Interview parue dans le dossier "Contractuels" de Profession Éducation, le mensuel du Sgen-CFDT, n° 270 (août-septembre 2019). Franck Loureiro est secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT, en charge de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
Quel regard porte le Sgen-CFDT sur la loi de transformation de la fonction publique et ses conséquences pour l’ESR ?
La loi a introduit la possibilité de recourir encore plus massivement aux contractuels. Même si le Gouvernement, par la voix d’Olivier Dussopt, secrétaire d’État en charge de la fonction publique, insiste sur son attachement au statut de fonctionnaire, il parait évident que ces nouvelles dispositions pourront provoquer une augmentation importante du nombre d’agents contractuels dans la fonction publique en général. C’est déjà le cas depuis une quinzaine d’années, dans l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR) en particulier, où le recrutement d’agents titulaires, encore majoritaire, n’est plus la seule voie d’accès aux emplois dans les établissements publics. En effet, peu à peu, le législateur a facilité et organisé le recrutement de contractuels. Leur nombre a fortement crû pour finir par se stabiliser depuis quelques années seulement. Certains laboratoires sont aujourd’hui composés de plus de 60 % d’agents non-titulaires.
De ce fait, dès lors que le recrutement sur contrat n’est plus une exception mais une voie « normale » de recrutement, ces agents réclament que leur « statut » soit mieux encadré, et leurs droits mieux et plus clairement définis. C’est cette demande aussi que portait la CFDT Fonctions publiques pour relayer les attentes des agents qu’elle représente. Au-delà du risque réel de substitution de l’emploi statutaire par l’emploi contractuel (CDI ou CDD), il faut reconnaitre que c’est ce que prévoit la loi sur la fonction publique en introduisant un certain nombre de droits nouveaux comme l’indemnité de fin de contrat, la professionnalisation des jurys de recrutement… Cela signifie donc que vont coexister à terme, sur le même lieu de travail, emplois titulaires et emplois contractuels. Cela ne sera pas sans poser des questions dans les équipes où pour le même travail, des agents ne bénéficieront pas des mêmes conditions de rémunérations, de déroulement de carrière, de droits…
Comment expliquer ce recours massif aux contractuels dans la recherche ?
Le développement des emplois de contractuels dans la recherche est souvent présenté comme une nécessité liée aux nouveaux modes de financement des programmes de recherche qui ont vu se développer ces dernières années les appels à projet sur une durée limitée dans le temps (Programme d’investissement d’avenir-Pia, Agence nationale de la recherche-ANR…). Le caractère temporaire des financements ne sécurise pas les établissements sur la question de l’emploi pérenne et les incite à être prudents en privilégiant les recrutements temporaires, par conséquent contractuels. Mais cet argument ne tient pas si on réfléchit aux conséquences à moyen et long termes de ce type de recrutement. En effet, la précarité a des conséquences sur les équipes et sur la recherche elle-même.
Et s’il fallait détailler ces conséquences…
Dans les équipes, elles créent des différenciations parfois mal vécues tant par les agents non-titulaires que par les titulaires, provoquent des pertes de compétences au moment des départs des agents contractuels, créent une charge de travail supplémentaire liée à l’accueil et à la formation des nouveaux arrivants, entrainent une usure professionnelle liée aux départs répétés…
Au final, l’adaptabilité et les économies supposées pèsent négativement sur la capacité à produire des résultats. En effet, la recherche a besoin de temps, parfois d’un temps long, et le turn-over incessant d’une partie des équipes ne permet pas cette stabilité indispensable car il faut de longs mois pour permettre de revenir à un niveau égal de compétences après le départ d’une partie de l’équipe de recherche. Peut-être faut-il y voir là, avec le sous-investissement chronique des opérateurs de recherche, un des éléments pouvant expliquer le décrochage de la France dans le domaine de la recherche…
La loi Fonction publique trace des possibilités de recrutement d’agents non-titulaires qui pourront plaire aux directions des opérateurs publics d’enseignement supérieur et de recherche. La possibilité de recruter des contractuels de toutes les catégories, de pouvoir embaucher en CDI, de profiter des contrats de projet, etc., ne doit pas faire oublier à ces mêmes dirigeants que l’emploi statutaire protège aussi des pressions en tous genres. C’est un sujet qui, dans le domaine de la recherche et de la formation, n’est pas anodin quand il s’agit, par exemple, de santé publique, de sécurité du territoire, de transition énergétique, d’intelligence artificielle, de compréhension du monde…
Pour le Sgen-CFDT, le recrutement de contractuels dans l’ESR relève aussi de la responsabilité des établissements et donc des équipes dirigeantes. Car ce sont bien eux qui décident des campagnes d’emplois, et donc de recruter ou non des contractuels sur tel ou tel poste. Aussi avons-nous prévu de former nos équipes locales pour pouvoir repérer les abus. Nos militants pèseront sur les politiques de recrutement, en particulier lors des élections aux conseils centraux. Nous demanderons notamment à chaque candidat à la présidence de son université de nous dire clairement ce que sera sa politique en matière d’emplois contractuels.