Aujourd'hui 9 mai, c'est la Journée de l'Europe. Cette semaine, et en marge de cette journée, le Sgen-CFDT publiera une série d'articles autour des systèmes européens. Premier de cette série, l'interview de Susan Flocken, directrice européenne du Comité syndical européen de l'éducation (CSEE).
Le Comité syndical européen de l’éducation (CSEE) ou European Trade Union Committee for Education (ETUCE)) est la fédération syndicale européenne des enseignants. Il est affilié à la confédération européenne des syndicats et à l’Internationale de l’éducation. Il a été fondé en .
Peux-tu nous dire ce qu’est le Comité syndical européen de l’éducation, et quelles sont ses missions ?
Le CSEE est une fédération européenne qui représente les enseignant·e·s en Europe.
Il représente 11 millions d’enseignant·e·s européens autour de 127 organisations membres, des syndicats enseignants de tous niveaux allant de la petite enfance à l’université. Son rôle est de représenter les intérêts des organisations membres en direction des institutions européennes, dans deux directions :
• Représenter et informer nos organisations membres sur le développement de l’éducation au niveau européen.
Pour cela, notre but est de promouvoir la démocratie, la qualité de l’enseignement et l’inclusion des élèves.
• Promouvoir et renforcer le dialogue social, la capacité des organisations membres à négocier des accords collectifs, soutenir les droits syndicaux et humains en Europe.
Il y a de grandes différences sur ce point, notamment du fait des approches différentes des gouvernements sur la gestion de la pandémie.
Le CSEE lutte contre la privatisation de l’éducation et sa commercialisation, promeut la qualité de l’enseignement basée sur une qualité de la profession, travaille pour que la profession soit attractive. Si le métier d’enseignant est intéressant, il doit sans aucun doute être mieux reconnu.
Quels liens avec l’Internationale de l’éducation ?
Le Comité syndical européen de l’éducation travaille sur la région européenne et en lien avec l’Internationale de l’éducation.
Les défis autour du métier d’enseignant·e sont communs à tous les enseignant·e·s dans le monde.
Le CSEE, lui, se focalise sur l’Europe. Il est à ce titre membre de la Confédération européenne des syndicats.
L’un des sujets centraux du Comité syndical européen de l’éducation est la promotion du dialogue social. Comment travaillez-vous ce sujet ?
Pour le dialogue social dans l’éducation, la plateforme est très importante. Le Comité est très récent puisqu’il existe depuis 11 ans seulement. Notre secteur est très actif et nous effectuons de nombreuses parutions conjointes avec la Fédération des employeurs de l’éducation (EFEE).
Parmi les sujets les plus récents que nous avons défendus conjointement : la numérisation dans l’éducation, la promotion de l’apprentissage tout au long de la vie.
Par exemple, le 8 mars, s’est réuni le groupe de travail de l’enseignement général qui a adopté des positions communes sur l’égalité femme/homme au sein des systèmes éducatifs.
Cela demande un travail important.
On a peu de réunions de groupe de travail. Il y a en a un sur l’enseignement général, un sur l’enseignement supérieur et une réunion plénière.
On a ainsi peu d’espaces de discussions mais on peut mettre en place des projets pour travailler certains sujets, comme par exemple pour la numérisation.
Le dialogue social devient difficile avec la sphère patronale…
Le CSEE a des représentants dans tous les pays notamment dans l’enseignement supérieur et la formation professionnelle. Mais l’EFEE n’a pas de représentant dans tous les pays. De petits employeurs sont entrés récemment, ce qui améliore quand même ce dialogue social. Mais ils ont souvent d’autres intérêts que ce que l’on peut défendre.
Nos organisations membres travaillent plutôt avec les gouvernements. On est encore dans le rôle de soutenir les employeurs dans certains pays qui n’ont pas de représentants.
Il est nécessaire de créer le besoin de dialogue social, de travailler sur des accords constructifs, pratiques qui peuvent être mis en place dans différents pays.
Le dialogue social aide les employeurs à se développer mais aussi à promouvoir un dialogue social de proximité.
Le niveau de ce dialogue diffère considérablement d’un pays à l’autre, il est ainsi ignoré complètement dans certains pays.
On soutient ainsi les syndicats enseignants en Slovénie car le gouvernement les ignore complètement avec des décisions prises unilatéralement, en oubliant la situation des personnels sur le terrain.
Le CSEE travaille à soutenir ce dialogue social au niveau national voire à le renforcer. Je dis bien soutenir mais en aucun cas « faire à la place de ». Le CSEE n’intervient pas au niveau national sauf si les organisations membres dans le pays demande du soutien.
Il faut pour cela avoir un regard critique et donner des perspectives de dialogue social pour les partenaires sociaux. La Commission européenne avec les partenaires sociaux européens et sectoriels a ainsi créé un Observatoire du dialogue social européen, même si cette instance est un peu artificielle.
Au niveau européen, on ne peut pas discuter des salaires car il y a des différences importantes entre les pays. C’est un sujet que l’on n’aborde pas.
On a ainsi pu arriver à convaincre le patronat, les employeurs sur l’importance d’investir dans l’éducation.
C’est quelque chose de nouveau qui a nécessité un fort investissement de notre part. Aujourd’hui, le patronat demande plus d’investissement dans l’éducation et soutient en cela le CSEE. Des différences existent cependant puisque le CSEE souhaite un investissement public alors que le patronat souhaite un investissement public et privé.
Quel travail commun menez-vous avec la Commission européenne autour du dialogue social ?
Le traité de Lisbonne a retenu le principe du dialogue social et c’est un principe aujourd’hui important pour l’Union Européenne. Tout le travail du Comité est axé sur cela. La Commission européenne soutient le dialogue social, finance l’organisation des réunions dans le cadre de ce dialogue social, soutient les projets communs avec le patronat. Elle a tout intérêt à cela car la discussion des partenaires sociaux peuvent ainsi promouvoir les objectifs de la Commission, ses priorités. Cela passe par une planification du travail pour deux ans.
Parmi les sujets prioritaires au niveau européen, il y a l’éducation à l’environnement, la numérisation, l’attractivité de la profession, la qualité de l’enseignement pour les différents secteurs.
Il faut avoir un certain équilibre pour travailler ces différents sujets et réagir aux priorité de l’Union Européenne.
A quoi êtes-vous arrivé concrètement ?
Dans le cadre du dialogue social sectoriel, on dispose de moments pour réfléchir et essayer d’arriver à de bons résultats. La Commission vient voir comment le Comité travaille les projets, les priorités. D’autres comités sont beaucoup moins productifs que celui de l’éducation.
On a ainsi sorti 4 documents communs l’année passée avec des prises de positions communes sur lesquelles on s’est mis d’accord.
Il y a évidemment différents niveaux dans le dialogue social, on en est au tout début. On a ainsi aujourd’hui des opinions, des documents communs mais pas encore d’accord de dialogue social réel. Si on y arrive, ce sera une grande réussite car c’est le plus haut niveau auquel on peut prétendre. L’accord des partenaires sectoriaux permettra d’aller vers une législation européenne.
On peut donc dire que les partenaires sociaux sont des co-législateurs.
Pouvez-vous citer plusieurs exemples d’accords survenus au niveau européen ?
• L’accord autour du télétravail au niveau européen qui date de 10 ans. Il est la base d’un accord qui peut être décliné nationalement entre les partenaires sociaux et les employeurs.
• L’accord sur la prévention du harcèlement et la violence au travail.
• L’accord sur la prévention du stress au travail.
• L’accord sur les lignes directrices multisectorielles sur les violences des tiers.
• L’accord sur le développement et le renforcement des services publics d’éducation.
Après ces accords, quel est le rôle du Comité syndical européen de l’éducation ?
Les partenaires sociaux se sont mis d’accord sur des positions communes. Ces accords doivent pouvoir être déployés dans les différents pays membres. On regarde donc comment ces accords sont mis en œuvre et on soutient les syndicats locaux dans leurs démarches avec les employeurs.
On n’a pas forcément besoin d’un document clé mais il faut surtout disposer d’outils. Les recherches sur un sujet sont importantes.
Il faut collecter les bonnes pratiques avant de pouvoir arriver à un accord au sein de l’Union européenne. C’est ensuite seulement que l’on va pouvoir développer dans les pays. On ne peut transférer en l’état car il faut tenir compte des spécificités de chaque fonctionnement éducatif national.
Ainsi sur l’environnement et l’éducation, on a lancé un projet et un sujet de dialogue social.
Au niveau des syndicats, on s’est ainsi rendu compte que le concept du climat était très présent dans la société mais peu investi au sein de l’éducation.
En gros, qu’est-ce que cela veut dire pour un enseignant ? Comment aborder cette question en tant qu’enseignant avec ses élèves ? Souvent, on prend cela comme un sujet acquis parce que c’est un sujet public. Les employeurs disent, il faut faire mais on oublie que les enseignants ont besoin de soutien. Il faut donc répondre inévitablement à la question : comment aborder ce sujet dans l’enseignement ? Dans les dialogues syndicats/patronat, on dialogue très peu sur les contenus.
Quel est pour vous le rôle d’un syndicat dans le secteur de l’éducation ?
Les syndicats ont un double rôle qui doit être absolument reconnu.
Agir sur les conditions de travail et les salaires tout d’abord mais aussi sur les contenus d’enseignement.
Par exemple, le numérique en fait partie et a un impact sur la pédagogie dispensée. C’est un élément important du dialogue social. Malheureusement, ce n’est pas souvent le cas. Les gouvernements travaillent souvent avec des groupes d’experts, des associations, des scientifiques mais pas avec les syndicats qui pourtant ont l’expérience du terrain.
Beaucoup de pays se posent la question de l’attractivité du métier. Comment le Comité syndical européen de l’éducation prend-il en compte cette question ?
L’attractivité du métier, c’est un vaste sujet qui entraine de grosses discussions actuellement avec le patronat. Le Comité syndical européen de l’éducation insiste que ce n’est pas seulement par le salaire que l’on peut rendre le métier plus attractif. Les études européennes le montrent y compris dans les pays où les salaires enseignants sont les plus hauts.
Il faut à mon sens plus parler de reconnaissance et de statut de l’enseignant au sein de la société. Il y a à ce niveau de grandes différences entre les niveaux d’enseignement.
Un enseignant du supérieur est mieux considéré que celui qui va travailler dans la petite enfance. Cela joue beaucoup sur la profession. On a des jeunes qui recherchent aujourd’hui un métier, certes pour le salaire mais aussi pour être reconnu socialement.
La profession a besoin d’être plus écoutée et que collégialement, les voix des enseignants soient entendues. Quand une décision est prise collectivement, que les enseignants sont concertés, alors il est plus facile de la mettre en œuvre et l’éducation s’en porte mieux.
En Suède, par exemple, les employeurs disent qu’ils vont avoir besoin de 80 000 enseignant·e·s avant 2025 pour compenser les départs en retraite. Avec un habitat très dispersé, les familles ont besoin d’écoles de proximité ce qui augmente évidemment les besoins en personnels.
L’attractivité du métier, la fidélisation des enseignants sont en tout état de cause des sujets clés et nous les poussons au niveau de la commission Européenne.
Et que dîtes-vous sur la formation ?
Quelques pays ont compris qu’il fallait avoir un niveau master pour devenir enseignant. C’est une préconisation du CSEE mais on a à ce niveau des différences importantes entre les pays. Ainsi pour certains, c’est juste une formation de deux années d’études supérieures.
La formation continue des enseignants est aussi essentielle. Ce n’est pas que dispenser une formation initiale et puis plus rien ensuite.
Le CSEE défend qu’un enseignant doit bénéficier d’une formation continue tout au long de sa carrière.
Donner cette formation est compliquée dans de nombreux pays car ce n’est pas forcément une priorité d’autant que cela nécessite une adaptation permanente aux sujets de société, à l’actualité. Ainsi, aujourd’hui, on a le sujet des réfugiés ukrainiens.
On est en droit de se poser la question sur ce qu’il se passe dans les pays au-delà de ceux se trouvant à la frontière avec l’Ukraine et si les enseignants sont formés à accueillir ces enfants. La crise actuelle à l’est de l’Europe est révélatrice en ce sens et le Comité syndical européen de l’éducation alerte les états sur la question régulièrement.
La phrase : l’éducation n’est pas un coût mais un investissement sur l’avenir prend là tout son sens. Il faut donc pouvoir investir dans la qualité de l’enseignement et dans la formation.
Dans beaucoup de rapports, il est fait une analyse bénéfice/coût ce qui n’est pas toujours adéquat avec les objectifs en matière d’éducation. Il est nécessaire de conscientiser les experts pour qu’ils ne parlent pas que de coût et qu’ils puissent intégrer un point de vue pédagogique. Souvent cela manque dans les rapports. C’est un sujet dont s’est récemment emparée la Présidence Française en voulant promouvoir la nécessité d’investir qualitativement dans l’éducation.
Le conseil de l’Union européenne des ministres de l’éducation, en ce sens, aura lieu les 4 et 5 avril et le CSEE avec ses organisations membres feront leur travail pour influencer dans ce sens.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
En fait souvent, les ministères de l’éducation prennent conscience de ces investissements mais il y a blocage avec les ministères des finances.
La présidence finlandaise de l’Union européenne avait pour la première fois réunis les ministres de l’éducation et les ministres des finances. Cette année la présidence française de l’UE renouvelle pour ce qui ne sera que la deuxième fois, la réunion des deux ministères de chaque pays UE, ce qui facilite la prise de décision et entraine depuis des déclarations communes qui devront être suivies d’effet dans les états.
Pensez-vous que le manque de reconnaissance du métier est lié au fait qu’il soit surtout exercé par des femmes ?
Oui, cela joue en effet sur la reconnaissance du métier. Cela en fait une profession qui est moins bien reconnue surtout dans la petite enfance. Les femmes sont souvent celles qui veillent sur les enfants plutôt que de vouloir construire une carrière. C’est aussi sans doute une raison pour laquelle les salaires sont plus bas.
On a un cercle vicieux : le fait pour les femmes d’assumer leur rôle de mère les empêchent de prendre des responsabilités dans leur métier d’enseignant d’où aussi des salaires plus faibles. Peu d’hommes trouvent qu’enseigner est un métier à part entière et on les voit plutôt aller vers des métiers mieux rémunérés.
On voit se développer l’arrivée de contractuels en France ce qui selon, le Sgen-CFDT précarise la profession. Est-ce un effet national et qu’en pensez-vous ? Comment y remédier ?
La précarisation du métier enseignant se développe en effet et cela joue évidemment sur les conditions de travail.
On a ainsi beaucoup d’enseignants qui ne savent pas s’ils seront toujours le lendemain dans la même école. Les enseignants en début de carrière mais aussi les enseignants recrutés sans formation sont placés dans des écoles difficiles, des classes difficiles, loin des centres d’où un bon moyen de les questionner sur leur volonté de continuer dans le métier.
Il y a aussi des conséquences importantes au sein des écoles où les conditions de travail de ces enseignants sont mises à mal : manque de soutien y compris de leurs collègues, pas de formation, bonifications différentes que les autres. Difficile pour eux donc de se projeter.
Pour ces collègues, tout cela augmente leur stress et beaucoup de collègues dans cette situation arrivent à bout psychologiquement.
Cela joue aussi sur la syndicalisation car il est clair que si un enseignant a un poste à court terme, il ne s’affilie pas à un syndicat.
Le rajeunissement de la profession est un facteur compliqué du fait de ces premières années d’enseignement. Le manque de soutien, les postes socialement plus difficiles, le manque d’accompagnement poussent de nombreux jeunes enseignants à se poser des questions. Si des étudiants poursuivent une filière les menant au métier d’enseignant, compte tenu de ces conditions, ils vont changer d’orientation professionnelle.
On a d’autre part un grand pourcentage qui démissionnent dans les deux premières années.
Il est clair que l’on a besoin d’une plus grande diversité des parcours dans le professorat. Cela passe donc par une réflexion sur comment fidéliser les jeunes dans le métier. Pour le Comité syndical européen de l’éducation, cela nécessite de les nommer sur des postes plus faciles en début de carrière et de mettre les enseignants expérimentés sur les postes les plus compliqués.