La réflexion sur les méthodes efficaces pour lutter contre le harcèlement et les violences scolaires vaut mieux que les attaques infondées contre les personnels. Pour le Sgen-CFDT améliorer le climat scolaire suppose de faire le pari de l'éducabilité de tous les élèves.
Dans une critique caricaturale, simpliste et au vitriol, certain.e.s affirment que l’Éducation nationale, et en premier lieu les conseillers.ères principaux.ales d’éducation (CPE) sont du côté des bourreaux… entendez les CPE ne se préoccupent que des harceleurs et agresseurs. En réalité, d’ailleurs, il.elle.s ne feraient plus rien, il.elle.s délégueraient tout aux élèves.
Sortons un peu des caricatures qui stérilisent la réflexion. Que nous enseignent les études scientifiques sur ces questions douloureuses ? Que font au juste les CPE et les adultes des écoles et établissements ?
De quelques recherches scientifiques sur le harcèlement
La pédo-psychiatre, le docteur Nicole Catheline, spécialiste de la question du harcèlement présente le harcèlement comme un effet indésirable de la socialisation. Pour elle, le harceleur et le harcelé sont des enfants qui ont de difficiles relations avec les autres. Le harcèlement est la conséquence d’un dérèglement de la gestion de groupe. Selon la chercheuse Christina Salmivalli, le harcèlement nécessite un public, les rieurs, les moqueurs, ceux qui selon l’attitude qu’ils vont prendre renforceront ou au contraire atténueront les effets du harcèlement.
Finalement, il n’y a donc pas que les harcelé.e.s et les harceleur.euse.s mais aussi des spectateur.trice.s et des supporteur.trice.s… Lutter contre le harcèlement efficacement impose de travailler différemment avec chacun.e.
Que font au juste les CPE ?
Le rôle du.de la CPE n’est pas d’être le symbole de l’autorité mais celui ou celle qui veille à placer les adolescent.e.s dans les meilleures conditions de vie individuelle et collective, de réussite scolaire et d’épanouissement personnel.
Fort.es de leur connaissance de la complexité des phénomènes de harcèlement, les CPE ont vocation à intervenir auprès de tous les élèves concernés à divers titres par une situation de harcèlement.
Les CPE interviennent auprès de la victime et auprès de sa famille. Ni en tant qu’assistant social, ni en tant que psychologue. Mais en tant qu’éducateur qui doit dépasser le sentiment d’empathie pour donner la possibilité au jeune de se reconstruire. Le sentiment de honte et de culpabilité doit être dépassé. Le jeune doit avoir assez confiance en l’adulte pour le prévenir, se confier, demander de l’aide.
Il faut aussi lui apprendre à faire face, pour qu’il n’ait plus honte de ne pas avoir su se défendre.
Les CPE travaillent aussi avec les parents des élèves concernés.
En cas de harcèlement, le CPE, avec l’ensemble de l’équipe éducative entend et écoute les victimes mais aussi les parents de victimes. Les enfants harcelés ont besoin d’avoir des adultes solides autour d’eux. Leurs parents ont besoin d’accompagnement pour faire face à cette situation terrible où le sentiment d’impuissance et de culpabilité de ne pas voir vu prend parfois le dessus. Ensemble, éducateurs et parents sont là pour briser la loi du silence autour du harcèlement.
Il faut aussi agir auprès des spectateurs.trices et des supporteurs.trices : leur apprendre à ne plus voir sans intervenir, à ne plus se moquer et donner une caisse de résonance à la pratique de harcèlement.
Les CPE interviennent aussi pour faire évoluer les élèves harceleurs, ce qui ne signifie pas “être du côté des bourreaux”.
Selon l’Association pour la prévention de phénomènes de harcèlement, l’élève harceleur n’a pas d’empathie, il ignore la culpabilité. Il possède un fort charisme qui le rend populaire auprès de ses camarades. Souvent drôle, il sait s’emparer des petits défauts des autres pour les tourner en dérision. Intelligent, il sait comment faire en sorte que ses méfaits soient cachés aux yeux des adultes mais très visibles pour les autres élèves. Ce n’est pas notre société consumériste et individualiste qui va contrer l’idée selon laquelle c’est le plus fort qui gagne. Si les personnels de l’Education Nationale, avec l’appui indispensable des parents, ne changent pas cette idée dans l’esprit de ces jeunes en devenir de citoyens, quels adultes vont-il être ? L’élève harceleur qui n’est que sanctionné sans accompagnement éducatif ne pourra pas réussir son insertion sociale.
Quels rôles construire avec les élèves contre le harcèlement et les violence sans déresponsabiliser les adultes ?
La plupart des méthodes les plus efficaces de lutte contre le harcèlement scolaire ne se focalisent pas sur la résolution d’un cas de harcèlement mais sur des méthodes d’action collective au sein de l’établissement pour repérer des situations de harcèlement et y mettre un terme avant qu’elle ne s’installe durablement.
Or ces situations naissent souvent à l’abri du regard des adultes de l’établissement. Par ailleurs, il est peu courant que la victime ose s’exprimer, aussi bien auprès de ses parents qu’auprès des adultes de l’Ecole. Par contre, il parlera plus naturellement à des jeunes de son âge, qui, s’ils sont formés, sauront donner le relais et ainsi rompre la loi du silence. D’où l’intérêt des médiations par les pairs.
Bertrand Gardette, conseiller principal d’éducation, témoigne sur le site du Ministère de l’Éducation nationale de l’utilité de la collaboration de tous les acteurs d’un établissement scolaire pour lutter contre le harcèlement. Il explique également l’utilité de la médiation par les pairs pour faire les repérages, devenir les relais auprès des adultes. En aucun cas, les jeunes médiateurs ne doivent résoudre seuls les problèmes. Il s’agit d’impliquer des élèves dans la gestion des petits conflits quotidiens, conflits qui pourraient dégénérer en harcèlement, de détecter précocement des situations dans lesquelles le harcèlement émerge. Les médiateurs n’interviennent pas directement. Former ces élèves (médiateurs ou sentinelles) avec des adultes de l’établissement, c’est leur apprendre à observer ce qui se joue dans la cour, dans les couloirs, à la cantine ou dans les classes. Ce n’est pas leur demander de remplacer les adultes. Ce n’est pas leur demander d’intervenir, ni auprès du harceleur, ni auprès du harcelé. Dans la méthode proposée par la Ligue française de santé mentale, il s’agit d’abord de connaître les adultes à informer pour qu’ils agissent. Il s’agit aussi d’apprendre à encercler positivement et collectivement le harcelé : les spectateurs deviennent protecteurs en rompant le collectif de moquerie, en faisant prendre conscience aux spectateurs et aux supporteurs des incidences de leur attitude.
Les élèves formés apprennent qu’est ce que le harcèlement, comment le reconnaître, quelles sont les conséquences sur l’élève victime, que faire dans un groupe pour que cela ne recommence pas.
Sortons donc des caricatures, disons le réel, la richesse et la complexité du travail des professionnels de l’éducation.
Améliorer la lutte contre le harcèlement et la violence scolaire ne passe pas par les polémiques caricaturales autant que stériles. Pour le Sgen-CFDT, le Ministère doit non seulement poursuivre les campagnes annuelles de sensibilisation, mais aussi financer la formation des communautés éducatives au sein des écoles et des établissements, et être beaucoup plus incitatif afin que cette problématique douloureuse soit mieux prise en charge sur l’ensemble du territoire.