Loi de programmation pluriannuelle de la recherche 2021/ 2030 : la déclaration préalable de la CFDT au CNESER du 12 juin dernier. Pour rappel, en nombre de sièges, la CFDT est la première organisation de l'instance. Pour la CFDT, la recherche n’est pas une dépense mais un investissement.
Madame la ministre, Mesdames et Messieurs les membres du CNESER,
Personne ne sera surpris que l’intervention de la CFDT débute par l’expression de notre très fort mécontentement d’abord quant à la méthode. Si nous avons effectivement, Madame la Ministre, comme vous l’avez rappelé dans plusieurs de vos récentes interventions médiatiques, débuté dès février 2019, les discussions sur le projet de LPPR, ce n’est que le week-end dernier que nous avons reçu le projet de loi dans son intégralité ainsi que l’ensemble des documents d’accompagnement.
Si le projet de loi ne comporte certes que 24 articles, le rapport annexé dont nous devrons voter l’intégration via l’article 1 de la loi fait lui 47 pages et l’étude d’impact 187. Pour tenir compte des délais en vigueur nous aurions donc dû analyser l’ensemble des documents, consulter nos instances internes et revenir vers nos mandants, rédiger les amendements et les déposer en moins de 72 heures. Ce n’est pas acceptable. Nous l’avons fait savoir et avec La FAGE nous avons demandé le report du vote sur un texte de loi qui va structurer l’ESR français pour les dix années à venir…
Cette méthode de travail met particulièrement en difficulté les organisations qui comme la mienne ont une démarche constructive.
En effet, cela fait longtemps que le Sgen-CFDT réclamait une loi de programmation pour la recherche pour permettre de donner une véritable visibilité budgétaire pluriannuelle aux laboratoires, et favoriser ainsi l’engagement de recherches sur le moyen et long terme, qui seuls pourront fonder véritablement les innovations de demain.
Nous avons salué le périmètre donné à cette loi, qui englobe aussi bien la recherche dans les universités et autres EPSCP que dans les EPST et les EPIC. C’est en reliant ces trois piliers de la recherche française que l’on pourra véritablement rendre effectives des stratégies nationales.
Pour la CFDT, cette loi doit être l’occasion d’investir dans la recherche pour répondre aux grands défis sociétaux : environnementaux, climatiques, numériques, économiques, et bien sûr de santé. Cela doit être l’occasion de redonner à la recherche et aux chercheurs la place qui est la leur, pour ramener la raison dans des débats où hélas trop souvent les croyances et la superstition ont remplacé les connaissances scientifiques. La crise pandémique que nous traversons, rend plus vrai que jamais ce besoin.
J’en viens maintenant au projet qui nous est soumis.
Pour la CFDT, l’un des premiers points de vigilance correspond au montant de l’enveloppe globale et à la durée de la programmation.
L’objectif des 3 % du PIB (dont 1 % pour la recherche publique) est certes affiché. Cet objectif, réaffirmé par la stratégie de Lisbonne en mars 2000 (horizon 2010) mais il était déjà présent dans un ouvrage du Commissariat général au Plan édité en 1964 pour l’horizon 1985. Cet objectif est donc à nouveau repoussé à la décennie d’après 2030 !
Pourtant, le rapport annexé (p. 4) cite les pays qui ont d’ores et déjà atteint ou dépassé les 3% : c’est le cas de l’Allemagne (3%), du Japon (3,2%) ou de la Corée du Sud (4,5%). Ces mêmes pays visent désormais des objectifs supérieurs (respectivement 3,5%, 4% et 5%).
Si l’on considère les annonces récemment faites par l’Allemagne, même si toutes les comparaisons internationales ont leurs limites, et l’effort supplémentaire qu’elle prévoit en matière de recherche pour l’après Covid19, les « ambitions » affichées par la France via cette LPPR nous paraissent insuffisantes pour répondre aux enjeux des transitions indispensables à réaliser.
Par ailleurs, même si nous savons bien qu’il s’agit d’une loi de programmation pour la recherche, la CFDT regrette qu’il ne soit pas fait mention du lien Formation/Recherche.
Quid de l’objectif de 2% du PIB pour l’Enseignement supérieur affiché par la StraNES ?
Le décrochage de l’enseignement supérieur (sous encadrement chronique, démographie étudiante, conséquences de la crise sanitaire en matière d’accueil et de pédagogie, etc.) obérera inévitablement la capacité de recherche. Nous pensons même que certains des dispositifs prévus par la loi (TT, CDI de mission, multiplications des CDD…) vont aggraver la situation en favorisant une bascule en faveur de l’activité recherche au détriment des autres missions que les établissements et personnels de l’enseignement supérieur public ont à assurer au service des usagers et de la nation. Le métier d’enseignants-chercheurs en serait profondément modifié.
Concernant la programmation en elle-même, la CFDT demande qu’un effort plus important soit porté sur les trois premières années.
Le programme 172 est le principal bénéficiaire de l’effort budgétaire du fait, principalement, des financements attribués à l’ANR donc via les appels à projet.
Pour le programme 150, la programmation ne concerne que les incidences budgétaires qui découlent de la loi. Cela concerne essentiellement les mesures RH : revalorisations indemnitaires du personnel, la revalorisation du début de carrière pour les MCF nouvellement recrutés, la revalorisation et l’accroissement du nombre des contrats doctoraux, l’environnement des chaires de professeurs juniors, etc. Hormis la 1ère année, l’effort budgétaire consenti sur le programme 150 servira principalement à financer les nouveaux dispositifs RH prévus par la loi (cf. rapport annexé p. 40).
Toujours selon le rapport annexé (pp. 17 et 18), le montant de la revalorisation pour les personnels sera de 92M€ / an (ou montant analogue) pendant toute la durée de la programmation. Cette revalorisation ne concernera que l’indemnitaire dans une perspective de convergence entre les différents types de personnels autour de 3 composantes : prime de base, prime de mission, prime individuelle. Il n’est pas prévu de revalorisation de l’indiciaire puisqu’il est considéré que les grilles ont été réalignées dans le cadre de PPCR (p. 17).
Pour la CFDT, il faut aller plus loin :
- revoir les grilles indiciaires pour les réaligner réellement ;
- revoir le montant de l’indemnitaire et sa répartition avec une part plus importante consacrée au socle.
Bref, Madame la ministre, pour la CFDT si l’effort est bien là, il n’est pas encore suffisant pour mettre fin au décrochage de la recherche française et revaloriser les carrières scientifiques. La CFDT reconnaît le premier pas fait. Mais elle le trouve encore bien trop hésitant.
Mais surtout, le projet de loi ne tient pas compte de la crise que nous vivons qui a fait apparaître l’ampleur des besoins. Elle a aussi eu un impact sur les finances des établissements. Ainsi pour le CEA la crise génère une perte de recettes estimée à 120 millions d’euros. Pour la CFDT, cette question doit être traitée.
Les montants annoncés avant la crise doivent être repensés à la hausse.
Pour la CFDT, la recherche n’est pas une dépense mais un investissement pour faire face aux conséquences de la crise et préparer un nouveau projet de société où l’humain est au cœur des politiques publiques. C’est pour cela que la CFDT s’investira dans les débats et les discussions sur la loi mais aussi sur les textes réglementaires à venir. La CFDT portera au CNESER des amendements pour faire évoluer le projet de loi. La nature et le nombre de ceux que vous retiendrez, Madame la ministre, montreront la volonté du gouvernement à agir pour la recherche et les personnels scientifiques.