À l'occasion de la Journée mondiale contre l'homophobie et la transphobie (le 17 mai), le Quai d'Orsay a organisé un débat sur le thème « Comment promouvoir l'égalité des droits », l’occasion pour le ministre d’affirmer l’engagement de la France en la matière.
Pendant près de trois heures, journalistes, responsables associatifs et dignitaires du Quai ont évoqué la situation en France, en Europe et dans le monde, ainsi que les espoirs et les innombrables combats encore à mener.
À un an des élections présidentielles, la France entend donc peser dans les débats internationaux, ainsi que l’a rappelé Jean-Marc Ayrault dans un message vidéo : les droits des LGBTI sont une priorité diplomatique et, à l’instar d’autres pays, l’Hexagone continuera de porter la voix d’une dépénalisation universelle de l’homosexualité auprès des instances de l’Onu. Un exercice difficile, l’on s’en doute, surtout en temps de realpolitik et d’ambitions commerciales internationales. En outre, certains dans l’assemblée n’ont pas manqué de rappeler que la France elle-même avait encore une importante marge de progression, notamment en matière de PMA, de droits des trans et des intersexes, et de politique inclusive à l’école.
UN BILAN 2015 EN DEMI-TEINTE
Concernant l’Europe, Sophie Aujean, responsable du département européen de l’International Lesbian and Gay Association (Ilga), a cité quelques exemples tirés du rapport annuel de son association de progrès réalisés au cours de 2015.
Malte
Ainsi Malte a-t-elle adopté une législation relative aux personnes trans très ambitieuse – y compris sur le plan éducatif, puisque les besoins des enfants trans et intersexes seront pris en compte dans le modèle éducatif.
Irlande – Chypre et Grèce
Progrès également en Irlande où l’égalité de mariage a été votée, de même qu’une reconnaissance juridique du genre. Chypre et Grèce ont mis en place un équivalent du Pacs, la Grèce s’étant en plus dotée d’une loi sur le crime de haine qui couvre les personnes trans et intersexes.
Portugal
Enfin, l’adoption conjointe a été votée au Portugal. Pour autant, l’année 2015 a été également marquée par d’importantes déceptions en Europe : non seulement certains pays (Arménie, Croatie, Slovaquie) ont inscrit dans leur constitution la nécessaire différence des sexes pour le mariage, mais quelques réflexes législatifs répressifs à l’égard des ONG, sur le modèle russe, ont également fait leur apparition, notamment en Hongrie et en Pologne, des pays qui, il est vrai, se signalent actuellement par des problèmes globaux de libertés individuelles et médiatiques…
Au plan international
Au plan international, la situation n’a quant à elle guère évolué en un an, mais une petite victoire tout de même : le Mozambique a dépénalisé l’homosexualité en juin 2015. La peine de mort, elle, continue d’être inscrite dans les lois de treize pays – même si « seuls » quatre d’entre eux l’appliquent effectivement (Arabie saoudite, Iran, Soudan, Yémen).
L’IMPLICITE LGBTI-PHOBE DE CERTAINES SOCIÉTÉS CIVILES
Tenir compte des crimes non étatiques
Arnaud Gauthier-Fawas, porte-parole de l’Inter-LGBT, et Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France, n’ont pas manqué de rappeler avec d’autres que les textes législatifs en vigueur dans les pays ne constituaient pas à eux seuls un reflet réaliste des situations, ne serait-ce que parce qu’il faut tenir compte des crimes non étatiques même si quasiment institutionnalisés. Il y a les assassinats perpétrés par Daesh dans les zones sous leur contrôle et notamment les sordides vidéos de gays jetés du haut des immeubles circulent ; il y a les tribunaux ethniques de Somalie et du Nigeria qui, en dépit de la législation officielle de leurs pays, appliquent, eux, toujours la peine de mort.
La légalité ne suffit pas toujours
Par ailleurs, la légalité ne suffit malheureusement pas toujours. Ainsi le Brésil est-il tout à la fois l’un des pays les plus avancés en matière de droit des trans, et celui des pays où le nombre de « transféminicides » est le plus important. L’Afrique du Sud a été le premier pays africain à légaliser le mariage homosexuel, mais le nombre de viols dits « correctifs » de lesbiennes y est considérable : l’ONG Luleki Sizwe avançait en 2010 le chiffre de dix viols correctifs par semaine…
Des droits fragiles
Enfin, des droits que l’on croit acquis sont toujours susceptibles d’être remis en cause : les combats des fondamentalistes chrétiens, dont on a pu récemment redécouvrir qu’ils n’étaient pas menés qu’en Afrique subsaharienne (où, il est vrai, certains présidents leur prêtent une oreille bien complaisante), pèsent donc très lourdement dans les débats aux États-Unis : le récent recul du droit des trans en Caroline du Nord est là pour le rappeler…
SUR PLACE, LA LUTTE ET PARFOIS LA FUITE…
Dans nombre de pays, la lutte pour les droits est le fait d’une poignée de militant·es courageux·ses.
Parfois, cette lutte se « contente » – ce qui est déjà considérable – d’organiser la prévention des MST et d’accompagner les malades. Parfois, elle prend la forme d’une ébauche de vie sociale, laquelle est toujours susceptible d’être violemment remise en cause, notamment au gré des crises économiques, sociales et politiques auxquelles les dirigeants sont prompts à trouver des dérivatifs… Les exemples sont légion, en quelques pays d’Afrique subsaharienne, d’épisodiques campagnes homophobes par voie de presse, avec appel au meurtre et publication de photos, histoire de concentrer la haine de l’opinion publique.
Invité à cette matinée de réflexion, deux représentants du marocain Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (Mali), ainsi que Yadh Krendel, président de Shams Tunisie et de Shams France, ont pu évoquer la situation de leur pays respectif et leur objectif premier : obtenir l’abrogation d’articles de lois pénalisant l’homosexualité, héritages de la période coloniale. Car ce que les opposants à la dépénalisation, au Maghreb comme ailleurs, feignent souvent d’ignorer lorsqu’ils brandissent l’argument culturel – l’homosexualité n’est pas dans la culture locale, les militants LGBT sont des chevaux de Troie du néo-impérialisme, il s’agit d’une maladie de Blancs, etc. – c’est que la criminalisation de l’homosexualité dans les pays d’Afrique et d’Asie est toujours un héritage colonial…
Sophie Aujean n’a toutefois pas manqué de rappeler que l’argument de l’importation de concepts inadaptés à la culture locale n’était pas le propre des pays africains ou asiatiques : lorsque les opposants aux ABCD de l’égalité se sont bruyamment manifestés, ils ont dénoncé la supposée théorie du « Gender » (prononcer « djeundeure ») comme un produit d’importation anglo-saxon…
Fuite et demande d’asile dans un pays occidental : parfois la seule solution
Parfois, le seul salut des LGBTI – qu’ils soient militants ou non – est la fuite et la demande d’asile dans un pays occidental. Certains ont la chance de pouvoir arriver en France dans de bonnes conditions, c’est-à-dire au moyen d’un visa touristique par exemple, mais la majorité devra emprunter les routes désormais tristement célèbres qui mènent à l’Europe, et veiller à ce que les causes de leur départ ne soient jamais comprises par leurs compagnons d’infortune…Une discrétion, un silence, qui devront d’ailleurs perdurer en France où le plus souvent leur communauté ne les accueillera (une nécessité, compte tenu du nombre extraordinairement insuffisant de places d’hébergement) qu’à la condition qu’elle ignore les détails de la situation, une communauté au sein de laquelle les demandeurs d’asile et les réfugiés devront pouvoir justifier leur célibat.
Les demandeurs d’Asile LGBTI
Jean-Denis Seince, responsable du pôle couples au sein de l’Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l’immigration et au séjour (Ardhis) sait quelles difficultés rencontrent les demandeurs d’asile LGBTI. Certes, comme l’a rappelé Patrizianna Sparacino-Thiellay, ambassadrice pour les droits de l’Homme, consignes sont données, dans les ambassades, pour faciliter l’obtention de visa au titre d’une demande d’asile, notamment pour les activistes, mais outre que l’urgence ne laisse pas toujours aux LGBTI le loisir d’entreprendre des démarches dans leur pays, certaines ambassades de France confient l’instruction des demandes de visa à des sociétés privées dont les postes sont occupés par des concitoyens, ce qui n’est évidemment pas très incitatif…
Refuser l’instrumentalisation du droit des enfants
Monsieur Ayrault n’y a sans doute pas pensé au moment de rédiger son texte d’introduction aux débats – et d’ailleurs cet aspect-là ne relève pas de son périmètre ministériel –, mais il est un domaine dans lequel la France pourrait également jouer un rôle d’importance – et avec elle son École : en refusant l’instrumentalisation du droit des enfants. Car lorsqu’on laisse les opposants réactionnaires à l’éducation sexuelle, à l’approche inclusive, à la déconstruction des stéréotypes de genre remporter des victoires au nom de leur conception très particulière des droits de l’enfant, on livre à eux-mêmes les enfants LGBTI victimes de harcèlement scolaire, on abandonne les enfants à la haine que certains portent à leur famille homoparentale…
À voir également : le film de l’Inter-LGBT présenté lors de cette matinée, qui évoque le parcours du combattant de l’enfant LGBTI.
Pour aller plus loin
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