Dans les pays en guerre ou sous régime autoritaire, un journalisme dit citoyen émerge grâce aux nouvelles technologies.
Journalisme citoyen
Journaliste marocain aujourd’hui exilé en France et résident de la Maison des Journalistes,
a contribué à former des concitoyen·ne·s à l’utilisation de l’application StoryMaker. Une activité qui a nourri l’accusation portée contre lui par les autorités marocaines d’« atteinte à la sécurité intérieure de l’État ».Propos recueillis par Aline Noël pour Profession Éducation, magazine du Sgen-CFDT (No 257 – Novembre 2017).
Le projet StoryMaker a été initié, en 2012, notamment par The Guardian et des ONG. En quoi consistait-il ? journalisme citoyen
StoryMaker est une application Android, gratuite et open source, qui permet de réaliser des petits reportages avec un outil simple pour découper des plans, les monter, ajouter du son, des commentaires…
Le travail peut immédiatement être mis en ligne. La qualité n’est pas professionnelle mais, dans des pays comme le Maroc où filmer des scènes critiques avec un matériel encombrant et sophistiqué vous expose, c’est un moyen pas très cher et discret, utile aussi bien au journaliste professionnel qu’au citoyen voulant dénoncer une situation dont il a été témoin : une agression, un acte de corruption, des violences envers des manifestants… Ces vidéos font le buzz et, dans une société où le taux d’analphabétisme est élevé, mobilisent parfois davantage que des enquêtes d’investigation écrites.
L’idée initiale du projet était que le citoyen a une arme dans sa poche : son smartphone. La censure étant plus difficile à instaurer sur Internet, il faut s’appuyer sur les nouvelles technologies, et dans des contextes politiques troublés, le journalisme citoyen relaie le journalisme traditionnel.
L’idée initiale du projet était que le citoyen a une arme dans sa poche : son smartphone.
Quelles ont été précisément vos actions ?
D’abord, former des formateurs pour apprendre aux journalistes et aux citoyens motivés à utiliser StoryMaker. Puis constituer un réseau pour étendre les formations.
En 2009, avec un groupe de journalistes, nous avons créé l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation, dont l’objectif est de promouvoir ce type de journalisme en organisant des formations, des bourses, des prix…
Former à StoryMaker a constitué une action complémentaire, pouvant aussi intéresser le journaliste citoyen. Nous avons inclus des points déontologiques : comment recouper les informations, vérifier et protéger les sources, respecter l’anonymat, discerner ce qui est d’intérêt public…
Pourquoi avez-vous été inquiétés ? journalisme citoyen
On nous a accusé d’espionner et de falsifier des vidéos, sans nous demander de présenter les reportages réalisés dans nos formations, pourtant tous disponibles.
On nous a reproché aussi de former des activistes : parmi les journalistes formés, beaucoup étaient des militants simplement parce que les personnes les plus motivées sont aussi les plus engagées, par exemple dans la presse électronique. On les appelle les « journalistes en pyjama », qui font un travail critique audacieux, à leur compte, presque sans moyens.
Qu’en est-il de la surveillance des journalistes au Maroc ?
Les nouvelles technologies ouvrent un espace d’expression libre mais permettent aussi au régime d’exercer une surveillance de masse : interception des mails, des SMS, piratage des sites… Au Maroc, de nombreux journalistes d’investigation sont poursuivis pour des motifs fabriqués par la police les impliquant dans des affaires de droit commun (drogue, sexe, argent) que relaie une presse spécialisée dans la diffamation1.
J’ai été victime de ce système, ayant purgé dix mois de prison2.
Au Maroc, de nombreux journalistes d’investigation sont poursuivis pour des motifs fabriqués par la police les impliquant dans des affaires de droit commun…
, qui comme moi est poursuivi et vit en exil, est le président de l’Association des droits numériques. Il fait partie de Global Voices et a contribué à plusieurs rapports sur la surveillance électronique, révélant l’achat par le Maroc de matériels pour espionner ses citoyens. Il nous a formés sur la sécurité électronique. Ce que j’en ai retenu, c’est qu’il faut connaitre les risques et apprendre à protéger son travail, mais qu’il n’y a jamais de protection à cent pour cent.
Notes
1 « Maroc : journalisme assassin et assassinat du journalisme », article d’Hicham Mansouri (cf. ci-dessous Ressources complémentaires).
Lire aussi son interview, « Au Maroc, il règne une illusion de pluralisme », par Denis Perrin pour Profession Éducation, no 252 – Mars 2017.
2 Lors de l’entretien, Hicham Mansouri préparait une enquête sur le lucratif marché noir (cannabis et téléphones mobiles) dans les prisons marocaines, un sujet né de son expérience carcérale. Cette enquête a paru en livre : Au cœur d’une prison marocaine, Libertalia, collection « Orient XXI », janvier 2022.