette instance. Dès le départ, le projet m’a séduit par la place qu’il donne à la façon d’aborder la démarche scientifique et par la manière de le mettre en œuvre : en effet, les actions de formation conçues par la Maison pour la science associent l’apport de formateurs et de scientifiques, et permettent que des enseignants rattachés au premier et au second degrés rencontrent des scientifiques impliqués dans des laboratoires de recherche. J’y retrouve ce que j’apprécie au Sgen-CFDT, syndicat général : la possibilité d’un dialogue et d’un enrichissement entre des collègues de corps et de statuts différents. La volonté de favoriser une approche inter-disciplinaire et inter-degré, est en pleine cohérence avec le projet du Sgen-CFDT et correspond à l’évolution de l’École voulue par les lois de refondation.
une démarche qui mobilise curiosité, interrogations et questionnements
Quel intérêt voyez-vous à familiariser les élèves avec la démarche scientifique ?
Le premier enjeu est la motivation des élèves et leur implication dans la transmission des savoirs. La démarche d’investigation, que la Fondation La main à la pâte propose pour aborder la science, a pour point de départ une situation qui provoque le questionnement, un défi, de façon à créer l’envie de découvrir. Le fait que la démarche soit menée par petits groupes, en favorisant l’autonomie, amène les élèves à se poser des questions et à construire leur propre stratégie pour y répondre, soit par des expériences, soit par le biais de la recherche documentaire ou du témoignage. Le partage et la confrontation des résultats obtenus sont l’occasion de développer ou de mettre en pratique des compétences en expression orale et écrite dans laquelle la qualité de l’argumentation va être essentielle. Sur ce terreau, l’apport de savoirs complémentaires par l’enseignant se trouve facilité car il répond à des questionnements ou conforte les connaissances élaborées.
Pouvez-vous nous donner un exemple pour illustrer cette démarche ?
Bien volontiers. Si je prends la notion de centre de gravité ou centre de masse d’un objet complexe, je peux : soit donner la formule de calcul, soit présenter le dispositif de la photo ci-contre pour susciter l’intérêt et, dans ce cas, soit donner tout de suite l’explication du phénomène observé, soit laisser le groupe manipuler pour modifier l’objet et lui demander d’élaborer une explication. Dans la troisième modalité, les élèves vont devoir élaborer des explications de la situation observée (ça tient parce que le pic est collé au bouchon), trouver les moyens d’en tester la validité (si c’est collé on ne pourra pas soulever l’objet, on va soulever l’objet), mettre en œuvre ces moyens (on observe qu’on peut soulever l’objet) et tirer des conclusions de ces nouvelles observations (l’objet n’est pas collé, il faut trouver une autre explication). Cette démarche, qui peut se répéter autant que nécessaire, est proche de celle mise en place dans la recherche. Elle est motivante car elle place le groupe en situation active et lui fait le crédit de sa capacité à élaborer des explications. S’il reste des interrogations à la fin de la séquence, les explications alors données seront écoutées et reçues avec beaucoup plus d’attention.
Outre l’intérêt pédagogique, la vertu principale de cette démarche réside dans le rapport que les élèves vont entretenir avec la science et le savoir scientifique : ils peuvent ainsi découvrir qu’une connaissance (ensemble des explications validées pour expliquer les observations) s’élabore progressivement, qu’elle permet de prédire le résultat d’une expérience qui n’a pas encore été réalisée. Au cours des échanges, des discussions qu’ils peuvent mener, ils se confrontent au fait que les explications peuvent être variées et apparaître, parfois, contradictoires. Ils font l’expérience que c’est par l’argumentation et la rigueur de la démarche de validation que l’on peut en retenir certaines et en rejeter d’autres.
On sort du stéréotype de la « science-détentrice de la vérité »…
Le savoir scientifique est le consensus sur ce que l’on peut retenir dans différents domaines à un instant donné à partir des connaissances élaborées par les communautés scientifiques. Parfois le consensus ne peut se faire : il y a alors controverse. Celle-ci est souvent productive car elle oblige à affiner les modèles de représentation, voire à les remettre en cause et à mener des expériences pour les confronter à la réalité. Cette confrontation permanente à la réalité est ce qui différentie le savoir scientifique de l’opinion ou du dogme.
À travers la démarche d’investigation, les élèves dans leur classe et les enseignants dans les formations des Maisons pour la science peuvent donc faire l’expérience de l’intérêt d’une science vivante telle qu’elle peut être vécue par des chercheurs dans leur laboratoire.
il est important que la science fasse partie de la culture des futurs citoyens que sont les élèves
Pourquoi faire vivre également cette expérience aux enseignants ?
Pour qu’ils puissent découvrir « expérimentalement » son intérêt. En étant en situation, ils peuvent se projeter dans la dynamique qu’une telle approche provoque au sein d’une classe. Il leur est aussi loisible de prolonger l’expérience sur d’autres thèmes.
Est-ce le seul moyen proposé aux enseignants pour approcher la réalité de cette science vivante dont vous parlez ?
Non, la rencontre avec des personnes issues du monde de la recherche, lors d’un éclairage scientifique ou d’une visite de laboratoire, est également un moyen de rendre proche la réalité d’une science en train de se faire.
Personnellement, qu’est-ce qui vous motive le plus dans ce projet ?
Pour moi, il est important que la science fasse partie de la culture des futurs citoyens que sont les élèves. C’est loin d’être le cas aujourd’hui, notamment parce que la science est perçue comme un ensemble de savoirs déconnecté de la vie quotidienne. C’est le rôle de l’École (du primaire à l’université) de contribuer à (r)établir ce lien et d’éveiller l’intérêt des élèves et des étudiants vis-à-vis de la manière qu’a la science d’appréhender le monde : une démarche qui mobilise curiosité, interrogations et questionnements.