Les 2 et 3 avril 2019, un colloque consacré à la prévention des RPS dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche a eu lieu à VetagroSup à Lempdes. Retour sur cet événement.
Un mal être au travail trop fréquent
Plus de la moitié des agents (52%) de l’Enseignement Supérieur Agronomique et Vétérinaire estiment que leurs conditions de travail ont une incidence négative sur leur bien-être (fatigue, anxiété, irritabilité) (cf. : baromètre social 2016 ).
Une prévention des RPS qui progresse lentement
Régulièrement interpellé par la CFDT sur ce sujet, le Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation a récemment demandé à l’Inspection générale d’expertiser le plan de prévention des risques psychosociaux dans tous les établissements. Pas à pas, la cause du bien-être au travail avance.
Les 2 et 3 avril 2019, sous l’égide du CHSCTM (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail Ministériel), un colloque a regroupé plus de 40 personnes pour notamment présenter, durant la journée du 3 avril 2019, des travaux et des analyses portant sur la prévention des RPS dans l’enseignement supérieur et la recherche agronomique et vétérinaire. La CFDT était présente.
Intérêt des groupes de paroles comme outil de prévention
Plusieurs intervenants ont souligné que la prévention et le traitement de la question de la souffrance au travail des agents pouvaient passer par l’organisation au sein d’une structure, de « groupes de parole ». Des expériences conduites au sein de notre Ministère (et des instituts rattachés) montrent que la mobilisation de cet outil s’avère efficace.
Irène COTTIN, psychologue du travail, a présenté une étude de cas portant sur la création d’un laboratoire confiné, présentant potentiellement pour les agents qui y interviennent des risques pour leur santé. Durant son exposé, elle a insisté sur le fait que, pour tout projet de transformation de ce type, l’intégration de la question de la santé et sécurité au travail doit se faire le plus tôt possible en associant à la construction du projet tous les acteurs concernés. C’est en pratiquant le dialogue, l’échange et la concertation avec les agents que des propositions constructives ont le plus de chance d’émerger et ce, au bénéfice de tous. Il faut organiser la « libération » de la parole des agents, ici par l’animation de « groupes de paroles », et les associer le plus en amont possible aux projets de transformation qui les concernent. La CFDT porte cette revendication depuis des années.
Pour le philosophe Georges CANGUILHEM, « la santé est indissociable du pouvoir d’agir ». Il faut donc qu’elle soit un sujet central de préoccupation. Elle ne peut être considérée comme étant un accessoire périphérique, imposé par un cadre réglementaire dont il faut, à un moment donné, se préoccuper par « obligation ».
Une autre pratique de management a été présentée, celle développée par un responsable d’une unité de recherche vétérinaire (20 personnes) qui, dans le même état d’esprit, implique le personnel pour améliorer la santé, la sécurité mais aussi le bien-être animal dans une unité d’expérimentation animale. Les agents participent sur leur temps de travail à des « groupes de discussion et de dialogue ». L’objectif est de faire évoluer l’organisation du travail dans cette unité en rendant les processus en œuvre plus efficaces, plus sûrs, tout en améliorant la santé animale et les conditions de travail. Ainsi, la luminosité des salles, la sélection des équipements de protection individuels (EPI), l’intensité des nuisances sonores sont l’objet d’une discussion récurrente. La médecine du travail est présente deux à trois jours par semaine. Tout ceci a un coût. Les réunions et les formations représentent 5 à 10% du temps global, mais cet investissement important participe pleinement, selon ce responsable, aux bons résultats et à la performance de l’ensemble du laboratoire, à renforcer sa notoriété (label) et la fiabilité des résultats scientifiques produits.
Enfin, dans un lycée agricole, suite à des tensions répétées, un espace de dialogue (EDD) a été mis en place avec un groupe restreint de 6 personnes composé pour moitié par des agents de la vie scolaire, pour moitié par des enseignants. Il s’agissait d’améliorer la communication et la cohérence entre ces deux types d’acteurs ayant en charge l’encadrement des élèves. Initialement, l’animation de ce groupe était réalisée par un intervenant extérieur. Depuis, le directeur adjoint assume ce rôle, et l’efficacité des services et l’ambiance se sont nettement améliorées. La CFDT milite pour que ce type de dispositif soit diffusé et expérimenté au sein de l’Enseignement Agricole. Pour l’Enseignement Supérieur et dans le cadre des fusions à venir, la mobilisation des EDD semble indispensable si l’on souhaite prévenir le plus en amont possible les conflits et les RPS.
Créer et utiliser des grilles d’auto-évaluation
L’INRA (Institut National de Recherche Agronomique) a développé un outil pour que les unités de recherche auto-évaluent les risques psychosociaux (RPS) auxquelles elles sont confrontées. Cet outil peut être mobilisé au sein d’une unité de recherche sur la base du volontariat avec l’aval de la direction. L’objectif est de faire travailler de petits « groupes de parole » regroupant des volontaires de chaque métier. Un conseiller de prévention accompagne l’unité dans sa démarche et met à disposition des agents des grilles d’auto-évaluation passant en revue 6 thématiques. Chaque thème est évalué grâce à une grille d’évaluation.
1/ Existence d’une politique de prévention des risques ;
2/ Exigences et charge de travail ;
3/ Rapports sociaux ;
4/ Conflits de valeurs ;
5/ Communication ;
6/ Autonomie et marges de manœuvre.
Un plan d’action est mis en place dans les six mois, si des problèmes apparaissent. S’ils sont collectifs et importants, la structure les prend en charge rapidement.
Parler ne suffit pas, il faut proposer pour agir !
Pour Fabien COUTAREL, enseignant-chercheur à l’université de Clermont-Ferrand, la dénonciation des risques n’est pas pertinente si l’action se borne à ce niveau. Il faut aussi être force de propositions et indiquer quels types d’améliorations sont susceptibles d’être mis en œuvre pour améliorer l’organisation du travail. C’est à cette condition que peut se créer une dynamique positive éloignant les risques de souffrance au travail. La parole seule ne suffit pas, et « rien n’est pire qu’une parole inutile et non écoutée, cela renforce la défiance », selon Yves CLOT, professeur émérite de psychologie. Les groupes de parole sont efficaces uniquement si la direction est impliquée et si on y discute des pratiques réelles de travail. Enfin, il est statistiquement prouvé (cf. travaux de la DARES) que la santé au travail progresse quand les salariés ont un poids sur les prises de décision concernant leur travail (geste, qualité du travail et du produit, etc.)
Pour prévenir les RPS et améliorer la qualité de vie au travail des agents, le management et les pratiques de management sont directement à interroger. On constate que parfois des responsables, notamment ceux de l’Enseignement Supérieur et la Recherche, souvent sélectionnés sur des critères de recherche, sont des agents qui n’ont pas été formés (ou suffisamment formés) au management. Ceci peut poser problème. L’expérience montre que le temps nécessaire pour discuter, négocier, réfléchir à l’organisation du travail en tenant compte des particularités de chaque agent présent et des cultures différentes est souvent sous-estimé. En cas de conflits ouverts, la régulation du dialogue qui est opérée ne permet pas toujours de les résoudre. Une des tâches d’un directeur ou d’un chef de service / d’unité est aussi d’organiser de manière constructive « la dispute au travail », de faire vivre le débat. Ce n’est pas aux équipes de s’auto-organiser pour faire face à un conflit interne. Une culture du dialogue, de la sécurité demande du temps et de la constance pour s’épanouir. Elle demande aussi de la transversalité, de la lucidité, du courage et de la bienveillance. L’administration semble reconnaître les faits, il faut maintenant agir et expérimenter, il reste encore beaucoup à faire.