Prochainement sera examinée au Sénat une proposition de loi (PPL) déposée par le Groupe Socialiste, écologiste et républicain visant à favoriser la mise en place d’une mixité scolaire au sein des écoles et établissements scolaires. Rencontre avec Colombe Brossel, rapporteure de la PPL.
La mixité sociale dans les écoles et les établissements scolaires du second degré est au cœur de nombreuses discussions au sein de la sphère éducation depuis la publication des indices de position sociale (IPS). Si de nombreux établissements privés sous contrat ne jouent pas le jeu, c’est avant tout du fait d’un vide juridique que les syndicats de l’éducation de la CFDT dénoncent.
Le Groupe socialiste, écologiste et républicain du Sénat propose une loi pour contraindre une évolution dans les territoires.
Rencontre avec la sénatrice
pour échanger sur cette proposition de loi.Une version courte de cet entretien a paru dans le no 296 – Mai-juin-juillet 2024 de Profession Éducation, le magazine de la CFDT Éducation Formation Recherches publiques.
Pourquoi proposer une loi pour promouvoir la mixité sociale et scolaire ?
C’est un sujet sur lequel on avait envie de travailler depuis longtemps. Le passage d’Amélie Oudéa-Castera au ministère de l’Éducation a remis en lumière ce sujet sur lequel de nombreuses personnes engagées travaillent depuis longtemps. On a aujourd’hui un double constat : d’une part, une mixité sociale et scolaire qui s’affaiblit − un sujet étayé par de nombreux chercheurs – entrainant une forme de ségrégation sociale et scolaire qui croît dans notre pays. Ce qui était un sujet plutôt de grandes métropoles il y a quelques années est un sujet qui est présent partout en France, sauf dans les zones rurales. Ce constat est visible aujourd’hui depuis la mise en œuvre et la publication des IPS (indices de position sociale). On peut donc sur un territoire regarder, comparer et voir les effets de cette ségrégation sociale et scolaire. D’autre part, des collectivités territoriales, des rectorats mettent en place des mesures, des politiques publiques pour lutter contre ces phénomènes de ségrégation à l’École, et cela fonctionne.
En partant de ces deux constats, on s’est dit qu’il fallait construire un cadre national pour permettre aux politiques publiques en faveur de la mixité sociale et scolaire de se déployer sur l’ensemble du territoire. Cela doit se faire sur la base d’outils, d’indicateurs, en activant des leviers de politiques publiques. Il faudra évidemment travailler la question de l’enseignement privé sous contrat. La ségrégation sociale et scolaire n’est pas réductible à la question des établissements privés sous contrat mais on ne peut traiter cette question sans s’y intéresser. C’est le rôle de la loi.
Comment obliger les établissements à mettre fin à cette ségrégation scolaire et à mettre en place réellement cette mixité ?
La proposition de loi est adossée à trois objectifs : 1/ inscrire dans la loi, dans le Code de l’éducation, une obligation de respecter la mixité sociale et scolaire. La notion de mixité sociale est introduite pour la première fois en 2013 par Vincent Peillon quand il était ministre de l’Éducation nationale, et dit : « il faudra veiller à la mixité sociale et scolaire ». On propose là, d’aller plus loin en posant des garanties pour le respect de cette obligation qui doit s’appliquer à tous. 2/ Maintenant, il faut aussi des outils. On propose donc de donner une base légale aux IPS et l’obligation d’information de l’ensemble des collectivités sur les indices des établissements de leur territoire. Il faut aussi donner une base légale à Affelnet, procédure permettant d’affecter les élèves. L’application doit intégrer des critères de respect de la mixité sociale et scolaire. 3/ Il faut enfin adosser le financement de l’enseignement privé sous contrat au respect des critères de mixité sociale et scolaire.
On ne peut pas continuer à ce que la puissance publique organise une fausse concurrence libre et non faussée entre établissements public et établissements privés.
La loi doit être la même pour tous. Attention, la mixité n’est pas que l’apanage de l’enseignement privé mais on ne peut faire cela sans lui donner les mêmes obligations que pour le public. On a aussi dans cette loi, des choses qui peuvent paraitre aujourd’hui de bon sens. Par exemple, il faut se dire qu’il n’est pas possible dans un même territoire, un même bassin de pouvoir fermer une classe d’un niveau dans le public et d’en ouvrir une de même niveau dans le privé. Non, si on est dans un même bassin de recrutement, si on a des objectifs de mixité sociale, cela ne doit pas être possible ! On ne peut pas continuer à ce que la puissance publique organise une fausse concurrence libre et non faussée entre établissements public et établissements privés.
Quels sont les effets escomptés de votre proposition de loi ?
il faut regarder la capacité que l’on se donne à créer du commun. On a besoin de cela aujourd’hui et pour nous cela commence à l’école.
On attend deux choses. D’abord, continuer à porter dans le débat public un sujet aujourd’hui majeur. On a interpelé la ministre avec une formule, certes forte, mais que l’on croit vraie : « la question de la mixité scolaire est une bombe à fragmentation dans notre société ». Si nous ne sommes pas capables, plus capables d’avoir des enfants qui peuvent vivre, apprendre, grandir ensemble, si on a des phénomènes de ségrégation sociale et scolaire, alors honnêtement, comment pouvoir faire Nation ? Comment construire du commun dans ce pays ? La mixité scolaire fait du bien du point de vue du climat scolaire, du climat social mais plus fondamentalement, il faut regarder la capacité que l’on se donne à créer du commun. On a besoin de cela aujourd’hui et pour nous cela commence à l’école.
Depuis le début des années 2000, la question n’est pas l’explosion des effectifs de l’enseignement privé sous contrat, le pourcentage entre privé et public est sensiblement le même. Le sujet, c’est plutôt la ségrégation sociale et scolaire qui se met en place.
Ensuite le second enjeu, c’est d’avoir un débat en hémicycle avec les sénateurs et le gouvernement. Qu’est-ce qui rationnellement permettrait aujourd’hui au gouvernement, aux parlementaires de s’opposer à renforcer dans le Code de l’éducation le respect de cette mixité scolaire et sociale ? Qu’est-ce qui pourrait permettre de s’opposer à donner une base légale à des outils de mixité sociale et scolaire – surtout que lorsque ces politiques sont mises en œuvre, ça marche. Il faut avoir un débat serein et arriver à convaincre de l’utilité de ces outils et de ces politiques. Il ne faut pas être naïf pour penser que ce débat, notamment sur le financement, soit plus polémique au Sénat. Mais il doit être posé. Depuis le début des années 2000, la question n’est pas l’explosion des effectifs de l’enseignement privé sous contrat, le pourcentage entre privé et public est sensiblement le même. Le sujet, c’est plutôt la ségrégation sociale et scolaire qui se met en place. Aujourd’hui, les effectifs des établissements privés ne reflètent plus la mixité des territoires sur lesquels ils sont implantés. On a donc un système à deux vitesses, c’est bien là la question. Veut-on le maintenir ou changer cela pour la réussite de tous en sortant de la ségrégation sociale ? En permettant de réguler, en donnant des outils pour celles et ceux qui font – et font des choses qui fonctionnent –, on pense que l’on réussira à créer du commun dans le pays.
Et le respect de la carte scolaire dans tout cela ? Ne faudrait-il pas tout remettre à plat pour imposer la mixité ?
On n’a (…) pas l’obligation de tout balayer, de promettre le Grand Soir. On s’adosse à ce qui a été fait, on regarde les outils, les besoins et on adapte.
Dans cette loi, on aurait pu mettre plein de choses, mais certaines ne dépendent pas de la loi.
Deux exemples, à Paris et en Haute Garonne. On a deux départements qui sont des opérateurs de politiques publiques, qui s’occupent de la carte scolaire, de la sectorisation des collèges qui ont fait jouer tous les dispositifs. Des collèges sont devenus des collèges multisecteurs.
À Paris, on avait un collège ségrégué et tout proche un collège avec un public favorisé, des populations scolaires très différentes pour un même bassin de recrutement. Paris a choisi de faire des inscriptions dans un collège une année puis dans l’autre l’année suivante. Cela a permis de créer des classes mixtes et de faire avancer ensemble des élèves qui n’avaient aucune raison de ne pas grandir et apprendre ensemble.
En Haute Garonne, on a privilégié une refonte de carte scolaire en ayant des sectorisations de collèges en « peau de léopard ». On n’est pas obligé d’avoir un secteur de collège totalement unifié autour d’un territoire donné. Le département et le rectorat ont créé des « tâches territoriales » pour faire venir dans un collège des enfants de milieux sociaux différents.
Ces deux exemples ne sont pas anecdotiques, ils fonctionnent. On n’a donc pas l’obligation de tout balayer, de promettre le Grand Soir. On s’adosse à ce qui a été fait, on regarde les outils, les besoins et on adapte. On a environ 200 collèges en France à moins de dix minutes en distance l’un de l’autre avec des écarts d’IPS très importants entre deux collèges. Commençons donc à faire travailler ces deux collèges qui ont les mêmes bassins de recrutement. Ce sera un pas de géant sur le chemin de la mixité sociale et scolaire.
Comment permettre, dans la loi plus, de transparence sur le financement de l’enseignement privé sous contrat ?
Pour le privé, le rapport de la Cour des comptes est très clair en ce sens. Il dit tout : absence de contrôle ou trop peu fréquents. La Cour précise qu’il faut des contrôles administratifs, financiers et pédagogiques. La ministre s’est ainsi engagée à créer 60 ETP administratifs pour renforcer les équipes de contrôle dans les académies. Cela représente, au bout du compte, deux personnes en plus dans chaque rectorat – autant dire que l’on est loin de vouloir être dans un contrôle régulier de tous les aspects précités. Le financement public doit être adossé à des mesures de respect de la mixité sociale et scolaire. Ces phénomènes de manque de respect de l’affectation des fonds dans les établissements privés sont réels. Par exemple, à Rennes, selon les dires du secrétaire général de l’enseignement catholique, de l’argent donné pour limiter le nombre d’élèves par classe en primaire est détourné vers le secondaire. Pas besoin, selon ses dires, de limiter le nombre d’élèves sur certains endroits. Cette réponse faite au Sénat est désarmante. Pourtant, cet argent a été fléché par la puissance publique pour atteindre des objectifs fixés par la Nation. Il n’y a pas cette liberté dans l’enseignement public, et tant mieux. Il faut remettre de l’égalité et respecter les choix politiques effectués. Pour cela, il faut mettre le sujet de la mixité sociale et scolaire comme un sujet central et adosser le financement public quelle qu’en soit l’origine (Etat et/ou collectivité) au fait que cette mixité doit être respectée.