Le ministère des sports, de ministère de plein exercice qu’il était, devient un ministère délégué auprès du ministère de l’Éducation nationale. Faut-il s’en réjouir ? Le Sgen-CFDT analyse cette évolution de la composition du gouvernement.
Beaucoup d’acteurs du sport attendent monts et merveilles de ce nouveau périmètre issu du remaniement.L’ancien ministre Lamour qui mise sur ce rapprochement pour faire entrer le mouvement sportif associatif à l’école. Le président du CNOSF qui en attend un aménagement du temps scolaire « pour que les enfants aillent dans les clubs », et aussi qu’ils soient « mieux sensibilisés à la compétition » qu’actuellement. Et jusqu’à l’incontournable Patrick Bayeux qui parle de « casting de rêve ». En y ajoutant l’arrivée à Matignon du président de l’agence du sport.
Quelques esprits chagrins parlent cependant de déclassement, ou rappellent que cet attelage a déjà été expérimenté sans grand succès, et qu’à chaque fois que le ministère des sports a été placé dans la roue d’un plus gros ministère, il en est sorti laminé.
Une clarification radicale en lien avec le transfert des personnels Jeunesse et Sports à l’Éducation nationale
Pour le Sgen-CFDT cette décision est surtout logique dès lors qu’elle s’inscrit dans le prolongement de la restructuration dans le cadre de la réforme de l’OTE, et sans doute qu’elle anticipe sur des dispositions qui se dessinent dans le cadre de la préparation d’une loi Sports et société : elle a le mérite d’opérer une clarification radicale.
Un ministère des Sports délégué voit donc son action réorientée vers sa mission éducative auprès des jeunes, sous l’égide du ministère de l’Éducation nationale (MEN). Des dispositifs divers conduits en partenariat avec le MEN et le mouvement sportif vont ainsi pouvoir être pérennisés : le savoir nager, le savoir rouler, le dispositif 2S 2C, mais aussi des actions en vue de Paris 2024, soit. La simplification de l’architecture des formations certifications est aussi à l’horizon, soit.
Les risques d’une politique sportive scolaro-centrée
Mais au-delà ? Cette inclusion signifie la priorité donnée désormais à des politiques sportives scolaro-centrées : plus de sport à l’école a dit la ministre déléguée. A ce sujet il faut espérer qu’une articulation a été prévue, pensée avec les enseignants d’EPS… Nous n’en sommes pas convaincus.
Nous sommes confrontés au risque évident que les moyens n’étant orientés que vers la population d’âge scolaire, tous les autres publics, y compris les plus éloignés de la pratique des APS, soient laissés de côté. Les politiques sportives en direction du 3e et du 4e âge notamment, avec leurs enjeux en terme de qualité de vie, de santé, seront donc abandonnées à d’autres acteurs, associations, collectivités….
Pour nous il est regrettable que des enjeux aussi essentiels, de santé publique, de cohésion sociale qui justifient l’existence de politiques sportives nationales soient ainsi bradés.
Et l’éducation populaire, l’éducation non formelle, quelle place au sein de l’éducation nationale ?
L’impérieuse nécessité de soutenir les associations d’éducation populaire
On a bien compris que l’État avait délégué ces missions aux associations d’éducation populaire. Mais elles sont sorties exsangues de la crise sanitaire, et réclament une aide financière de l’État. Cette aide est impérative sous peine de contraindre ces associations à se tourner plus encore vers d’autres sources de financement, vers la chasse au mécénat, vers une offre exclusive d’activités rentables, au risque d’achever une mutation qui les éloignerait définitivement des valeurs de l’Éducation populaire. Ne serait-il pas temps pour l’État de saisir l’occasion, de prendre en compte les enjeux essentiels d’une politique de soutien à ces associations, qui devrait passer certes par des aides financières mais également par la redéfinition d’un projet politique ? Le ministère de l’éducation nationale est-il en capacité de porter cette ambition ? Rien n’est moins sûr.
Pour les politiques sportives comme pour les politiques de jeunesse et d’éducation populaire, le grand moment de vérité sera évidemment la présentation du budget. Certains pensent que l’adossement au grand ministère qu’est l’Éducation nationale serait une garantie de meilleures perspectives budgétaires. Pour nous, l’inquiétude est grande de voir ce budget plutôt réduit à la portion congrue, au profit notamment de celui alloué à l’Agence nationale du sport.
Et les personnels Jeunesse et Sports dans tout ça ?
Les signaux d’alerte se multiplient.
Nous sommes de plus en plus inquiets de constater que lors des groupes de travail consacrés aux transferts des services et personnels à l’EN, animés par la DGRH, les sujets relatifs aux personnels d’administration centrale et des établissements soient systématiquement ignorés, renvoyés à des dates ultérieures alors que la date du transfert de tous les personnels JS, y compris ceux des établissements, approche à grands pas.
Les établissements, au-delà de la gestion de leurs personnels, sont bien l’angle mort de ce transfert. Le fait qu’ils ne soient pas positionnés dans le paysage du transfert peut laisser craindre qu’un sort différent leur est (soit ?) réservé : bras armé de l’agence ? Transfert intégral aux régions dans le cadre d’un nouvel acte de décentralisation ? Transformés en GIP sur le modèle de Dinard ? En tout cas pour nous, leur modèle économique n’est pas viable en l’état, avec une tutelle à ce point affaiblie. Leur autonomie n’est qu’une fiction vu leur taille, tant ils dépendent de la subvention.
Plus que jamais devrait être étudiée notre proposition de constitution d’un grand établissement regroupant l’INSEP, les CREPS et les écoles nationales.
Les arbitrages évidemment décisifs concernant les CTS ne sont toujours pas rendus. En cas de sortie de ces personnels du périmètre des agents travaillant directement pour le compte du ministère en charge des sports, l’absorption par le ministère de l’EN apparaîtrait définitivement comme un plan social, tel que le Sgen-CFDT le qualifiait déjà il y a plusieurs mois.
Nous avons l’impression de plus en plus nette que l’option d’une gestion nationale des personnels JS (corps spécifiques et personnels de soutien) est abandonnée au profit d’une gestion décentralisée par les rectorats. Ce choix, qui simplifierait les choses pour l’EN, sonnerait évidemment le glas de l’espoir d’une préservation des spécificités de gestion des personnels JS, au regard des modalités de gestion de masse qui caractérise la gestion déconcentrée des personnels de l’éducation nationale.
Cela génèrerait par exemple de grandes incertitudes quant aux garanties de maintien de la rémunération des personnels JS non concernés par le protocole OTE, au vu des conditions de rémunération dans la plupart des académies.
Concernant les conditions du dialogue social autour de cette restructuration, nous n’avons toujours pas d’informations : y aura-t-il un CHSCT ministériel JS au-delà du 1er janvier 2021 ? Au sein de quelles instances locales les représentants des personnels JS pourront-ils se faire entendre ? Si c’est en tant qu’experts au sein des CT académiques, il est à craindre que les problématiques JS soient noyées au sein de problématiques concernant les enseignants du 1er et du second degré.
A tout cela s’ajoutent des perspectives de déclassement et d’alourdissement de la charge de travail sous l’effet d’injonctions multiples, explique sans doute le phénomène auquel nous assistons, avec de nombreux personnels des corps d’inspection, des corps techniques et pédagogiques, mais aussi administratifs qui préparent une mobilité vers d’autres ministères, d’autres fonctions publiques… Il semblerait que l’Éducation nationale ne soit pas aussi attractive qu’annoncé pour ses personnels. J&S risque d’être asséchée par cette fuite de compétences.
Madame Kerenflec’h a rappelé lors de la discussion informelle du 10 juillet ce que nous disions depuis des mois : le transfert à l’EN, qui voit de surcroît la compétence des préfets confortée, ne va pas résoudre les difficultés que connaissent les services et personnels JS. Force est de constater au vu de la situation que de plus en plus de personnels craignent en fait que ce transfert les aggrave.