Laïcité de, et à l'École. Le sujet a réuni le conseil fédéral* du Sgen-CFDT en octobre dernier – une semaine avant l’attentat d’Arras** –, lors d'une journée de réflexion autour d'invité·e·s qui ont livré leur expérience professionnelle et militante sur la question.
* Le conseil fédéral (CF), élu lors du congrès du Sgen-CFDT, est son organe directeur, chargé de conduire sa politique, en conformité avec le texte d’orientation adopté au congrès et dans le respect des statuts et du règlement intérieur. Laïcité de
** Attentat d’Arras : discours de Catherine Nave‑Bekhti au conseil national confédéral, le 17 octobre 2023.
est personnel de direction depuis 2001. Il a exercé durant douze ans dans l’académie de Créteil – dont neuf ans en Seine-Saint-Denis –, puis dans l’Yonne, et durant cinq ans à Beyrouth (Liban). Il est actuellement proviseur de la cité scolaire Carnot à Dijon.
« J’ai longtemps travaillé en Seine-Saint-Denis et connu une vague d’abayas à l’époque où cela ne faisait pas la Une des journaux parce que l’attention restait fixée sur le voile comme signe ostentatoire. Aussi, quand nous sommes intervenus en tant qu’équipe, nous l’avons fait tardivement.
Il y a d’abord eu de nombreux débats car certains enseignants préféraient avoir à endurer le port d’un vêtement posant question que risquer de perdre une élève qui se serait coupée de l’École de la République. Le retard pris à agir a entrainé la mobilisation de plus de temps et de personnels car on était passé de quelques élèves portant l’abaya à près d’une vingtaine. Cela s’est résolu grâce au dialogue.
je crois qu’une laïcité de coercition a une portée limitée en comparaison d’une laïcité de conviction.
Pour faire écho aux propos de Christelle Jouffroy, je crois qu’une laïcité de coercition a une portée limitée en comparaison d’une laïcité de conviction. Durant la phase de discussion avec les jeunes filles, nous avons reçu l’appui d’une bonne partie des mères qui, ayant choisi elles-mêmes de ne plus porter le voile, ne comprenaient pas le comportement de leur enfant. Cela a été riche, dense, mais cela a porté ses fruits.
À contrario, dans une cité scolaire de Sens, la fille d’un imam, chaque matin, faisait en sorte de gagner un mètre dans l’établissement avant d’accepter d’enlever son voile. La fermeté a abouti à sa déscolarisation – ce que l’on vit comme un profond échec en tant qu’éducateur.
Troisième exemple, celui du Grand Lycée franco-libanais de Beyrouth, un établissement de la mission laïque française, sans doute le seul au Liban où l’on parle français dans la cour et où aucun élève ne porte de signes ostentatoires. Il était de coutume d’interroger tous les élèves de terminale sur ce qu’ils pensaient qu’il fallait changer et sur ce qu’ils nous invitaient à garder. Sur ce point, la réponse quasi unanime – dans un pays où tout est organisé par confession – était la « laïcité à la française ».
, ancien élève du Grand Lycée, qui a été ministre de l’Éducation au Liban, se félicitait que dans ces établissements de l’enseignement français à l’étranger, on ignorait la confession de son voisin qui pouvait bien être chiite, sunnite ou maronite… dans tous les cas, c’était juste un camarade de classe.Quant au lycée Carnot de Dijon – lycée de centre-ville assez classique, avec de nombreuses classes préparatoires –, il connait depuis deux ans une très importante vague d’abayas. Les CPE font un travail remarquable de dialogue. Les élèves, en effet, ne sont pas prises à partie à l’entrée de l’établissement, mais sont invitées à venir discuter à la Vie scolaire. Le phénomène a été circonscrit par un travail de terrain et de discussion très conséquent.
sur le terrain, ce n’est jamais exactement comme dans la théorie.
Aujourd’hui, l’institution s’est saisie du sujet. L’inspection fait un travail remarquable de formation. L’élaboration d’un guide académique, l’existence d’inspecteurs missionnés sur la laïcité et les valeurs de la République sont absolument nécessaires pour donner une direction. Néanmoins, sur le terrain, ce n’est jamais exactement comme dans la théorie. L’abaya, qui est le grand sujet actuel, est en fait déjà contournée avec le port de vêtements longs qui, pour être ouverts sur le devant, n’en restent pas moins des signes ostensibles.
ma responsabilité de chef d’établissement […] est d’apprécier une situation, d’essayer de la caractériser et d’en tirer des conséquences.
En tant que chef d’établissement, j’ai le sentiment qu’agir et décider sur ces questions relève pleinement de mes missions. Cela fait partie de ces champs dans lesquels il n’y a pas de recette toute prête. Il y a certes un cadre, des directives, des accompagnements, des équipes mobilisables au rectorat, mais dans tous les cas, cela n’ôtera jamais, individuellement, ma responsabilité de chef d’établissement qui est d’apprécier une situation, d’essayer de la caractériser et d’en tirer des conséquences. L’objectif est de réussir à garder l’élève, parce que c’est son intérêt et c’est celui de la Nation et de la République. Mais il y a toujours une limite : quand la discussion est interprétée comme une marque de faiblesse par des personnes dogmatiques. »