Enseignant et militant pédagogique, investi dans des actions d'aide au travail auprès d'élèves en difficulté, Jean-Michel Zakhartchouk a participé au groupe de travail sur le cycle 4 de la réforme des programmes de collège,
Jean-Michel Zakhartchouk, militant pédagogique Cahiers pédagogiques apporte un éclairage plus programmatique que polémique sur l’actualité de la refondation de l’École.
Le Cercle de recherche et d’action pédagogiques (Crap), avec Éducation et Devenir , la FCPE, le Sgen-CFDT et le SE Unsa, depuis plusieurs années, se sont mobilisés, d’abord en faveur du socle commun, puis pour une réforme du collège. Quel regard portes-tu sur l’évolution du collège en « germe » dans les textes présentés dernièrement au Conseil supérieur de l’éducation ?
Dans la réforme, trois points me semblent essentiels. D’abord la cohérence d’ensemble qui vient d’un travail parallèle sur le socle commun et les programmes scolaires, qui ne concernent d’ailleurs pas que le collège ! Ensuite, la volonté de faire travailler ensemble les disciplines dans le cadre des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), de les faire converger pour permettre aux élèves de se construire des compétences, en particulier autour du domaine 2 « Des outils et méthodes pour apprendre », mais aussi pour s’approprier en profondeur des savoirs grâce à la confrontation féconde des approches et points de vue des différentes disciplines. Enfin, élément très appréciable, la marge d’autonomie laissée aux équipes dans les établissements. Il y a là un beau défi à relever : s’accorder entre enseignants des diverses disciplines, des différentes options, dans le respect de grands objectifs nationaux. Pourquoi douter de la capacité des équipes d’y parvenir ? On voit que la réorientation partielle des moyens consacrés actuellement aux options facultatives a provoqué des levers de bouclier des « faiseurs d’opinion » qui défendent l’« élitisme républicain », et au fond, reprennent l’idée d’un éditorialiste bien connu pour qui, « seuls, ceux qui le méritent » doivent accéder au haut niveau !
Les opposants « farouches » décrivent cette réforme comme technocratique, pensée par le haut, par des gens – au ministère et dans les syndicats dit « réformistes » – qui ne connaissent pas le « terrain », qu’aurais-tu à répondre à cette critique ?
D’une part, je rappellerais que beaucoup d’éléments projetés dans la réforme existent déjà, sont pratiqués dans les établissements. La réforme leur donne un cadre légal réglementaire plutôt que de les rejeter dans les marges de « l’innovation ». Il faut considérer la réforme aussi à l’aune de la longue histoire de pratiques pédagogiques qui remontent au moins à l’après-guerre et qui ont donné, contrairement à ce que certains prétendent, de beaux résultats (jadis les 10 % pédagogiques, puis les travaux croisés, les itinéraires de découverte…) mais qui, malheureusement, n’ont jamais pu s’inscrire dans la durée du fait de la versatilité de l’institution.
D’autre part, le Conseil supérieur des programmes a tout de même une composition dont on ne devrait pas remettre en cause aussi facilement la qualité scientifique, en commençant par celle de son président. En outre, les groupes de travail par cycle et par discipline comprenaient de nombreux enseignants de terrain. J’ai fait partie du groupe « Cycle 4 », et je n’ai pas eu l’impression que ses membres méconnaissaient ce fameux terrain ! Dans le travail d’élaboration des programmes, le dosage est complexe, mais nous avons essayé de nous baser sur une écriture permettant d’être appréhendée par de jeunes collègues sans beaucoup de formation. Il y a sans doute des formulations à revoir, mais il est tellement facile de prendre telle ou telle phrase hors contexte pour caricaturer un travail long, riche, qui s’est appuyé sur de nombreux écrits ou auditions d’experts ! Est-ce que ce sont les formules faciles de tel intellectuel médiatique, n’ayant certainement pas lu l’ensemble des propositions de la réforme, qui doivent primer ?
DÉVELOPPER SA CRÉATIVITÉ POUR INVENTER DES PASSERELLES ENTRE LES CULTURES, C’EST SE DONNER LES MOYENS DE FAIRE ACQUÉRIR LE SOCLE COMMUN PAR TOUS
Enfin, quand on parle du « terrain », renvoie-t-on au « terrain enseignant » ou au « terrain élève » ? Pour moi, qui pratique régulièrement de l’aide aux devoirs auprès de collégiens en difficulté, je vois bien ce qui fait obstacle à leur compréhension du sens et des exigences de l’École, malgré parfois leur forte motivation. Les programmes, le collège sont d’abord faits pour les élèves !
Justement, ces projets de programmes sont-ils en adéquation avec le « nouveau collège » – en particulier pour l’élaboration des EPI et les progressions en cycle ?
Le résultat est un peu inégal, mais comme pour le socle commun, nous pouvons espérer que la consultation nationale permettra des améliorations et des précisions. Parmi les points intéressants, je noterais la définition d’objectifs communs en sciences ou encore la présentation claire d’attendus par cycle, dans une conception curriculaire des programmes. Je trouve également encourageant que la rédaction du socle commun et des programmes soit davantage partie de l’activité de l’élève que de celle de l’enseignant. Je parle de l’activité intellectuelle réelle, celle qui fait qu’on apprend pour le long terme et non pour avoir une bonne note à un contrôle. C’est un premier pas, et il faudra certainement régulièrement réinterroger ces programmes, définir une sorte de « clause de révision ».
Que dire à tous ceux qui parlent d’un nivèlement par le bas ?
Si l’on acceptait de lire ce qui est écrit, on trouverait de nombreuses références culturelles, des exigences élevées. On peut à la fois travailler sur Ovide et l’Odyssée, et ne pas se priver de « récupérer » les cultures des jeunes pour les amener vers les grandes œuvres. Mais cela parait difficile à comprendre pour certains qui se désintéressent complètement des manières efficaces de « transmettre la culture ». Pour eux, du moment que « c’est dans le programme », cela suffit. Développer sa créativité pour inventer des passerelles entre les cultures, c’est se donner les moyens de faire acquérir le socle commun par tous. Et cela ne va pas à l’encontre des apprentissages fondamentaux qui se consolident aussi à travers des projets et des activités qui donnent du sens – ce sens qui manque trop souvent au collège d’aujourd’hui.
Au sujet du collège qui se dessine, as-tu un regret ? Et que faudrait-il pour aller plus loin ?
Un de mes regrets, c’est que les intitulés des EPI choisis par le ministère soient trop généraux par rapport aux thèmes que nous avions imaginés sous la forme d’« objets riches » pouvant susciter de nombreuses questions éthiques, scientifiques… J’ai noté que le SNES avait repris cette idée, tout en s’opposant aux EPI, ce qui est pour le moins curieux, car il n’y a pas d’opposition de fond entre les deux ! Pour mettre en œuvre cette réforme, la première clé est, bien sûr, la formation des équipes, avant tout sur site (et pas de façon virtuelle et à distance). Il faut aussi dégager des temps importants de concertation pour permettre une appropriation collective et l’organisation des enseignements (bien utiliser les temps de fin d’année, de prérentrée…). Enfin, le ministère doit proposer des exemples, des modèles divers qui montrent le champ des possibles. Les Cahiers pédagogiques s’y emploieront, à la suite par exemple du dossier d’avril 2015 : « Les disciplines à la croisée des savoirs ».
Comment rassurer les collègues face aux campagnes, parfois violentes, des opposants de tout bord ?
C’est vrai qu’il est difficile de lutter contre un tel degré de désinformation, martelée quotidiennement. Il faut revenir à la réalité des textes, pour lutter contre l’irrationalité des discours. Mais les pédagogues doivent aussi sortir de leur modestie habituelle et de leur peu de gout pour la polémique afin de répondre aux caricatures et montrer l’ampleur de tout ce qui existe aujourd’hui et qui va dans le sens de la réussite de tous…
Pour aller plus loin
- Le blog « Reconstruire l’école » vous propose de poser vos questions sur la réforme du collège et de trouver de nombreuses réponses à vos questions.
- Réforme du collège : dossier complet
- Le blog de Jean-Michel Zakhartchouk, « Enseigner au XXI° siècle »