L'association française des acteurs de l'éducation a publié un rapport fort intéressant, à la fois analytique et de dimension prospective. Note de lecture Sgen-CFDT.
Renforcement de l’universitarisation de la formation des enseignants et des personnels de l’éducation
L’AFAÉ, l’Association française des acteurs de l’éducation, a publié en juin dernier dans sa revue « Administration & Éducation », un numéro spécial sur les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ). Coordonné par Monique Ronzeau, IGAENR, Marc Demeuse, Professeur à l’Université de Mons (Belgique), Institut d’administration scolaire, et Françoise Martin-Van Der Haegen, rédactrice en chef de la revue, le numéro s’attache à la fois à dresser un bilan des ÉSPÉ sur les quatre dernières années et à lancer quelques réflexions sur les évolutions nécessaires.
Précisons d’emblée que les conclusions de ce rapport rejoignent pour partie les revendications portées par le Sgen-CFDT, notamment sur le point essentiel du renforcement de l’universitarisation de la formation des enseignants et des personnels de l’éducation en France. Ce renforcement s’opère dans un contexte difficile.
« Le premier bilan des ÉSPÉ est très probablement leur existence même » (Yves Durand, ancien député du Nord, président du comité de suivi de la loi de refondation de l’école de la République).
Les contributions à ce numéro sont nombreuses et révèlent l’ampleur de la réforme engagée sur des périmètres importants depuis la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013.
Dans un contexte original de nouvelles écoles créées au sein des universités, la mise en place de ce nouveau modèle de formation s’est effectuée dans des conditions d’urgence qui ont, dans un premier temps, privilégié les questions de gouvernance. Alors que les cadrages et arbitrages nationaux n’étaient pas encore stabilisés, la réforme n’a pu être enclenchée que par la très forte mobilisation de l’ensemble des équipes, qu’il s’agisse de celles des ex-IUFM, des universités de rattachement et partenaires, ou des rectorats.
Ce dossier, présenté et ressenti par tous comme un enjeu majeur de politique éducative à l’échelon régional semble être abouti. Dans une dynamique positive, le positionnement universitaire des ÉSPÉ s’est progressivement affirmé, et ce, malgré des difficultés de gestion persistantes. Une gouvernance stabilisée, la reconnaissance de chaque ÉSPÉ comme une composante universitaire à part entière par tous ses partenaires, une recherche qui tend à se structurer, sont autant d’indicateurs de cette universitarisation en cours.
Néanmoins, plusieurs problématiques restent à régler pour atteindre pleinement les objectifs de la réforme. À côté d’insuffisances qui perdurent et qui appellent des correctifs rapides, comme par exemple les difficultés inhérentes aux procédures d’inscription des étudiants qui bien souvent cristallisent les désaccords, le positionnement universitaire des ÉSPÉ doit être rapidement consolidé à l’aide de leviers parfaitement identifiés comme le budget de projet, la recherche et les ressources humaines.
Le budget de projet
Son élaboration doit dépasser la simple juxtaposition des contributions de chacun des partenaires. La réforme de la formation des enseignants repose sur un nouvel équilibre économique à trouver entre tous, académiques ou universitaires, ce qui suppose qu’un consensus soit préalablement recueilli et partagé sur les modalités d’élaboration d’un tel budget ainsi que sur les indicateurs qui permettraient de définir les modalités de financement par tous les contributeurs. Outil de pilotage stratégique et fédérateur, le budget de projet devrait s’articuler avec le contenu de conventions de partenariat entre les académies, les ÉSPÉ et leurs partenaires qui, trop souvent, tardent à être conclues.
Place donnée à la recherche et transfert des résultats de la recherche vers la formation
L’apport de la recherche à la formation des étudiants de master MEEF est l’un des éléments majeurs de la réussite de la réforme.
Une structuration de la recherche est amorcée dans la plupart des ÉSPÉ et des initiatives se développent pour soutenir une recherche interdisciplinaire mais cette ambition s’accompagne encore trop rarement de moyens dédiés et d’objectifs opérationnels, en lien en particulier avec la politique scientifique de l’université intégratrice. La coordination des activités de recherche spécifiques au domaine de l’éducation doit être encouragée en vue de définir des axes de recherche prioritaires et d’orienter d’éventuels financements locaux ou nationaux.
L’apport de la recherche à la formation des étudiants de master MEEF est l’un des éléments majeurs de la réussite de la réforme. Alors qu’il devrait constituer pour l’ensemble des acteurs l’un des chantiers prioritaires, il est partout trop peu visible. Les Instituts Carnot de l’éducation (ICE) en Auvergne-Rhône-Alpes se présentent comme des structures de proximité, d’échanges, de dialogue et d’élaboration de projets partagés entre enseignants et chercheurs sur l’éducation.
Ressources humaines
Elles doivent faire l’objet d’une politique ambitieuse en cohérence avec les objectifs de formation et de recherche. La complexité et l’urgence dans lesquelles s’est installée la rénovation de la formation ont conduit les équipes à s’appuyer sur les viviers de formateurs existants, dans les ÉSPÉ comme dans le premier ou le second degré. Une évolution des profils et des pratiques de ces formateurs est nécessaire : cette politique pourrait intégrer le recrutement d’enseignants-chercheurs sur des profils permettant le développement de la recherche en et sur l’éducation en lien avec les besoins de formation ; ou encore la présence accrue de formateurs de terrain à temps partagé, dans un contexte que l’on sait contraint.
Plus généralement, les outils indispensables au pilotage et à l’anticipation des évolutions restent insuffisants.
« Enseigner est un métier qui s’apprend et il s’apprend à l’université dans des formations universitaires » (Jacques Ginestié, Directeur de l’ÉSPÉ d’Aix-Marseille, Président du Réseau national des ÉSPÉ)
Former à l’université les professionnels de l’enseignement, de l’éducation et de la formation est une démarche de projet ambitieuse. L’enjeu actuel de la formation des enseignants pourrait être résumé à celui de former des spécialistes de l’apprentissage dans une société apprenante.
Autre élément de la formation renouvelée, l’alternance intégrative, en seconde année de master, entre la formation dispensée en ÉSPÉ et le stage en responsabilité suppose que tous les acteurs universitaires et académiques échangent régulièrement sur les objectifs et les modalités de la formation. Beaucoup de questions demeurent autour de l’évaluation des stagiaires en vue de leur titularisation et il conviendrait sans doute de préciser à nouveau le rôle de chacun.
La professionnalisation de la formation, qui reste un processus à consolider, se heurte aussi au défi d’accueillir et de professionnaliser un public très hétérogène, en particulier dans le second degré où nombreux sont les stagiaires déjà titulaires d’un master ou qui en sont dispensés. Cette diversité contraint les ÉSPÉ à assumer des parcours adaptés construits à partir d’enseignements existants ou à construire et à assurer une reconnaissance universitaire. Le tronc commun de formation et le mémoire de master sont les deux autres composantes de cette professionnalisation.
La formation des enseignants devra enfin se construire dans un continuum plus large que celui du cadre du master MEEF, incluant une pré-professionnalisation en licence, une formation continuée et une formation continue dont les ÉSPÉ sont appelées à être des acteurs à part entière, comme le prévoit la loi de refondation de l’École. Là encore, il s’agit de s’appuyer sur la recherche universitaire et ses résultats pour que tous puissent bénéficier des dernières innovations pédagogiques.
« Faut-il conserver des concours de recrutement ? » (Pierre Desbiolles, Inspecteur général de l’Éducation nationale)
Cette démarche de professionnalisation n’a de sens que si elle s’applique également aux concours de recrutement des enseignants. Il est essentiel de tirer rapidement les conclusions du constat qui a été fait sur leur professionnalisation.
Le débat sur la place des concours est récurrent depuis la mastérisation de la formation. Mais, finalement, quelles que soient la place et la nature des épreuves, masters MEEF et concours de recrutement sont-ils encore compatibles ? Inscrire la formation des enseignants et des CPE dans un cadre universitaire ne conduit pas pour autant les étudiants diplômés d’un master MEEF à l’exercice d’un métier qui reste subordonné à la réussite d’un concours d’entrée dans la fonction publique. Sous couvert de préoccupations différentes, éducation nationale et enseignement supérieur se disputent encore une légitimité pourtant maintenant partagée mais qui met sous tension le parcours des étudiants.
« L’évolution la plus naturelle ne serait-elle pas de renoncer aux concours ? » (Alain Boissinot, ancien recteur et ancien directeur de l’enseignement scolaire).
« Si tous les contributeurs de la revue reconnaissent qu’une dynamique d’universitarisation est bien enclenchée et en voie de consolidation, ils n’en soulignent pas moins le caractère inachevé de la réforme, et pointent notamment un manque d’évaluation des effets attendus, une interrogation de plus en plus forte sur la place du concours et sur l’organisation des deux années de master, entre, dune part, bachotage du concours en M1 et, d’autre part, gestion de l’alternance et du mémoire de recherche en M2. » (Monique Ronzeau et Marc Demeuse)
Enseigner est un métier qui s’apprend
La création des ÉSPÉ a entériné la revendication du SGEN-CFDT qu’enseigner est un métier qui s’apprend à l’université et tout particulièrement au sein du master MEEF dédié aux métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation. Le rétablissement d’une formation maintenant basée sur le principe d’une alternance intégrative reste néanmoins à conforter sur plusieurs points : garantir la gouvernance des ÉSPÉ, mobiliser les enseignants-chercheurs sur les enjeux de l’adossement à la recherche de la formation, poursuivre le rapprochement des cultures et des intérêts des deux terrains de formation que sont l’université et l’établissement scolaire et s’assurer d’une mise en responsabilité progressive des stagiaires.
Quatre principes
L’architecture et le cahier des charges de la formation et du recrutement des enseignants et des personnels d’éducation doivent être repensés autour de quatre principes :
- un continuum de formation de la licence aux premières années de titularisation ;
- une mise en responsabilité progressive ;
- une formation en alternance rémunérée ;
- une formation et un recrutement pensés et organisés conjointement avec les universités et les services académiques.
Les concours de recrutement placés aujourd’hui en fin de M1 sont une anomalie dans le système universitaire français. Le débat est récurrent depuis la mastérisation de la formation et le Sgen-CFDT a fait le choix de demander un repositionnement des concours en fin de M2 pour garantir la cohérence du dispositif de formation, en particulier au sein des masters MEEF. La place du concours à la fin du M1 a nécessairement des conséquences sur l’organisation d’une formation qui doit tenir compte de différentes injonctions difficiles à mener de front : préparer et faire réussir les étudiants à des concours de recrutement souvent éloignés de la réalité du métier, former sur un an des stagiaires à mi-temps très préoccupés par le stage en responsabilité sans connaissance aucune du terrain pour un certain nombre d’entre eux, faire valider un master où la place de la recherche en éducation n’est pas encore suffisamment affirmée, prendre en compte des compétences professionnelles antérieures pour les reconversions de carrière, travailler à des problématiques communes aux métiers de l’enseignement et de l’éducation telles que l’égalité homme – femme, l’école inclusive, le numérique, la prévention du décrochage scolaire, l’articulation primaire – secondaire…
Dans le format actuel, il est évident qu’un tel cahier des charges n’est pas tenable pour les formateurs, principaux garants de la réussite de la réforme de la formation des enseignants.