Fermeture des établissements, mise en œuvre de la continuité pédagogique, lien avec les personnels et les familles, anticipation des décrochages, perspectives de reprise... Comment les personnels de direction vivent-ils la période ? Le témoignage d'un principal de collège.
Kamel Ait-Bouali est Principal du Collège Thomas Mann dans le 13ème arrondissement de Paris, un collège de 547 élèves, presque pour moitié issus de familles « fragiles » éloignées du système scolaire. Il dispose d’un internat social pouvant accueillir 48 enfants.
Le confinement a été une épreuve pour beaucoup de ces familles pour la plupart logées en hôtel ou dans un logement d’urgence. Pour leurs enfants, les conditions d’un apprentissage à distance n’étant pas réunies (promiscuité, accès impossible à Internet..), continuer à apprendre est une gageure. Dès lors que peut faire le chef d’établissement pour que cela se passe au mieux ?
Le jeudi 12 mars à 20 heures, comme tous les français, j’étais devant mon poste de télévision à écouter le Président de la République.
L’annonce de la fermeture résonnait encore dans ma tête mais je n’avais pas pris conscience du bouleversement, du chamboulement aussi bien professionnel et personnel que cela allait pouvoir entraîner. J’avais pourtant anticipé cette possibilité de fermeture en envoyant une note aux professeurs et parents pour les préparer à mettre en place cette continuité pédagogique.
Je m’y attendais mais le choc fut tout de même brutal…
Je m’y attendais mais le choc fut tout de même brutal car je n’ai pas eu le temps de réunir les équipes pour réfléchir collectivement à la mise en place de la continuité pédagogique. J’étais convaincu que le collège resterait ouvert pour les adultes pour justement mener cette réflexion pédagogique et assurer la continuité du service public.
Il a donc fallu régir cette urgence, en gérant un stress légitime, afin de trouver les moyens nécessaires pour permettre aux enfants, aux parents et aux enseignants de faire face à cette situation inédite.
Mais le plus difficile à vivre, c’était de voir le collège vide, sans les élèves et les collègues, sans vie, j’avoue que c’était légèrement déprimant.
C’est surtout l’éloignement du collège car l’établissement demeure pour les élèves un repère.
Il y avait une fracture avant le confinement. Force est de constater que ce confinement n’a fait qu’amplifier cet écart.
Ce confinement a renforcé la fracture voire les fractures car les apprentissages reposent désormais sur les parents. Compte tenu des enfants accueillis dans l’établissement, il est difficile de demander à des parents éloignés du système scolaire, ne maîtrisant pas les codes scolaires et surtout n’ayant pas les ressources culturelles de prendre en charge les apprentissages.
Le confinement a renforcé la fracture voire les fractures… il a fallu éviter le décrochage social.
A cela s’ajoute la fracture numérique. Pour essayer de compenser cela, nous avons ainsi prêté des tablettes et même acheté des forfaits pour les élèves sans connexion grâce aux fonds social du collège. Cela a permis au plus grand nombre de garder un lien avec l’établissement et les professeurs.
Il a en effet fallu coûte que coûte maintenir le contact avec les élèves en difficulté pour éviter la démobilisation et leur faire comprendre qu’ils appartiennent pleinement à la communauté scolaire.
Le plus difficile a été d’éviter le délitement du lien avec l’école pour ces élèves issus de familles fragiles.
Certes, répondre à la question du décrochage scolaire était un objectif affiché mais il a fallu surtout éviter le décrochage social. Pour cela les équipes de la vie scolaire, les CPE, l’assistante sociale, les enseignants, et les fédérations de parents d’élèves se sont mobilisés.
Nous pouvons donc être fiers de notre service public d’éducation !
Dans une telle situation, nous n’avions pas le choix. Il fallait s’adapter à cette nouvelle configuration inédite dans la gestion d’un établissement. A ce titre, tous les acteurs du collège ont pris part à ce changement. En tant que principal, je me suis interrogé sur comment maintenir le sens du collectif, le travail en équipe ?
Comment favoriser la concertation formelle et informelle ?
Nous avons ainsi dû bricoler, tâtonner voire même en « suer »un peu car la situation était plutôt complexe. Il a fallu aussi très souvent remonter le moral des collègues, des parents et surtout des élèves.
Il a fallu trouver les outils nécessaires pour garder le contact, nous avions à notre disposition notre ENT, « Paris classe numérique ». De son côté, le Ministère a mis à notre disposition  des outils de communication comme par exemple « ma classe à la maison ». La mise en route a été chaotique du fait principalement d’un serveur sous-dimensionné par rapport au nombre de connexions qui se sont produites. Malgré ces difficultés de départ, les  nombreux outils nous ont permis de maintenir le lien avec les élèves. Nous nous en félicitons aujourd’hui.
Nous avons créé une cellule de crise au sein de l’établissement et nous nous sommes répartis les rôles. Le premier jour, avec les CPE et l’équipe de direction, nous avons mis en place un mode opératoire pour prendre contact avec les familles et les élèves par téléphone, par courriel, par visioconférence. Nous les avons appelées quasiment tous les jours. L’adjoint du collège relevait les connexions des élèves et transmettait un bilan quotidien aux CPE et professeurs principaux. Cela a permis aux collègues de reprendre le contact et de remobiliser les élèves.
L’ensemble de l’équipe du collège a été très mobilisée et n’a pas compté ses heures…
En tant que Principal, j’ai envoyé un message pratiquement tous les deux jours aux familles et aux élèves pour les encourager, prendre des nouvelles, transmettre des liens utiles… A ce titre, l’ensemble de l’équipe du collège a été très mobilisée et n’a pas compté ses heures depuis le début du confinement.
Les objectifs que nous nous étions fixés étaient avant tout de rassurer les parents, de les accompagner avec bienveillance. Il a fallu aussi éviter qu’elles ne culpabilisent de ne pouvoir aider leurs enfants.
Avant le confinement, les relations avec l’équipe pédagogique étaient excellentes. Cela a donc été facilitateur pour ce que nous avons mis en place par la suite. Une telle relation s’acquiert, se construit, et doit être préservée car elle constitue le socle d’une relation professionnelle basée sur des valeurs communes. Je garderai en mémoire le souvenir de ma première visioconférence avec l’équipe au début du confinement. Ce fut un vrai plaisir de les retrouver, de les savoir en forme malgré la situation anxiogène de la période.
La confiance est le ciment invisible qui conduit une équipe à gagner. Bud Wilkinson
Nous avons entretenu des relations de confiance, bienveillantes car la situation n’était pas facile pour eux également. Ils devaient gérer à la fois les cours à distance, téléphoner aux élèves, répondre aux diverses sollicitations tout en gérant leur situation familiale avec leurs enfants, leurs proches.
L’équipe enseignante a ainsi pris conscience au cours de la période des enjeux pédagogiques et particulièrement pour les élèves habituellement les plus éloignés du système scolaire. J’ai durant cette phase de confinement dû être parfois un régulateur pour des enseignants et leur dire de faire attention à leur propre charge de travail quotidienne.
Le mot clé était la confiance car comme le dit Bud Wilkinson « la confiance est le ciment invisible qui conduit une équipe à gagner ».
 La charge de travail d’un principal de collège est déjà considérable en situation normale. Durant cette période, le temps n’est pas le même, le rythme est totalement différent. Je dirai par contre que le stress est plus important. La fatigue se fait sentir et les nuits sont difficiles car il n’est très pas très aisé de déconnecter. Travailler dans une relation virtuelle à travers des outils numériques n’est pas naturel.
Le rythme est totalement différent, le stress est plus important…
Pour ma part, j’ai toujours eu à l’esprit les élèves, le moral des équipes, la nécessité d’anticiper la sortie du confinement.
Comme c’est avant tout un travail collectif, je pense ainsi fortement à certains collègues qui se retrouvent dans des établissements seuls à gérer cette crise, sans secrétariat, sans CPE, sans adjoint.e. Il existe un vrai risque psychosocial pour les chefs d’établissement qu’il ne faudrait pas négliger.
 Nous l’espérons tous ce déconfinement !
Nous avons travaillé et présenté notre protocole de reprise progressive aux enseignants, personnels éducatifs, aux agents. Il a été présenté au Conseil d’Administration en visioconférence. Il a fait et il fera encore l’objet d’une concertation avec l’ensemble des parties prenantes. Nous avons pris en considération les contraintes sanitaires (distance physique, circulation des élèves, achat du gel et masques, nettoyage des locaux, la question de la restauration).
L’objectif est bien évidemment de rendre l’accueil des élèves le plus sécurisant possible mais aussi le travail des professionnels. Les familles ont également besoin de sentir que leur enfant ne risque rien à retourner dans leur collège. Tout cela doit être pensé en amont et faciliter une reprise progressive.
Sécuriser l’accueil des élèves et des professionnels, rassurer les familles…
Restera en suspens la question de l’internat. En tant que Principal, je m’interroge sur son ouverture car les préconisations du protocole sanitaire sont tellement contraignantes surtout pour les collégiens. Mais c’est une priorité pour donner aux élèves qui le fréquentent des conditions de travail décentes.
Pour que ce plan de reprise soit opérationnel, il faut que des conditions préalables soient remplies comme la distribution des masques, le gel et le nombre d’agents présents pour effectuer le nettoyage et la désinfection des locaux notamment de l’internat.
Nous réfléchissons d’autre part, avec l’équipe pédagogique à des modalités de travail des élèves tant en distanciel qu’en présentiel pour essayer de n’oublier personne. Un projet comme celui-là se construit collectivement en permettant à chacun de s’engager selon les modalités qui lui semblent les plus pertinentes à la fois pour sa santé mais aussi pour le travail pédagogique avec les élèves.
Permettre à chacun de s’engager selon les modalités qui lui semblent les plus pertinentes…