Les disciplines artistiques sont, comme l'éducation physique et sportive mises à mal par la crise sanitaire du fait de protocoles sanitaires stricts. Pourtant, ces disciplines sont essentielles pour les jeunes, notamment pour la laïcité et encore plus pour les élèves les plus éloignés de l'école .
Si le travail en distanciel ne profite à aucune discipline, certaines en souffrent plus que d’autres, et comme l’éducation physique et sportive, les pratiques artistiques se révèlent particulièrement touchées. Plus généralement, c’est bien l’ensemble des savoirs touchant au rapport au corps qui sont fragilisés pour les élèves les plus éloignées des apprentissages.
Des conséquences au sein des familles
Indirectement, cette situation n’est pas sans conséquence au sein de certaines familles pour la découverte et l’appréhension des valeurs de la laïcité.
Parallèlement, alors que le politique entend faire de cette question un enjeu partisan, l’Observatoire qui lui est dédié est aujourd’hui remis en cause. Nombre d’intellectuels s’en inquiètent. Le Sgen-CFDT aussi, puisque avec eux, nous « refusons que la laïcité devienne un outil politique au service de quelques uns ».
Évoquer la laïcité à l’école, ce sera pour longtemps encore l’associer dans nos esprits à la mémoire de notre collègue Samuel Paty, triste victime de l’obscurantisme religieux.
On ne saurait se prêter à des raccourcis trop directs ; mais dans la période où s’est produit le drame, pour nombre d’élèves, les places dévolues à la découverte du monde par les sciences expérimentales ou l’Histoire, mais aussi celles de l’éveil des corps par les activités physiques et les pratiques artistiques – en particulier quand elles touchent aux arts vivants – se sont vues mécaniquement contraintes, ou ont pratiquement pu disparaître en raison de la crise sanitaire.
Un isolement sanitaire qui met à mal la relation à l’autre
Voilà un vrai danger pour les années futures.
Car en même temps que les rencontres du sensible, ce sont la rencontre de soi et la rencontre de l’autre que les temps de confinement ont effectivement mis à mal.
Ils sont pourtant les meilleurs gages de la culture d’autrui comme de sa propre culture, éléments si nécessaire à l’éducation à la tolérance.
Si nous n’y prenons garde, la conséquence de ce déficit pourrait bien dans les années à venir se traduire par plus d’obscurantisme encore, et plus de ces certitudes toutes faites qui sont autant d’ennemis d’un savoir acquis par la découverte, une découverte faite de recherches, de tâtonnements, de doutes et d’hésitations.
Car on ne répétera jamais assez, les pratiques artistiques à l’école en particulier ont une fonction spécifique dans l’enseignement.
Comme nombre d’autres activités, elles contribuent à la construction de compétences et de savoirs qui se retrouvent dans le socle commun et sont évaluées comme telles.
Mais elles ont aussi cette particularité que notre système éducatif permet peu de valoriser par ailleurs : les pratiques artistiques sont le lieu de l’expérimentation et de l’erreur possible. Par ce seul fait, elles remettent à plat les déterminismes sociaux ; elles sont une ouverture par excellence sur le monde, et sur autrui comme envers soi-même.
Quel lien entre les pratiques artistiques et la question de la laïcité ?
L’art n’a pas à être instrumentalisé pour telle ou telle cause. Il existe pour lui-même.
Mais alors que les tensions, voire les écarts entre les savoirs transmis par l’école et des transmissions ou pratiques au sein des familles peuvent se voir exacerbées, l’art est un recours précieux.
L’art permet de répondre autrement aux questions posées. Il n’impose pas d’absolu, n’entend livrer aucun dogme, aucune certitude.
S’il suscite la réflexion et éveille l’intérêt, il ne propose même pas de message, ou pas forcément en tout cas. Il n’est pas descendant, du maître vers l’élève, de l’adulte vers l’enfant, d’un sachant vers un apprenant : il est par nature une simple expérimentation sensible, égalitaire entre tous.
La laïcité comme expérimentation de la différence
Aussi, contre toute tentation d’un catéchisme laïque, la laïcité se doit d’être d’abord une expérimentation de la différence, comme une confrontation à l’autre impliquant le respect mutuel de l’identité de chacun.
En particulier après de longues périodes où tout ou partie de l’enseignement s’est opérée et s’opère encore hors de la présence physique de l’enseignant, imposer un « catéchisme laïque » serait inefficace pour lutter contre le repli identitaire ou communautaire et toutes les formes de fondamentalismes, sans parler des tentations de radicalisations.
Opérant en dehors du champ de la morale, sans leçon toute faite à donner, l’art me conduit vers l’autre. Comme nous l’écrivions ailleurs, « ce sont bien les fondamentalismes qui heurtent notre laïcité, et pas une religion particulière ».
En quoi l’art serait-il plus efficace pour lutter contre les fondamentalismes ?
L’art n’entend délivrer aucun message pré construit en soi.
C’est justement parce que l’art existe pour lui-même qu’il est si précieux. Il retire momentanément à l’enseignant son autorité de sachant, pour mieux laisser place à la magie de l’espace de création : une fragilité, un possible, une quête, une dimension relative, sensible et non intellectuelle, susceptible de toutes les remises en question, et à ce titre, justement, si précieuse et si incontournable à force d’être incertaine.
Ceci est d’autant plus vrai quand la rencontre de l’œuvre peut se faire en présence, sans médiatisation, vraiment. Mieux encore, quand c’est de la présence de l’artiste lui-même qu’il est question, ce qu’un écran d’ordinateur ne saurait remplacer. Par ailleurs outil formidable devenu indispensable dans nos apprentissages, l’ordinateur ne remplacera jamais la rencontre de chair de l’artiste. Car l’artiste ne note pas, n’évalue pas. Ce statut si particulier de l’artiste à l’école est le plus favorable dès lors pour libérer une parole, si nécessaire quand nous parlons laïcité.
La laïcité pour expliciter de potentiels désaccords
On le sait les appréhensions des collègues quand il est question de laïcité peuvent conduire à une forme d’auto-censure, faute de formation suffisante pour s’espérer convaincant quand il s’agit de répondre à des questions difficiles.
Et pourtant, si ce n’est pas à l’école que nous préviendrons les inquiétudes, ou cela se fera-t-il ? Certaines questions d’élèves peuvent, il est vrai, s’apparenter à des remises en cause, réelles ou supposées, et le risque de se retrouver pris au piège de la fragilité démocratique n’est pas à sous-estimer.
Piégé, comme peut l’être toute institution de liberté lorsqu’au nom de la démocratie, elle invite à la parole sans contrainte, mais voyant que le débat potentiellement lui échappe, entreprend de le refermer arbitrairement si l’échange dérape ou lui semble déraper dans un sens qui ne lui convient pas.
Piégée, l’institution l’est quand souhaitant se protéger, elle se renie elle-même si elle contraint par la censure une parole libre qu’elle prétend défendre. Pour sortir de ce point de blocage, il doit être possible de dire à l’élève : tu vois, nous ne sommes pas d’accord. J’espère pouvoir un jour te convaincre. Aujourd’hui, non, vraiment nous ne sommes pas d’accord. Mais ce n’est pas grave.
De l’utilité de l’artiste
Parce qu’il n’entend pas répondre, l’artiste est ici très utile. Parce qu’il rencontre, propose, expérimente, et invite à l’expérimentation, mais laisse ensuite tous les chemins ouverts.
Par sa fragilité même et son absence de certitudes, l’artiste bouscule utilement jusqu’aux savoirs les plus établis.
De l’enseignant peut-être. Ne redoutons pas ce risque. De l’élève enfermé dans ses jeunes certitudes, aussi. Et il agit dans la durée.
Alors cet espace de liberté se fera un recours plus précieux pour l’ouverture au monde que tous les communautarismes redoutent.