L'accueil de scientifiques exilés est plus que jamais un enjeu humanitaire et de défense de la recherche. PAUSE, le programme national porté par le Collège de France a fêté ses trois ans. Qu'en est-il de son développement ? Et de son rayonnement à l'international ? Comment le soutenir ?
Un extrait de cet entretien a paru dans le dossier « Migrant·e·s. Le défi de l’intégration » de Profession Éducation (no 273 – Décembre 2019), le magazine du Sgen-CFDT.
Programme d’accueil en urgence des scientifiques en exil (PAUSE).
est directrice exécutive duEn quoi consiste PAUSE ?
Il s’agit d’un programme national créé en 2017 par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (Mesri) et porté par le Collège de France pour accueillir des chercheurs en danger, leur permettre de se mettre à l’abri – ainsi que leur famille – et de poursuivre leurs travaux. PAUSE s’appuie sur les grands organismes de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNRS, Inserm, Inra, Inria, AUF, Cnous, conférence des présidents d’université, conférence des grandes écoles d’ingénieurs, Chancellerie d’université de Paris) et quatre ministères (Esri, Europe et Affaires étrangères, Intérieur, Culture). Le principe est d’octroyer des subventions en cofinancement aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche ayant le projet d’accueillir un chercheur en exil.
Étaient initialement éligibles les établissements sous tutelle du Mesri ; ceux-ci ont ensuite été rejoints par les établissements sous tutelle du ministère de la Culture et par les établissements d’enseignement supérieur privés d’intérêt général, élargissant ainsi le vivier des établissements éligibles pour présenter des candidatures de chercheurs en exil.
Le principe est d’octroyer des subventions en cofinancement aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche ayant le projet d’accueillir un chercheur en exil.
Quel est le bilan de PAUSE au terme de ses trois ans de fonctionnement ?
À l’issue de trois appels à candidature par an, plus un appel exceptionnel en 2019 en faveur des doctorants, PAUSE a pu engager près de 300 financements pour plus de 200 chercheurs, une centaine ayant pu bénéficier d’une deuxième année.
Le profil des chercheurs est assez stable (60 % en sciences humaines et sociales, 40 % en sciences exactes). Près de la moitié sont des femmes.
Des pays comme la Turquie, la Syrie, l’Iran, l’Irak et le Yémen restent très représentés, le recrutement s’est étendu progressivement à l’Afghanistan, le Pakistan, la Chine, à des pays d’Afrique subsaharienne et aussi d’Amérique du Sud (Venezuela et récemment, Brésil).
PAUSE a pu engager près de 300 financements pour plus de 200 chercheurs…
Initialement destiné aux scientifiques accueillis dans des établissements d’enseignement supérieur et de recherche sous tutelle du Mesri, le programme s’est également ouvert à des candidats issus des métiers de la culture ou artistes ayant une activité d’enseignement ou de recherche et accueillis dans des établissements sous tutelle du ministère de la Culture ; les établissements d’enseignement supérieur et de recherche privé d’intérêt général (Eespig) peuvent également désormais présenter des candidats.
Au-delà de l’élargissement à de nouveaux bénéficiaires, PAUSE, initialement programme d’urgence, a développé une mission d’aide à l’insertion professionnelle des chercheurs après qu’ils ont quitté le programme, qui est un enjeu majeur.
Quels types de poste les bénéficiaires de PAUSE occupent-ils au cours du programme, et quelles perspectives s’offrent à eux ensuite ?
Durant le temps du programme (qui dure un an, voire deux ans en cas de renouvellement), les fonctions occupées par les lauréats sont très variables : les contrats sont du ressort des établissements qui les accueillent, et de manière générale la très grande majorité des chercheurs soutenus dans le cadre de PAUSE sont sur des postes de recherche. Plus rarement, certains sont sur des postes de maître de conférences ou professeur associé.
En ce qui concerne les perspectives, nous travaillons depuis un an à renforcer notre mission d’accompagnement des lauréats en vue de leur stabilisation professionnelle. Pour ce faire, nous collaborons avec des associations qui sont spécialisées, les unes dans l’insertion professionnelle des chercheurs, les autres dans celle des migrants. Car il s’agit d’expertises spécifiques : une association telle que l’association Bernard Gregory, par exemple, sait parfaitement accompagner des chercheurs en vue d’une réorientation et d’une transposition des compétences universitaires dans un secteur autre que la recherche académique, comme le secteur privé notamment, mais n’a pas nécessairement une expertise concernant les personnes en parcours d’exil. D’autres associations, telle que Action Emploi Réfugiés, travaillent à l’insertion professionnelle des réfugiés, dont beaucoup ont de basses qualifications. Nous croisons donc leurs expertises pour donner aux chercheurs PAUSE des outils et méthodologies adaptés à une recherche d’emploi la plus efficace possible.
Nous travaillons depuis un an à renforcer notre mission d’accompagnement des lauréats PAUSE en vue de leur stabilisation professionnelle.
En outre, un complément de financement pour les établissements d’accueil qui développent un volet dédié à la formation en vue d’une stabilisation (voire d’une reconversion professionnelle des chercheurs Pause) a été dégagé.
Parmi la petite cinquantaine de chercheurs sortis du programme, près de la moitié a pu poursuivre avec un poste ou un autre financement, mais ceux-ci restent temporaires
Pour l’avenir, nous réfléchissons avec un petit groupe d’établissements pilotes accueillant de nombreux lauréats PAUSE, dans un premier temps en Île de France et dans les disciplines SHS (Paris I – Panthéon Sorbonne ; Paris VIII – Vincennes – Saint-Denis, Paris X – Nanterre université et l’École des hautes études en sciences sociales-EHESS) – mais qui devrait s’élargir très rapidement aux autres disciplines et géographiquement – à un projet d’université en exil : l’idée serait d’abord de permettre aux lauréats PAUSE de pouvoir développer une activité d’enseignement – ce qui est aujourd’hui rarement le cas – y compris dans leur langue.
Est également envisagée la création de chaires susceptibles d’être attribuées aux lauréats en fin de programme, voire à des chercheurs en danger venant d’autres programmes ; cette étape, plus ambitieuse, nécessite davantage de ressources que nous travaillons à mobiliser. Un tel projet créerait de réelles opportunités pour l’insertion professionnelle des lauréats dans le domaine académique. Car les chercheurs exilés ont souvent eu des parcours heurtés (guerre, emprisonnement…) ; ce qui les désavantage, notamment au niveau du nombre de publications à faire valoir pour un recrutement pérenne au sein de l’enseignement supérieur académique en France.
Pour l’avenir, nous réfléchissons (…) à un projet d’université en exil
Y a-t-il des initiatives similaires au programme PAUSE dans d’autres pays ?
Il existe quatre autres grands projets, à dimension nationale ou internationale.
Aux États-Unis, on trouve deux programmes qui sont basés à New York.
Scholars at Risk (SAR) procède en identifiant les établissements prêts à accueillir les chercheurs en exil, qui sont formés et accompagnés dans leur recherche d’établissements, mais sans financement associé.
The Institute of International Education Scholar Rescue Fund en revanche co-finance l’installation des chercheurs avec des forfaits de 25 000 dollars, le reste étant pris en charge par les établissements d’accueil. Ces programmes fonctionnent en réseau dans de nombreux pays, y compris en Europe, où un bureau SAR a ouvert en 2018. En effet, avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, le rapport de placement de leurs chercheurs, qui était de 80 % sur le sol national et 20 % en Europe, est en train de s’inverser. La relation avec PAUSE s’est donc considérablement développée.
En Europe, le programme allemand Philipp Schwartz Initiative, financé par la Fondation Von Humboldt et par le ministère allemand des Affaires étrangères, fonctionne davantage comme PAUSE, c’est-à-dire par l’attribution de financements aux établissements qui accueillent des chercheurs qui reçoivent des bourses. Cependant, comme il s’agit de financements complets pour deux années et de co-financements pour une troisième année, le programme allemand retient moins de candidats que ne le fait PAUSE.
Enfin, le programme britannique Council for At-Risk Academics (Cara), qui date des années 1930, place des chercheurs mais ne les finance pas. Là aussi, un événement politique comme le Brexit a des répercussions sur le fonctionnement des programmes d’accueil.
Outre ces deux programmes européens d’ampleur nationale, on dénombre des initiatives individuelles d’université, qui parfois se regroupent, et pour certaines constituent des antennes SAR fonctionnant en réseau avec le siège à New York, le bureau européen et toutes les antennes SAR qu’on retrouve aux Pays-Bas, en Suède, en Norvège, en Suisse, au Canada…
PAUSE s’emploie à travailler en lien avec les différents programmes, qu’ils soient américains ou européens. Nous travaillons à développer des coopérations à titre bilatéral, mais également en réseaux. À ce titre, PAUSE participe notamment à un projet européen Horizon 2020, Inspireurope, qui rassemble, sous la coordination de SAR Europe, une dizaine de partenaires européens afin d’élaborer des solutions durables d’intégration des chercheurs dans les sociétés d’accueil. Car tous les programmes font face aux mêmes défis, à commencer par la stabilisation professionnelle.
Nous travaillons à développer des coopérations à titre bilatéral, mais également en réseaux.
Par ailleurs, PAUSE a noué des liens avec les antennes SAR francophones (Suisse, Luxembourg, Belgique, Canada) en vue d’identifier et faciliter les débouchés, par exemple, en faveur des chercheurs qui auraient terminé le programme en France et pourraient rejoindre un autre pays francophone, ou inversement.
Il est en effet déterminant de développer les coopérations de manière à mutualiser nos ressources pour aider les chercheurs et les suivre après le programme. Car tous les programmes ont ce même défi. Tous ont donc intérêt à partager expertises, expériences et ressources. C’est un moyen aussi de faire connaître nos programmes respectifs.
Il est (…) déterminant de développer les coopérations de manière à mutualiser nos ressources pour aider les chercheurs et les suivre après le programme.
Comment pouvons-nous vous aider ?
Nos principaux soutiens proviennent du Mesri et, depuis 2018, d’un financement européen, le Fonds Asile Migration Intégration (Fami), qui a permis d’augmenter considérablement le budget du programme et d’élargir ses missions. Ce financement cessera en principe fin 2020, sans assurance d’obtenir une autre aide européenne.
La contribution du mécénat privé est précieuse, ainsi que les dons de particuliers car, même modestes, ils participent à faire connaître le programme dont la notoriété est essentielle pour son développement, que l’actualité internationale appelle, une dérive politique en chassant, hélas, une autre (Turquie, Brésil par exemple). L’élection de Donald Trump et le Brexit ont également une répercussion sur les rares programmes nationaux et internationaux qui mettent à l’abri chercheurs et intellectuels…
La contribution du mécénat privé est précieuse, ainsi que les dons de particuliers car, même modestes, ils participent à faire connaître le programme dont la notoriété est essentielle pour son développement…
En conclusion…
Dans le contexte international actuel, relayer nos messages, et ceux de nos partenaires, en faveur de la défense des libertés académiques et du nécessaire soutien aux chercheurs, intellectuels et artistes en danger est une très précieuse contribution à notre action, qui ne peut être que le fruit d’une mobilisation et d’une solidarité collectives.