Portrait d’une machine et d’une journée de travail. Par Vincent Albaud, en poste au rectorat de Créteil. Article initialement publié dans "Quoi de Neuf", la revue trimestrielle des adhérent·es Sgen-CFDT d'île de France - n°37 - Automne 2016.
Mystère
Une machine froide et sans âme, loin du terrain, des cours d’école, qui broie celles et ceux qui s’en approchent de trop près, tel un trou noir absorbant les étoiles. Un mystère pour les personnels de l’académie de Créteil ? Comme tout mystère, entouré de fantasmes et d’a priori. Mais que peuvent bien faire les quelque 600 personnes qui travaillent au rectorat ? Est-ce bien nécessaire qu’ils soient si nombreux ?
Que se passe-t-il au rectorat ?
Si à 5h Paris s’éveille, à 6h le rectorat reprend vie. Pas 18h mais bien 6h du matin, n’en déplaise aux persifleurs. En tout cas, si le monde appartient à celles et ceux qui se lèvent tôt, alors il appartient aux agent·es en charge du ménage, premiers soldats courageux, armé·es de leur chariot qui, émergeant du sous-sol, se dispersent telles des abeilles dans la ruche pour faire disparaître microbes et paperasses.
Ils sont suivis de près par les personnels des services techniques, ceux du service de la sécurité et ceux de la reprographie. J’oubliais les premiers effluves de café émanant du percolateur de la cafétéria. On craque sur un croissant aujourd’hui ?
Si à 5h Paris s’éveille, à 6h le rectorat reprend vie
Il est 8 heures, l’accueil est en place, le standard commence à répondre, il est temps pour les vigiles d’ouvrir les grilles, la grande majorité des personnels administratifs peut débarquer. Certain·es s’arrêtent sur le perron pour griller une petite cibiche avant de grimper dans les étages, un gobelet de café en main.
D’autres s’engouffrent dans les ascenseurs. Pas de temps à perdre, ce matin se tient ici un comité technique académique (CTA) présidé par la rectrice, là un appel de conseil de discipline d’élève préparé par la Division des Établissements, ou un groupe de travail sur l’avancement des infirmières mené par la Division de l’Administration et des Personnels. Au bâtiment B, surnommé l’annexe en interne, l’inspectrice d’anglais reçoit en entretien de futurs enseignants contractuels, les nouvelles secrétaires de direction d’établissement suivent un des modules de leur formation d’adaptation au métier. A la DAFPEN, les collègues travaillent sur l’organisation des formations destinées aux enseignant·es et d’autres sur leurs conceptions.
Aujourd’hui, c’est mercredi, jour de libre visite dans la plupart des services…
Tiens, des personnes se baladent à la Division de l’Enseignement et des Établissements Privés – et puis il y a bien du monde au service chômage. Oui, aujourd’hui, c’est mercredi, jour de libre visite dans la plupart des services.
Retour au bâtiment A : cacophonie et attroupement devant les grilles. Une manifestation d’enseignant·es pour réclamer plus de moyens pour les collèges du 93. Cela s’appelle l’effet CTA ! Quelques policiers se tiennent discrètement en retrait, prêts à agir en cas de débordement. Dans les bureaux, on essaie de faire abstraction du tintamarre des casseroles frappées en rythme et autres sifflets.
Déjà midi et demi, on mange où ? Repas dans le bureau, à la cafétéria, au resto inter entreprise ou une course en urgence au centre commercial ?
Au rectorat, demain est à la fois un autre jour et un éternel recommencement.
File d’attente pour la division des personnels enseignants. C’est l’heure de pointe. La tension monte. Les visites, c’est toujours pour des problèmes. « Ah, vous avez rendez-vous avec un conseiller mobilité carrière ? Vous êtes au 4ème, la DAMESOP, c’est au 8ème en face des ascenseurs. »
On respire, on essaie de lire les 50 mails arrivés depuis ce matin, on prend enfin un appel après avoir contrôlé les audits de paye, calculé des acomptes, dénoué un dossier bien compliqué, vérifié une demande de remboursement de transport et pesté contre l’application particulièrement lente aujourd’hui…
Il est 16h30, fin de l’accueil du public, les premiers gestionnaires quittent les lieux, souvent pour aller chercher les enfants à l’école ou attraper un train en direction des confins de l’académie. 18h, les portes se referment. 19h, le vigile entame sa ronde dans tout le bâtiment pour noter les personnes encore présentes dans les locaux, éteindre les lumières brûlant inutilement et fermer les fenêtres laissées ouvertes par mégarde. 20h, quelques lumignons éclairent encore la façade, plutôt au neuvième et dernier étage encore que là, au 3ème, il faut encore vérifier les derniers barèmes de mutation pour la commission de jeudi. Bref, au rectorat, demain est à la fois un autre jour et un éternel recommencement.