Face au poids de la hiérarchie, comment les cadres de l’Éducation nationale doivent-ils se positionner ? Un ministre de l’Éducation nationale attend-il seulement que ses cadres de proximité, inspecteurs et personnels de direction, lui obéissent ?...
Christian Beullac a été ministre de l’Éducation nationale du gouvernement de Raymond Barre, du 5 avril 1978 au 22 mai 1981. Le 7 janvier 1980, il adresse une lettre aux recteurs, inspecteurs d’académie et chefs d’établissement qu’il intitule sa « lettre de commandement ». Elle est éclairante pour réfléchir au positionnement et au rôle de la hiérarchie intermédiaire que sont les inspecteurs et les personnels de direction.
L’intégralité de la lettre
« J’ai exprimé, à maintes reprises, mon souci de faire prévaloir, en toutes circonstances, l’autorité de l’État dont vous êtes, dans vos fonctions respectives, les dépositaires et les garants. Il m’apparaît donc nécessaire de faire aujourd’hui le point à la lumière des résultats enregistrés depuis bientôt deux ans.
L’autorité, dans toute fonction hiérarchique, dépend essentiellement de l’art de commander qui ne se réduit pas à la possibilité de donner des ordres, mais à la capacité de les faire exécuter. Cela vaut tout aussi bien :
– vis-à-vis de vous-même et de l’idée que vous vous faites de vos fonctions.
– vis-à-vis de l’administration que vous dirigez.
Mais l’autorité dépend aussi de la capacité à nouer des contacts avec les différentes instances représentatives concernées par les problèmes d’éducation, qu’il s’agisse des élus, des collectivités locales, des organisations professionnelles ou des partenaires sociaux (syndicats, parents d’élèves…).
Un cadre n’est pas un exécutant
I.1. Vous ne devez pas concevoir vos fonctions comme celle de simples exécutants d’ordres ministériels, car les modalités de mise en œuvre des moyens qui vous sont impartis relèvent souvent de votre seule initiative. Votre autonomie d’action est très importante. Aucune instruction ministérielle ne saurait vous dicter sur le terrain la marche à suivre en toutes circonstances. Vos responsabilités s’en trouvent accrues : vous devez y faire face en sachant opérer de vous-même et par vous-même les choix qui s’imposent compte tenu de la situation. Vous aurez toujours la possibilité de faire ou de ne pas faire, de dire ou de ne pas dire, de prendre des risques ou de les refuser. L’essentiel est évidemment d’atteindre les objectifs qui vous sont assignés dans le cadre de la politique que j’ai définie et qui vous est précisée tant au cours de nos réunions de travail que par des textes publiés. Je n’attends pas de vous que vous obéissiez, mais que vous réussissiez car l’esprit doit toujours l’emporter sur la lettre.
Je n’attends pas de vous que vous obéissiez, mais que vous réussissiez car l’esprit doit toujours l’emporter sur la lettre.
Un cadre doit mobiliser et fédérer
Pour cela, votre façon d’être vis-à-vis de vos collaborateurs, de vos partenaires et de toutes les personnes et institutions intéressées par l’éducation est un élément déterminant du succès ou de l’échec. Votre autorité morale prévaudra, en toute circonstance, sur votre autorité institutionnelle. La seconde ne se construit bien que sur la première qu’il importe donc de sauvegarder.
I.2. Vis-à-vis de votre administration, votre capacité d’écoute, d’accueil, de disponibilité permanente seront les plus sûrs moyens d’asseoir votre autorité. Il convient toujours d’écouter et d’expliquer pour tenter de convaincre et de rallier les esprits et les cœurs de celles et ceux dont vous devez commander et guider l’action. Avant d’être des gestionnaires de procédures et de textes, vous avez comme mission première de mobiliser les volontés et les énergies en vue de l’action au service d’une politique éducative. Si vous ne mobilisez par vos collaborateurs, si vous n’avez pas l’esprit d’équipe mais seulement l’esprit de hiérarchie, vous échouerez dans vos entreprises.
Si vous ne mobilisez par vos collaborateurs, si vous n’avez pas l’esprit d’équipe mais seulement l’esprit de hiérarchie, vous échouerez dans vos entreprises.
Un cadre est un responsable à l’écoute
Un tel esprit suppose que chacun, à son échelon, se sente pleinement responsable et donc très directement impliqué dans l’échec ou le succès de son action.
Il va de soi qu’on ne peut pas toujours réussir et vous savez que pour vous-même j’ai toujours admis le droit à l’erreur. Vous saurez en tenir compte dans l’appréciation que vous porterez sur les résultats obtenus, en n’oubliant jamais que la confiance, à condition qu’elle soit vigilante, est le meilleur des encouragements et donc le plus sûr garant de la réussite.
- De même que la concertation et le dialogue constituent, désormais, les moyens essentiels de l’autorité dans un système hiérarchique, de même ils commandent l’attitude permanente vis-à-vis des partenaires et du monde extérieur.
Il faut sortir du faux dilemme suivant : ou bien on dialogue et on est laxiste ; ou bien on défend l’autorité, pour cela on refuse le dialogue.
Bien au contraire, la meilleure défense d’une stratégie d’autorité, fondée sur le respect de quelques principes fondamentaux, prend appui sur le savoir-faire des médiateurs. L’accueil et l’écoute de l’interlocuteur ne signifient pas qu’on abandonne les positions de principe et les règles essentielles auxquelles chacun doit se soumettre.
Un cadre est garant du dialogue social
J’attire tout particulièrement votre attention à ce sujet sur les rapports que vos collaborateurs et vous-même devez entretenir avec les organisations syndicales. Dans toute la mesure du possible, il faut permettre aux représentants syndicaux – comme aux représentants des associations de parents d’élèves – de s’informer et de s’exprimer auprès de vous-même ou de votre administration. Cependant, la concertation à laquelle nous devons tous nous prêter avec une entière bonne foi ne saurait entraîner la moindre substitution d’un pouvoir intermédiaire à l’autorité administrative, gestionnaire du service public. Vous êtes responsables de l’application des réglementations en vigueur. Aucun mot d’ordre extérieur ne saura contrevenir à un tel principe.
C’est pourquoi il est d’autant plus important de se concerter sérieusement avec tous nos partenaires, pour éviter les malentendus et les erreurs d’interprétation. Le dialogue n’est jamais une preuve de faiblesse, mais il constitue au contraire pour tous et à tous les niveaux une source d’enrichissement.
Le dialogue n’est jamais une preuve de faiblesse, mais il constitue au contraire pour tous et à tous les niveaux d’une source d’enrichissement.
Il permet en effet de faire apparaître aux uns et aux autres, y compris à l’autorité administrative, la réalité et la complexité des situations locales auxquelles il est nécessaire d’adapter les instructions de portée générale. Le rôle du chef, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé, est avant tout de « gérer des conflits ». Il faut en prendre conscience et agir en conséquence. Pour cela il vous appartiendra de prendre toutes initiatives – dans le cadre de vos responsabilités – pour gérer au mieux ces innombrables « conflits » qui caractérisent la vie quotidienne de notre système éducatif.
Un cadre ne confond pas autorité et autoritarisme
L’autoritarisme, c’est l’autorité sans discernement et sans dialogue.
L’autoritarisme, c’est l’autorité sans discernement et sans dialogue.
L’autorité est une création continue où l’effort de notre volonté pour servir l’intérêt général, donc la politique définie par la loi et la règle, rejoint l’intelligence du cœur et de l’esprit. Il y faut tout à la fois de l’initiative de l’intention : un texte écrit peut bien définir des objectifs, il ne définira jamais des modalités d’action. La créativité n’est pas le monopole des enseignants, elle est aussi le devoir quotidien des administrateurs.
La créativité n’est pas le monopole des enseignants, elle est aussi le devoir quotidien des administrateurs.
Commentaires du Sgen-CFDT
Même si quelques expressions apparaissent désuètes aujourd’hui, la lettre de Christian Beullac éclaire ce que doit être le rôle et la fonction d’un cadre dans l’école d’aujourd’hui. Les hommes et les femmes qui ont des postes à responsabilités ne doivent pas seulement les exercer, mais les prendre.
Un inspecteur, une inspectrice, un personnel de direction, doivent être en capacité d’interpréter localement les orientations ministérielles en fonction des besoins identifiés des élèves et des établissements.
Un cadre est un concepteur, pas un exécutant. Il définit la politique de terrain à mener, en collaboration avec ses équipes, et il en rend compte.
L’objectif doit rester la réussite de l’élève, pas l’obéissance, ni l’attente d’une distinction ou d’une promotion.
La mission principale d’un cadre est de libérer les énergies, c’est à dire de permettre à ceux qui sont au plus près des élèves d’être le plus efficace possible. Il a pour rôle de lever les contraintes, d’accompagner les projets et de soutenir les initiatives.
Être responsable, c’est donner à chacun la possibilité de l’être.